Les dessous du livre : Zone et Monsieur Stock
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Vous vous êtes forcément arrêté un jour sur une couverture bleue marine ou rose pétant des éditions Stock. L’homme qui a inventé la première s’appelle Jean-Marc Roberts, on l’a rencontré en pleine fièvre footballistique.
Ce qui frappe d’emblée quand on entre dans son bureau, c’est qu’il y manque quelque chose ; on cherche l’air de rien, on parcourt des yeux les étagères remplies de livres, quelques manuscrits, on observe le bureau plutôt bien rangé et là, on réalise : aucun ordinateur ne trône au milieu. On est forcément chez quelqu’un d’un peu spécial…
Cheveux gris, yeux clairs et souvent souriant, on lui donnerait la petite quarantaine et pourtant, Jean-Marc Roberts n’est pas nouveau venu dans l’édition : 35 ans qu’il y balade ses costumes bleus – une couleur qui lui a porté chance. C’est lui qui a adoubé la papesse de l’autofiction, Christine Angot. Lui qui publie des auteurs récompensés régulièrement même si pour l’instant le Goncourt lui échappe encore. Alors, les prix, il joue le jeu ou il s’en fout ? « Ah non, je ne m’en fiche pas ! Ca reste important et je me réjouis d’avoir été gâté en 2007 avec l’Académie pour Alexakis et le Goncourt des Lycéens pour Philippe Claudel ». Reste le Goncourt. « Oui, peut-être celui-ci est un prix qu’on te fait plus "payer" mais j’en discutais il y a peu avec le directeur de P.O.L et on se disait que nos maisons avaient la chance de pouvoir s’en passer. Minuit a attendu 1984 pour l’Amant de Duras, alors il suffit d’être patient, ce n’est pas si grave. » Pas si grave, un joli titre…
Mais revenons aux débuts. En 1972, à 18 ans, Jean Queyrolles lui publie son premier roman : auteur-éditeur, il l’inspire, lui qui ne veut pas n’être qu’auteur « Ca n’aurait pas suffit, je n’aime pas être seul ». Il entre donc chez Julliard en 1974, y restera jusqu’à fin 77, où on lui propose de s’occuper au Seuil des auteurs de Jean Queyrolles sur le départ : « Il n’était pas question de le remplacer, c’était un homme irremplaçable ». L’aventure dure 16 ans et puis juste avant 40 ans, il commence à étouffer « je me disais : je suis en train de mourir, j’ai fait le tour, je dois partir. Ce que je ne disais pas à l’époque, c’est qu’en plus je n’aimais pas Claude Scherki ! ». Il cherche, se laisse tenter par le Mercure de France et emmène avec lui l’éditrice Liliane Rodde : « Simone Gallimard était ravie de nous voir arriver et puis, 15 jours plus tard, ça n’allait plus du tout, je devais partir ! J’ai cherché à la raisonner mais non, elle ne m’aimait pas ! Comme un couple cuisinier/femme de chambre, il a donc fallu que Liliane et moi trouvions une nouvelle "maison"… ». Là, c’est un peu la panique, il galère jusqu’à ce que Claude Durand lui propose de gérer la littérature française chez Fayard et Stock : « c’est là que je crée la couverture Bleue ». Quatre années excitantes aux termes desquelles Durand cherche quelqu’un pour le remplacer chez Stock qui ne marche pas. « On passe l’été à évoquer des noms mais personne ne veut y aller, Raphaël Sorin, Hervé Hamon, tous refusent ». Et puis, fin octobre, Durand lui propose le poste.
Abasourdi, il hésite 48 heures et accepte « Je me suis dit que ça ne se présenterait pas deux fois ! », toujours suivi par Liliane. 99 sera une année miraculeuse, 2000-2001 plus dures, mais l’équilibre est atteint en 2002 et depuis 2003 - « je touche du bois » - c’est le bonheur. Roberts s’allume une cigarette : il s’offre le luxe de fumer dans son bureau, ne sortant que lorsqu’il est menacé d’une inspection ! On reparle de Stock. A part la célèbre Cosmopolite, Roberts a créé les autres collections : la Bleue donc, celle qu’il appelle la Framboise écrasée, et, en non-fiction : les Essais, Un ordre d’idée, l’Autre pensée, toutes alimentées par des responsables de collection. Il citera chacun de leurs noms, et l’impression qu’on avait se confirme : c’est un généreux, qui aime dire tout le bien qu’il pense des gens. Gratuitement. La collection des Documents, c’est plutôt lui, ça va de Simone Weil à Anna Sam dont les Tribulations d’une caissière lui valent un succès « inattendu » depuis juin. Bénéficiant une image identifiée auprès des libraires et de la presse, il essaie d’éviter les hors-collection et a diminué les parutions, 75 aujourd’hui contre 130 au départ. On a envie de lui parler de ce qu’il fait, des auteurs français qu’il publie : c’est un peu le grand écart entre la vie de Simone Weil, le Supplément au roman national d’un Jean-Eric Boulain – premier roman flamboyant sorti en 2007 - l’étonnant Vassilis Alexiakis, et puis ces récits de femmes plus intimistes, Nina Bouraoui et ses mauvaises pensées, la merveilleuse Brigitte Giraud et ses mots qui nous vont droit au cœur, les plus jeunes Camille de Perretti, Aurélie Filipetti, etc. Y a-t-il une marque Stock ? « Regardez plutôt ce qu’on ne fait pas » ! Pas de livre jeunesse, ni d’histoire, plus de beaux livres « je ne sais pas les faire et ils prennent la place d’une dizaine d’autres ». Et la politique ? Stock a une image traditionnellement de gauche, que fait-il des auteurs de droite ? « Disons que je préfère qu’ils soient publiés ailleurs que chez moi ! J’avoue que pour des raisons "éthiques", je n’irai pas publier certains d’entre eux.
Justement, parlons des manuscrits qu’il reçoit, on sait que c’est un des rares éditeurs à lire lui-même les envois. « Ceux qui me sont adressés, je les ouvre moi-même : c’est un peu la joie du matin » ! Il publie beaucoup de livres reçus par la poste, c’est un impulsif, comme son mentor Jean Queyrolles. « C’est le plus excitant ça ! Appeler quelqu’un qu’on ne connaît pas l’après-midi même de la réception et signer le lendemain ! ». Ce fut le cas des deux premiers romans qui paraîtront en septembre : Son absence de Justine Augier et Enculé de Pierre Biziou. Il fait cette comparaison amusante entre les manuscrits et les matchs de foot « Il faut tous les regarder pour en trouver un bon ! ». Il n’a d’ailleurs pas raté un match de l’Euro et on en est aux demi-finales : il avoue « je sais que ça n’arrivera pas mais je rêve d’une finale Russie-Turquie ! ». Hélas pour lui, ses pronostics furent bons puisque la finale se jouera entre leurs deux adversaires…
Revenons-en aux livres, que dire à ceux qui se rêveraient auteur chez Stock ? « Pas de recommandation surtout, cela m’exaspère ! Une lettre courte, la plus simple possible ». Le temps passe vite et on ne peut s’empêcher de revenir à cet ordinateur invisible : est-ce vraiment possible de travailler sans, d’ignorer internet quand on est éditeur au 21ème siècle ?! Son désamour pour la machine est très assumé. Il n’aime que la plume, emploie quelqu’un pour taper ensuite. On l’imagine assez bien en Monsieur Arnaud et on est d’autant plus content qu’il ait accepté cet entretien pour un media net. Il sourit lorsqu’on lui dit qu’on lui enverra la version papier : « Cela vaut mieux ! ». C’est un peu ça, Roberts, quelqu’un de passionné et d’attentionné pour ses auteurs, mais qui a aussi ses positions, parfois très tranchées. S’il a décidé qu’il ne taperait jamais sur un clavier, il ne le fera pas. Mais s’il vous a choisi comme auteur, alors vous pouvez lui faire confiance, il vous défendra bec et ongles. De plus en plus rare par les temps éditoriaux qui courent…
Déjà la fin. Avant de le quitter, on lui demande s’il y a un livre sorti cette année qui mériterait qu’on y revienne durant l’été : oui, Retro d’Olivier Bouillère chez P.O.L, l’enfance très particulière d’un homme aujourd’hui âgé de 40 ans, qui découvrait alors son homosexualité, « à ne pas mettre entre toutes les mains ». Il nous confie qu’il aurait aimé le publier lui-même, s’il l’avait reçu. Justement parlant de ça, des regrets en tant qu’éditeur ? « Ah oui ! un gros ! Quand le comité du Seuil m’a refusé Le Méridien de Greenwich de Jean Echenoz ». L’un des plus grands auteurs actuels et déjà « goncourisé » ? On le comprend.
Maïa Gabily
Photo: Didier Gaillard
Jean-Marc Roberts
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Ce qui frappe d’emblée quand on entre dans son bureau, c’est qu’il y manque quelque chose ; on cherche l’air de rien, on parcourt des yeux les étagères remplies de livres, quelques manuscrits, on observe le bureau plutôt bien rangé et là, on réalise : aucun ordinateur ne trône au milieu. On est forcément chez quelqu’un d’un peu spécial…
Cheveux gris, yeux clairs et souvent souriant, on lui donnerait la petite quarantaine et pourtant, Jean-Marc Roberts n’est pas nouveau venu dans l’édition : 35 ans qu’il y balade ses costumes bleus – une couleur qui lui a porté chance. C’est lui qui a adoubé la papesse de l’autofiction, Christine Angot. Lui qui publie des auteurs récompensés régulièrement même si pour l’instant le Goncourt lui échappe encore. Alors, les prix, il joue le jeu ou il s’en fout ? « Ah non, je ne m’en fiche pas ! Ca reste important et je me réjouis d’avoir été gâté en 2007 avec l’Académie pour Alexakis et le Goncourt des Lycéens pour Philippe Claudel ». Reste le Goncourt. « Oui, peut-être celui-ci est un prix qu’on te fait plus "payer" mais j’en discutais il y a peu avec le directeur de P.O.L et on se disait que nos maisons avaient la chance de pouvoir s’en passer. Minuit a attendu 1984 pour l’Amant de Duras, alors il suffit d’être patient, ce n’est pas si grave. » Pas si grave, un joli titre…
Mais revenons aux débuts. En 1972, à 18 ans, Jean Queyrolles lui publie son premier roman : auteur-éditeur, il l’inspire, lui qui ne veut pas n’être qu’auteur « Ca n’aurait pas suffit, je n’aime pas être seul ». Il entre donc chez Julliard en 1974, y restera jusqu’à fin 77, où on lui propose de s’occuper au Seuil des auteurs de Jean Queyrolles sur le départ : « Il n’était pas question de le remplacer, c’était un homme irremplaçable ». L’aventure dure 16 ans et puis juste avant 40 ans, il commence à étouffer « je me disais : je suis en train de mourir, j’ai fait le tour, je dois partir. Ce que je ne disais pas à l’époque, c’est qu’en plus je n’aimais pas Claude Scherki ! ». Il cherche, se laisse tenter par le Mercure de France et emmène avec lui l’éditrice Liliane Rodde : « Simone Gallimard était ravie de nous voir arriver et puis, 15 jours plus tard, ça n’allait plus du tout, je devais partir ! J’ai cherché à la raisonner mais non, elle ne m’aimait pas ! Comme un couple cuisinier/femme de chambre, il a donc fallu que Liliane et moi trouvions une nouvelle "maison"… ». Là, c’est un peu la panique, il galère jusqu’à ce que Claude Durand lui propose de gérer la littérature française chez Fayard et Stock : « c’est là que je crée la couverture Bleue ». Quatre années excitantes aux termes desquelles Durand cherche quelqu’un pour le remplacer chez Stock qui ne marche pas. « On passe l’été à évoquer des noms mais personne ne veut y aller, Raphaël Sorin, Hervé Hamon, tous refusent ». Et puis, fin octobre, Durand lui propose le poste.
Abasourdi, il hésite 48 heures et accepte « Je me suis dit que ça ne se présenterait pas deux fois ! », toujours suivi par Liliane. 99 sera une année miraculeuse, 2000-2001 plus dures, mais l’équilibre est atteint en 2002 et depuis 2003 - « je touche du bois » - c’est le bonheur. Roberts s’allume une cigarette : il s’offre le luxe de fumer dans son bureau, ne sortant que lorsqu’il est menacé d’une inspection ! On reparle de Stock. A part la célèbre Cosmopolite, Roberts a créé les autres collections : la Bleue donc, celle qu’il appelle la Framboise écrasée, et, en non-fiction : les Essais, Un ordre d’idée, l’Autre pensée, toutes alimentées par des responsables de collection. Il citera chacun de leurs noms, et l’impression qu’on avait se confirme : c’est un généreux, qui aime dire tout le bien qu’il pense des gens. Gratuitement. La collection des Documents, c’est plutôt lui, ça va de Simone Weil à Anna Sam dont les Tribulations d’une caissière lui valent un succès « inattendu » depuis juin. Bénéficiant une image identifiée auprès des libraires et de la presse, il essaie d’éviter les hors-collection et a diminué les parutions, 75 aujourd’hui contre 130 au départ. On a envie de lui parler de ce qu’il fait, des auteurs français qu’il publie : c’est un peu le grand écart entre la vie de Simone Weil, le Supplément au roman national d’un Jean-Eric Boulain – premier roman flamboyant sorti en 2007 - l’étonnant Vassilis Alexiakis, et puis ces récits de femmes plus intimistes, Nina Bouraoui et ses mauvaises pensées, la merveilleuse Brigitte Giraud et ses mots qui nous vont droit au cœur, les plus jeunes Camille de Perretti, Aurélie Filipetti, etc. Y a-t-il une marque Stock ? « Regardez plutôt ce qu’on ne fait pas » ! Pas de livre jeunesse, ni d’histoire, plus de beaux livres « je ne sais pas les faire et ils prennent la place d’une dizaine d’autres ». Et la politique ? Stock a une image traditionnellement de gauche, que fait-il des auteurs de droite ? « Disons que je préfère qu’ils soient publiés ailleurs que chez moi ! J’avoue que pour des raisons "éthiques", je n’irai pas publier certains d’entre eux.
Justement, parlons des manuscrits qu’il reçoit, on sait que c’est un des rares éditeurs à lire lui-même les envois. « Ceux qui me sont adressés, je les ouvre moi-même : c’est un peu la joie du matin » ! Il publie beaucoup de livres reçus par la poste, c’est un impulsif, comme son mentor Jean Queyrolles. « C’est le plus excitant ça ! Appeler quelqu’un qu’on ne connaît pas l’après-midi même de la réception et signer le lendemain ! ». Ce fut le cas des deux premiers romans qui paraîtront en septembre : Son absence de Justine Augier et Enculé de Pierre Biziou. Il fait cette comparaison amusante entre les manuscrits et les matchs de foot « Il faut tous les regarder pour en trouver un bon ! ». Il n’a d’ailleurs pas raté un match de l’Euro et on en est aux demi-finales : il avoue « je sais que ça n’arrivera pas mais je rêve d’une finale Russie-Turquie ! ». Hélas pour lui, ses pronostics furent bons puisque la finale se jouera entre leurs deux adversaires…
Revenons-en aux livres, que dire à ceux qui se rêveraient auteur chez Stock ? « Pas de recommandation surtout, cela m’exaspère ! Une lettre courte, la plus simple possible ». Le temps passe vite et on ne peut s’empêcher de revenir à cet ordinateur invisible : est-ce vraiment possible de travailler sans, d’ignorer internet quand on est éditeur au 21ème siècle ?! Son désamour pour la machine est très assumé. Il n’aime que la plume, emploie quelqu’un pour taper ensuite. On l’imagine assez bien en Monsieur Arnaud et on est d’autant plus content qu’il ait accepté cet entretien pour un media net. Il sourit lorsqu’on lui dit qu’on lui enverra la version papier : « Cela vaut mieux ! ». C’est un peu ça, Roberts, quelqu’un de passionné et d’attentionné pour ses auteurs, mais qui a aussi ses positions, parfois très tranchées. S’il a décidé qu’il ne taperait jamais sur un clavier, il ne le fera pas. Mais s’il vous a choisi comme auteur, alors vous pouvez lui faire confiance, il vous défendra bec et ongles. De plus en plus rare par les temps éditoriaux qui courent…
Déjà la fin. Avant de le quitter, on lui demande s’il y a un livre sorti cette année qui mériterait qu’on y revienne durant l’été : oui, Retro d’Olivier Bouillère chez P.O.L, l’enfance très particulière d’un homme aujourd’hui âgé de 40 ans, qui découvrait alors son homosexualité, « à ne pas mettre entre toutes les mains ». Il nous confie qu’il aurait aimé le publier lui-même, s’il l’avait reçu. Justement parlant de ça, des regrets en tant qu’éditeur ? « Ah oui ! un gros ! Quand le comité du Seuil m’a refusé Le Méridien de Greenwich de Jean Echenoz ». L’un des plus grands auteurs actuels et déjà « goncourisé » ? On le comprend.
Maïa Gabily
Photo: Didier Gaillard
Jean-Marc Roberts
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Last modified onmardi, 02 juin 2009 12:05
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