Incipit plutôt brutal: « Coyote est mort comme un chien. Crevé devant sa porte. De manque ou d’overdose. ». Le ton du roman est donné. Pour tous ceux qui estiment avoir trop lu les élucubrations de Burroughs ou qui ne veulent plus entendre parler de benzédrine, abstenez-vous. Et c’est sans compter la couleur du titre, annonciatrice de la quantité d’hémoglobine qui va vous éclabousser.
Mais revenons-en au début. Qui est Coyote ? Il est le premier maillon d’une chaîne qui aurait dû aider le narrateur à retrouver Julie, sa compagne disparue depuis quelques jours. Coyote, Julie, Cédric, Coralie et les autres ont entre vingt et trente ans au début des années 90. Ils sont déjà loin de l’engagement et de l’idéalisme des années 70. Les guerres d’indépendance ont eu raison d’une génération. Tchernobyl a créé l’inquiétude permanente. Ces personnages, déjà abîmés par leurs tragédies personnelles, vivotent un peu misérablement en se confrontant à des dangers bien réels. Telle une meute de chiens – décidément Coyote portait bien son nom –, ils se reconnaissent, se reniflent, s’allient et s’entretuent. Socialement peu compatibles, ce sont la musique, le besoin de s’évader et bien entendu la drogue qui leur ont permis de se rencontrer.
Boulevard de la mort, version breizh
Après la mort de Coyote, hécatombe dans la petite bande. Le narrateur est sauvé in extremis d’une situation carrément glauque par Le Strange (« L’Étrange » pour les ringards et les non anglophones). Commence alors un irréel road movie nocturne. Á leurs trousses, un Homme en noir et ses sbires. On a bien compris que les mecs en costard noir, ce sont de gros bonnets et des types pas franchement arrangeants. Alors qu’ils tracent la route, le narrateur revient sur son enfance et sa rencontre avec Julie (motif un peu éculé certes, mais qui a fait ses preuves). Sur fond musical ponctué par des groupes de rockabilly, glam, punk ou encore hard rock, nous est révélée sa tragédie. Le récit de ses pensées est haletant, prenant en compte les nombreuses pauses seringue, sniffage et fumage. L’excès de prises de substances imprègne son discours. Le narrateur semble souffrir d’insuffisance respiratoire et tel un slameur, il déconstruit un langage formel qu’il se réapproprie en laissant en chemin verbes et pronoms. L’auteur prend plaisir à mélanger les langues, les registres et ses influences culturelles. Résultat : l’anglais n’est plus traduit, il côtoie un argot désuet dans une forme poétique qui emprunte à la musique ses associations phonétiques et son rythme.
Puis, le road movie prend brutalement fin, laissant place à une scène apocalyptique de massacre dans une boucherie (symbole un peu lourd) digne d’un bon vieux film gore.
L’exergue, empruntée à Sénèque, plaçait ce roman sous le signe de la bestialité des hommes et de la noirceur de la société. La mort y est omniprésente. L’amour, destructeur et éphémère. Mais contre toute attente, la scène de fin est quasi mystique. Comme rien n’était totalement irrémédiable. Le punk est mort ? Vive le rock.
Dans le rouge
Thierry Mattéi
Éditions Jean-Claude Lattès
328 pages
18,50 €