Zone rencontre… Pierre Stasse
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Les Restes de Jean-Jacques est un premier roman qui surprend. La légèreté comique des premières pages n’a d’égale que la profondeur de celles qui suivront. On y croise une galerie de personnages attachants, qui, sous des airs de Matadore, cherchent la porte de sortie vers un peu moins de fragilité. Rencontre avec un jeune auteur impliqué.
D’abord l’envie d’écrire : accident, ou vocation ?
Non, pas depuis toujours. Très tard en fait. J’ai commencé en première année de Sciences-Po, vers 19 ans donc. Il n’y a pas vraiment eu de déclencheur, plutôt un goût de lecteur. Un jour, je me suis dit : si j’aime tellement les livres, pourquoi ne pas tenter de retranscrire à mon tour ? J’ai essayé, un premier, un deuxième, un troisième. Finalement c’est le quatrième qui a marché.
Justement, ce roman a une histoire je crois…
Oui, j’étais en quatrième année, je rentrais d’un an à McGill, l’université de Montréal, où j’avais étudié littérature et philosophie, et une amie m’a parlé d’un concours de nouvelles organisé chaque année à Sciences-Po. J’ai donc écrit une nouvelle grâce à laquelle j’ai gagné le concours. Dans le jury, il y avait, entre autres, David Foenkinos, Serge Joncourt, Guillaume Robert, éditeur chez Flammarion et Jacques Buob, à l’époque rédac chef du Monde 2, qui a tellement aimé la nouvelle qu’il l’a publiée dans le magazine, ce qui m’a donné une visibilité. Guillaume Robert m’a aussi recontacté tout de suite, en me demandant si j’avais quelque chose de plus conséquent à lui proposer. Nous avons alors travaillé sur un texte pendant un an. On s’est vu tous les mois et, au onzième refus, j’ai jeté l’éponge. Je suis parti pendant 7 mois et suis revenu avec un nouveau texte. Cette fois, il m’a rappelé quatre jours après pour me dire qu’il le publiait : quinze jours plus tard, le contrat était signé.
Une des forces de ce roman, c’est l’humour. Parce que c’est important pour vous ? Ou c’est venu naturellement en écrivant ?…
En fait, c’est avant tout un élément que j’aime particulièrement quand je lis. Curieusement, je me rappelle bien des romans dans lesquels il y a par moments une vraie drôlerie, même s’ils peuvent être bouleversants par ailleurs. Par exemple, Eureka street de Robert McLiam Wilson qui a écrit sur Belfast. Même quelqu’un comme John Irving qu’on trouve souvent populaire et que personnellement j’aime beaucoup : j’étais mort de rire en lisant Le Monde selon Garp. C’est donc avant tout un vrai plaisir de lecture qui m’est venu en écrivant. Avec le recul, je me suis rendu compte que c’était ma manière à moi d’écrire certaines choses sans avoir à en passer par le tragique. Je trouve ça plus dur d’être juste dans le tragique car il faut essayer d’éviter de tomber dans le pathos, loin d’être évident. Et surtout, mais peut-être est-ce là plus stratégique, je crois qu’on se démarque plus en étant drôle qu’en étant dramatique ; parce que des gens qui écrivent sur des types devenant fous, ou suicidaires, ou s’entretuant, il y en a beaucoup…
On aime aussi la façon habilement discrète dont vous transformez peu à peu votre héros, au départ chômeur, paumé, amoureux de la mauvaise fille, au statut de travailleur envisageant de faire un enfant à la femme de sa vie. Cette évolution le rattache d’ailleurs à la tradition du roman d’apprentissage. C’était volontaire ?
Je connais un peu cette littérature. Mais selon moi, je termine justement le roman avant qu’il ne prenne ces décisions. En fait, je tenais surtout à deux choses. D’abord me démarquer d’une certaine littérature en vogue il y a quelques années : en gros, des mecs qui ne foutent rien, qui trouvent la vie tellement dure qu’il vaut mieux boire des coups, niquer dans tous les sens, bref ne rien faire contre. Je voulais montrer qu’il y a une manière de s’épanouir et faire des choses intéressantes, même d’un point de vue juste artistique, sans nécessairement être dans l’exclusion par rapport à une société qu’on juge trop banale.
L’autre chose, c’était souligner le retour à un certain conservatisme. De plus en plus de gens trouvent dans une vie bien cadrée, un rempart contre leurs angoisses, réelles ou fantasmées. Se mettre en ménage très jeune, chercher avant tout un boulot stable… On n’arrête tellement pas de nous dire qu’il faut avoir peur de tout, que les gens cherchent en priorité l’absence de précarité. Pour mon héros, c’était un entre-deux qui n’aboutit pas vraiment : il reprend un boulot, mais c’est temporaire. Il pense à se marier, mais elle refuse. Et arrive finalement l’idée de cet enfant. On lit donc un an et demi de cette existence qui, certes, va vers ce conservatisme, mais avec cette conscience-là, ce qui est, je pense, une trajectoire intéressante.
Vous êtes aussi plutôt doué pour l’art du portrait. Vos personnages sont tous hauts en couleur, assez cabossés par la vie, mais très humains malgré tout : vous aimez portraiturer ainsi les personnes autour de vous ?
Cela correspond en effet à la façon dont je perçois les gens. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a dans mon entourage que des fous furieux ! En revanche, je suis attaché à l’idée que je connais bien mes proches, que si j’avais à écrire 20 ou 30 lignes sur chacune des personnes que je considère comme proches de moi, j’en serai capable. C’est vraiment important pour moi. Je ne conçois pas d’être ainsi dans un tissu de relations sociales assez serré en me disant « ces gens-là, je ne saurais pas dire quels sont leurs caractères principaux ». Quand je parle de mes personnages, ce sont bien sûr par certains côtés des stéréotypes, mais il y a une vraie sincérité chez eux qui correspond vraiment à la façon dont je me comporte, moi, au quotidien.
Parmi ces personnages, certains sont l’occasion de deux anecdotes assez marquantes : l’une est très burlesque : il s’agit de la mère enterrée à la place d’une autre, sous un faux nom ; l’autre a une tonalité bien plus dramatique : c’est le récit que fait l’éditeur américain à Paul, votre héros, de son grand amour pour un jeune homme qui finit tragiquement, un très beau passage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La première anecdote est un vrai mélange. C’est drôle, c’est une manière de dédramatiser de la mort : il y a un côté impertinent dans cette situation qui ne s’y prête pas a priori, et qui, moi, me charme.
L’autre a plusieurs origines : une volonté de parler de quelque chose qui me tient à cœur, à savoir la plus ou moins grande tolérance d’une société face à des comportements qui sont considérés comme déviants – dans mon livre, c’est l’homosexualité, mais ça aurait pu être autre chose ; je cherchais un moyen d’en parler de façon intelligente, en tout cas pas de façon larmoyante ni didactique, et j’ai eu l’idée de le faire à travers cet homme qui raconte son histoire. C’est aussi une manière de rendre hommage à une littérature qui m’a habitée longtemps : ce sont les personnages de Bukowski, certaines bribes de John Fante, ou même dans certains de mes personnages, il y a des délires venant tout droit de Scott Fitzgerald.
Enfin, c’était le défi littéraire de faire une longue digression : c’est courant, mais le faire à dix pages de la fin, ça l’est moins. Je voulais voir si cela pouvait marcher, et je pense qu’en fait, ça donne un nouveau souffle. On arrive à la fin, on se demande ce qui va se passer et soudain, il y a cette histoire qui débute. Je me trompe peut-être, mais je pense que si j’avais fait cent pages sur le rapport de la normalité sociale avec l’homosexualité, ça aurait été ronflant et assez peu habile…
Pour finir, quels sont vos projets ?
Je suis en train d’écrire mon prochain roman, qui me tient énormément à cœur. Je l’écris à la troisième personne, ce qui est pour moi très difficile. Mais surtout, il est plus ambitieux. Il est à la fois sur le thème des indifférences sociales et sur un thème qui m’obsède : en gros, on n’est pas la génération, mais on est la période du retard. Ainsi, dans le roman Disgrâce de Coetzee, un des thèmes forts est que, pour certains des personnages, il est trop tard : il s’est passé quelque chose dans leur vie collective ou personnelle, un traumatisme sur lequel on ne peut plus revenir. Le lecteur suit donc ces personnages mais en sachant que, pour eux, ce n’est plus la peine d’espérer. Or, je suis très marqué par la prégnance de cette idée à l’égard de notre société, selon laquelle il est trop tard par rapport à une certaine vie spirituelle, par rapport à nos espérances philosophiques ou métaphysiques, à nos espérances écologiques, etc… Comme si on avait perdu le droit à l’insouciance collective. Cela a déjà été traité sur le thème : “on est des trentenaires, on est dégoûtés”… Jay McInerney, Bret Easton Ellis, l’ont fait. Mais je ne veux pas le faire sous le même angle, pas sur le côté générationnel des gens qui ont de la tune et ne savent pas quoi en faire. J’aimerais le traiter de façon plus globale, dire qu’avant tout c’est un discours et, à travers mes personnages, montrer qu’on peut passer au travers et construire quelque chose. Bref, même si c’est difficile, je prends un vrai pied à l’écrire !
Propos recueillis par Maïa Gabily.
Les restes de Jean-Jacques
Pierre Stasse
Editions Flammarion
285 p - 17 €
Last modified onmardi, 12 janvier 2010 15:36
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