23 Janvier 2003 |
Un jour j'irai rejoindre les for�ts. Loin des hommes et des villes, je courrai hors d'haleine. Il n'y aura ni n�vrose ni psychose, juste une folie douce et lib�ratrice. Ma course deviendra vol, la pluie ma source, la terre mon repos. Je ne vivrai plus pour moi, mon identit� se m�lera � l'univers ; en me livrant je saurai qui je suis. Les for�ts me rejoindront en une nuit. Celle de la sensation absolument inconsciente du d�sir incarn� en gestes. Il en est ainsi de nos petites existences, aussi �troites que peuvent �tre vastes les libert�s qui nous attendent. Face aux for�ts, quelque chose m'�chappe. Quelque chose de ma vie, une part cach�e, mais bavarde, et chuchotante. Elle ne cesse de murmurer depuis un recoin d'ombre, je distingue � peine son profil ; cette part semble parler seule, comme ces gens dans la rue qui articulent des mots pour eux-m�mes, � d�faut de trouver quelqu'un � qui se confier. Quelqu'un � qui se confier, oui, � qui s'abandonner, � qui s'avouer. Avouer ses peurs, et ses d�sirs, avant que je ne m'�chappe. Les for�ts dans mon dos, j'entends ce qui m'�chappe mais je ne le comprends pas. Juste pouvoir le ressentir me comble de visions, o� la peur n'a plus peur d'elle-m�me, ni de ses d�sirs rattrap�s. Je regarde la for�t depuis la vitre du train, et je la traverse, proche du r�ve. Le train roule comme la phrase qui m'emporte vers le point faussement final, toujours. L'arriv�e n'est qu'un d�part en sursis. J'aurai quitt� le paysage forestier, mais il m'attendra � la vitre d'un autre wagon, jusqu'au jour o� les d�bris de verre signifieront ma fuite d�finitivement finale. La for�t se refl�te dans la vitre du train, et dans mes yeux qui songent. La phrase s'�lance comme un train jusqu'� la prochaine station du souffle. Pause. Silence. Il est d'autres langues, le doute se tait. Le train me fait parler car il est articul� par le temps, filant sur la lisi�re du langage. Il fait parler la part cach�e, la pr�sence invisible en nous, notre double en devenir, notre visage possible avou� au bonheur. Le bonheur ? Equilibre entre la paix int�rieure et le chaos ext�rieur. Un �tat de gr�ce, l'extase approch�e, fr�l�e par une caresse o� la vie se r�invente dans l'appareil le plus simple de la cruaut�. Quand j'�treins une �me en un corps d�sir�, je sens cette gr�ce en extase, enjou�e, en joie. Elle galvanise la force primordiale des for�ts qui surgit � ma vitre. Je ne peux faire parler le train sans avoir conscience du plaisir qui palpite dans le d�sir qui m'a guid� vers la gare. Et bien s�r je donne volontiers la parole au plaisir plut�t qu'� cette carcasse de fer qui ne pense � rien sinon au voyage entrepris. Qu'elle me pardonne. Seul le frottement m�tallique des roues contre les rails me rappelle � la r�alit� du narrateur fou. Le bruit est l�, pr�sent dans ce chuchotis bruissant de la part d'ombre, cach�e. Dansant dans ce chuchotis, la gr�ce se m�le � la cruaut�, la voix du narrateur fou se fond dans mon �cho intime, des mots venus d'on ne sait o� se font entendre, ils s'insinuent dans le moindre espace cr�� par le silence, ces mots, toujours les m�mes, les indociles, les indicibles. Nous les entendons sans pouvoir les prononcer. Des �nigmes effront�es, aux griffes plant�es dans notre chair, au port altier, � la t�te de Sphinx, voil� ces mots. Ils sont notre mort, notre mise � mort. Et seul le narrateur fou me rappelle � la r�alit� du frottement m�tallique des roues contre les rails. Sa voix omnipr�sente devait sommeiller je ne sais o�, du moins voulais-je m'en convaincre. A peine. On croit � son silence, mais il nous trahit dans notre r�pit. Sans cesse et sans vergogne : il ne conna�t ni la honte ni la pudeur. Ces mots, contre toute attente, ne m'effraient plus. Ils sont r�tifs, qu'importe ? Qu'ils le restent. Qu'ils demeurent l�, dans leur gaine mis�rable et orgueilleuse. Car leur mis�re c�toie l'orgueil, tout comme la cruaut� embrasse la gr�ce. Leur terreur conjugu�e ne me retient plus prisonnier. Leur double jeu ne m'�crase plus. Le contact de la peau me parle davantage, et me fait parler comme ce train qui m'emporte vers l'�me d�sir�e en un corps. Et je n'effraie plus ces mots, en retour. Il arrive parfois que le langage nous fausse compagnie, par peur. On croit ne plus trouver ses mots, mais ce sont eux qui ne nous trouvent plus. Perdus en nous, errant dans les obscurit�s sans nom, ils t�tonnent. Les parois sont visqueuses, au doigt� ils ressentent les humeurs. Mais quand le d�sir leur dit de se taire, c'est un autre silence, celui de l'unisson. Les obscurit�s ont un nom qu'on ne prononce pas, et les parois deviennent duveteuses comme la peau qu'on embrasse. Richard Dalla Rosa lire l'interview de Richard Dalla Rosa lire le portrait de Richard Dalla Rosa |
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