Chloé Delaume
Chloé Delaume DR

Être heureuse

Chroniques

Le « Je » de Chloé Delaume est-il un autre ? Il y a en tout cas quelque chose de résolument actuel, dans ce petit roman... Une sorte de froideur et de chaleur mélangées, comme des couleurs que l'on tourne avant de peindre ; comme si la mélancolie prenait parfois le pas sur la réalité, aussi. Et puis, il y a cette transgression des genres et des codes : Une femme avec personne dedans raconterait presque la quête de soi quand on commence à ne plus trop y croire...

Mettre des mots avec des mots, créer une harmonie, faire jouer les contraires. Entrechoquer l'écrit et les sons qui résonnent, qui raisonnent. Sentir que l'on tient quelque chose quand on écrit, se dire qu'on fait du sens, que les phrases sonnent juste. Que les paragraphes, mis bout à bout, finissent par parler pour nous. Pourquoi écrit-on, après tout, sinon pour coucher sur le papier ce qui nous constitue ? Écrire est un acte égoïste, même si cela parle à d'autres
que soi. Ainsi, si l'on part du principe qu'un livre est avant tout un support
de réflexion, ou plutôt une proposition à réfléchir, Une femme avec
personne dedans m'a fait penser pendant quinze jours. Je ne la connais ni ne la comprends totalement, Chloé Delaume... Et cela n'est pas le propos ; j'avais simplement lu Dans ma maison sous terre et j'en avais eu une impression étrange, de déjà-vu, un peu comme si l'histoire me parlait intimement sans vraiment toucher du doigt l'essence de ce ressenti. L'histoire se répète dans son nouveau livre : et ce que j'en saisis, c'est que Chloé Delaume cherche tout simplement à être heureuse en étant (ou en restant) elle-même. Même si cela doit passer par un changement du tout au tout. Au-delà de l'autofiction, genre on ne peut plus rabâché, le texte conteste la norme, le contexte, teste les possibles ; et l'auteur s'oppose finalement aux diktats sociaux, en contredisant le patriarcat...
Fatigué, à la limite de la nausée, le roman est une invitation à penser nos habitudes, à regarder de plus près ce qui compose nos priorités et nos certitudes : ce projet de maternité est-il primordial ? Cette grossesse est-elle vraiment envisageable ? L'enfant que je souhaite n'est-il pas qu'un souhait personnel, exclu d'une certaine réalité sociale?

L'empire du ventre

Dans notre société, il est une évidence : on ne se réalise vraiment qu'à travers l'enfantement. Ou plutôt la procréation. Cette génération de génération. Dans une perspective nouvelle, ne pourrait-on pas envisager l'inenvisageable, celui de s'auto-générer ? Cela reviendrait à se regarder un peu plus qu'à travers les miroirs de nos salles de bain... Que ce soit en se rasant le matin, ou en se maquillant le soir. En ce sens, Chloé Delaume s'inscrit définitivement dans les courants du féminisme moderne : oui je suis une femme, mais non je ne veux pas forcément me définir comme mère nourricière avec force landaus, langes et biberons. Mon ventre n'est pas votre ambition... Pire, même : père et
mère ne sont-ils pas issus d'une même fiction ?
Alors, on pourrait gloser sur la déconstruction du corps social, des identités imposées, et de toutes ces conventions qui font mal ; il n'empêche qu'être soi, c'est un peu plus qu'une question de recherche universitaire. Il en va de l'affirmation de soi, d'une inscription
sociale dans un quotidien bien réel. En somme, Chloé est quelqu'un qui pense et qui agit, qui questionne le devenir-soi, et plus encore... Une femme avec quelqu'un dedans.

Une femme avec personne dedans

Chloé Delaume

Le Seuil

140 p. - 15 €

Last modified onsamedi, 03 mars 2012 12:48 Read 2728 times