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La figure f�minine dans la litt�rature Arthurienne L'Arthurienne magnifi�e et descendue : on la fait vivre, on
l'ach�ve, sur l'autel et aux enfers. Les �crivains de la l�gende ne savent ni n'ont jamais su comment manier cette Femme.
Premi�res repr�sentations : figure d'exception et de nature divine. L'�l�ment f�minin chez Chr�tien de Troyes (1190, Le chevalier de la charrette est r��dit� en livre de poche),
correspond � la fois au v�cu de l'auteur, po�te officiel de la Cour de Marie de Champagne et probablement amant de celle-ci, et � la litt�rature courtoise en vogue de l'�poque. Sanctifi�e, aux sources de toute
qu�te, la Femme �l�ve ses fid�les � des sommets religieux, mystiques. Simpliste et emphatique, la version de Chr�tien d�pouille le gentil sexe de la culpabilit� et du p�ch� qui l'accablaient. Mais est-elle pour autant de
chair et de sang ?
Omnipr�sente et indispensable, elle n'en demeure pas moins la grande �th�r�e de la l�gende si elle est bien la sainte d�crite : elle symbolise le
potentiel extraordinaire de l'homme en tant qu'homme et h�ros. La figure f�minine n'est alors qu'une p�le incarnation de la valeur � r�v�ler en l'homme, existant � travers ce r�le et uniquement celui-ci. Et certains
passages de Chr�tien ne proc�dent � une sanctification qu'� double tranchant : ironis�e (trop parfaite pour �tre vraie !) ou ponctu�e de piques.
Gueni�vre n'est-elle pas l'emmerdeuse sur le bord d'envoyer Lancelot � la mort pour un mouvement d'h�sitation � un instant Y ? Le rapprochement entre Chr�tien et son l'anglais Sir Malory (Morte de Artur
en 1469, r��dit� chez Penguin Classic), qui lui semblait pourtant radicalement oppos�e, est alors possible. Ce dernier envisage l'amour comme une fatalit� plus
condamnable encore que celle qui l'inspire. Chute et pi�ge de l'homme d�tourn� de Dieu, la culpabilit� originelle nous mart�le, et si la faute commise est involontaire, elle ne r�v�le qu'une stupidit� �norme,
splendide. La Femme, dans ces conditions, porte tant de lourdeur que la seule issue passe par l'annihilation presque totale de sa pr�sence ; un effacement qui n'est finalement pas sans rappeler Chr�tien, fin gigolo de
ces Dames.
Tennyson et ses Four idylls of the King (http://www.landow.stg.brown.edu/victorian/te nnyson pour les textes en ligne) en 1859,
semble marquer le climax de cette d�marche manich�iste tout en rendant une plus grande tangibilit� de corps et d'esprit � la Femme. Il d�gouline d'une nostalgie de puret� moyen�geuse et de cette rigoureuse morale
victorienne qui craint la perte des valeurs caract�ristique des fins de si�cle. Alternativement sainte ou prostitu�e (qui permet � l'homme de la soci�t� victorienne de d�ifier son �pouse qu'il ne
conna�t que pour la perp�tuation g�n�alogique), le r�cit n'existe pas sans Elle : Elaine, dont le suicide tragique couronne une existence d'�motion, est l'antith�se de Viviane, courtisane
v�n�neuse. L'adult�re de Gueni�vre est responsable de la corruption du monde chevaleresque, tandis qu'Enid incarne la d�votion et la fid�lit� conjugale.
L'importance de la Femme r�v�le �galement l'amplitude que prend cette
derni�re au XIX�me : Victoria, alors au pouvoir, met en relief un bouleversement de la s�paration traditionnelle des r�les. Arthur en devient f�minin : la qualit� de ses origines est mise en doute, il ne tire pas sa
virilit� de l'�p�e enclum�e tandis qu'il re�oit Excalibur d'une femme, et pardonne l'adult�re sans le ch�tier. Sensibilit� ou couardise de l'homme (l�gu�es par�), beaut� ou vice de la Femme : Tennyson semble laisser
planer le doute et la r�demption. Mais � aucun moment celle-ci n'a r�ellement l'occasion d'y pr�tendre : Elaine, exalt�e et pu�rile, ne peut que se suicider, tandis que la profonde imb�cillit� d'Enid surpasse sa candeur,
ce qui n'est pas peu dire. C'est ici que le po�te �clate de rire et crie : halte ! Foin de manich�isme, la bonne blague� Ces femmes d�pourvues de malignit�, des cr�tines en puissance ! Ce rigoriste frustr� ferait-il
l'apologie du vice ?
Barjavel (L'Enchanteur chez Folio
, 1981) et Marion Zimmer Bradley (trilogie Les Dames du Lac en Livre de Poche, 1986) rendent-ils enfin � la Femme ce qu'elle a perdu de plus pr�cieux dans la litt�rarthure, son Humanit� ? La
pr�sence de l'astrologue et po�tesse Olenka de Veer aux c�t�s du romancier a certainement combl� un vide laiss� par les premiers auteurs et leurs filiations, espace dont l'�crivain de SF am�ricaine s'est �galement appropri� avec
talent et succ�s. Le tandem est ainsi parvenu � donner un souffle nouveau au mythe, tout en lui pr�servant l'�pique m�di�vale : Gueni�vre et Viviane se d�couvrent une v�ritable place en tant
qu'�tres p�tries d'imperfections et de c�ur, dans un univers o� la chevalerie le disputait � la virilit�. La Femme repr�sente la vie dans la n�gation du jugement, l'intelligence mise au service de causes collectives
autant que personnelles : elle est ce qui fautait � la l�gende et au h�ros, son miroir, sa compl�mentarit� hors d�pendance.
Mais les auteurs manquent malheureusement leur tournant pour aller
s'�craser lamentablement au fond d'une impasse : Viviane reste une Lolita perverse incapable de laisser un Merlin assailli par milles pulsions sexuelles auxquelles il n'a pas le droit de succomber. Elle est pr�sente �
chacun des instants critiques o� on la souhaiterait ailleurs, elle trouble, brime, entourloupe, bref elle est inutile si ce n'est lorsqu'elle d�cide de faire chanter les oiseaux et de faire s'�clore les fleurs (ce que, soit dit en
passant, ceux-ci font tr�s bien tout seuls). Et Gueni�vre l'immuable de baver devant un Lancelot que Morgane l'obs�d�e ex�cre pour son impuissance.
Chez Bradley, dont le point de vue est exclusivement f�minin, tout pouvoir et action d�cisives viennent de la
Femme, qui donne sens et ordre � l'organisation du Monde. L'atmosph�re est � la fois religieuse et politique, palpable dans l'influence d�cisive qu'ont Gueni�vre et Morgane sur le roi Arthur et dans leurs
intrigues subtiles. Le personnage de Morgane est remis � l'honneur : ploy�e sous la honte de l'inceste commis par ignorance, elle fait passer l'int�r�t g�n�ral avant les siens. La figure f�minine n'est plus ni sorci�re ni ange
impalpable ; rendue � son Humanit� dans toute ses dimensions, marqu�e par la peur de l'amour et de la d�cr�pitude. Enfin vivante.
Mais irr�m�diablement castratrice et tentaculaire. Le lecteur ne peut
d�cemment pas se convaincre de la totalit� de la figure f�minine qui n'existe ici que par la manipulation, souvent dispensable, de l'homme. Infantilis�, bern� par cette M�re aux allures de Gorgone qui ne parvient �
�tre son Amante, l'homme passe pour victime et c'est alors sur lui que se d�verse la compassion et les regards les plus attentifs. Comment va-t-il et peut-il encore assumer sa survie ? Son sexe ? L'excessif f�minisme dont
fait preuve la romanci�re �te � la l�gende ce qu'elle aurait pu avoir de po�tique, de magique. Nouveau genre, oui ; mais l'auteur a sans nul doute �chou� dans sa tentative de r�habilitation de la Femme : lecteur comme
lectrice sortent des Dames du Lac vaguement �c�ur�s d'un sein qui a certes trouv� sa totalit�, mais qui est cette fois trop pr�sent pour ne pas se faire envahissant, voire totalitaire.Jess L. Nelson |
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