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Entretien avec Philippe Labro
A l�occasion de la parution de son dernier livre Je connais gens de toutes sortes (�ditions Gallimard).
Pierre Lazareff disait que le journaliste ne doit retenir que l�essentiel... Alors quel est l�essentiel � retenir, chez Philippe Labro ?
Dans l�imm�diat, on peut retenir ce qui ressort de ce livre ! J�y montre le souci que j�ai eu toute ma vie de marier journalisme et litt�rature en pensant que les deux ne sont pas incompatibles, surtout dans l�exercice du portrait. On peut y apporter l�exp�rience du journaliste, qui consiste � observer, noter, pour ensuite d�crire, voir pour ensuite faire voir ; et y ajouter un semblant de style, de sensibilit� personnelle, d�interpr�tation de ces personnages vivants. Dans un deuxi�me temps, et nous avons l� l�essentiel de ce livre, il s�agissait de faire un exercice de relecture des ann�es apr�s. Les regarder et me regarder, constater les �volutions, apporter des textes in�dits.
J. Savigneau l�a d�fini tr�s bien dans Le Monde : c�est un livre qui est � la fois une s�rie de portraits, et un autoportrait.
Vous vous mettez un peu en danger, offrant aux lecteurs des articles que vous avez �crit jeune, et exer�ant votre sens de l�autocritique � leur �gard...
Il est sain de se remettre en cause, de faire preuve de lucidit� sur soi-m�me sans toutefois s�auto flageller. Bien entendu, il y a des fra�cheurs, quelques lacunes dans ces portraits qui sont volontairement subjectifs, impressionnistes, pointillistes m�me. Ce n�est pas une mise en danger mais une mise en perspective. On jette un regard sur ce que l�on a pu faire, et on y apporte quelque chose de nouveau, pour soi, pour le lecteur. Leur donner suppl�ment de vie et de confidence.
Quel est l�int�r�t des postfaces que vous avez mises aux articles sur Jack Nicholson et Jean-Jacques Goldman ? Elles sont tr�s courtes, n�ajoutent pas beaucoup � la mati�re...
Il ne s�agissait pas de re-calibrer chaque relecture de la m�me mani�re. Certains portraits ont suscit� l�envie chez moi de revenir plus longuement dessus, comme Lazareff, Modiano, Hemingway. Il m�a sembl� que les deux portraits dont vous parlez ne n�cessitaient pas un apport plus volumineux. Il ne faut pas rajouter pour rajouter. Pour Jean-Jacques, que je revois de temps en temps, et qui s��tait donn� dans ce portrait de mani�re tout � fait in�dite, eh bien je ne crois pas qu�il ait beaucoup chang�, psychologiquement comme humainement. C�est le �type bien� dont je parlais...
Comment avez-vous s�lectionn� chacun de ces articles ?
Pour parler modestement ou immodestement, parce que j�ai trouv� que c��taient les meilleurs... Depuis le d�but de ma carri�re de journaliste, j�ai �crit des milliers d�articles et n�en ai pas gard� le centi�me. J�ai fouill� dans ce que me restait, j�ai fait le tri parmi ces portraits que j�avais heureusement conserv�s en archives, et cela donne le r�sultat que vous avez sous les yeux. La s�lection a �t� assez facile.
Quel est selon vous le portrait le plus r�ussi sur le plan journalistique ? Et quel est celui qui vous touche le plus, qui vous a le plus �mu lors des relectures ?
Juger de ce qui est le meilleur, au sein de mon propre travail, serait un exercice de � self congratulation � qui n�est pas mon genre. Journalistiquement, il me semble cependant que le morceau de bravoure sur l�atmosph�re du commissariat de police lors de l�assassinat de Kennedy est quelque chose de nouveau, d�assez instructif, et de tr�s nourri. Et m�me s�il est empreint de beaucoup de sentiments et d��motion, de subjectivit�, le texte sur Jean-Pierre Melville poss�de �galement une certaine force.
Mais ce dont personne n�a parl� qui, pour le coup, n�est pas v�ritablement un portrait, mais qui compte infiniment pour moi, est ce chapitre sur le rugby de ma jeunesse, intitul� �La solitude du trois-quarts aile � l�instant du plaquage�. Cet article est de plus situ� � un moment de ma vie o� j�ai peu apr�s bascul� dans la d�pression. Il a donc une signification particuli�re pour moi, bien qu�il ne soit en rien un article d�pressif, mais bel et bien un v�ritable petit texte litt�raire. C�est une esp�ce de petit morceau de nostalgie et d��vocation, du Sud-Ouest, de l�enfance, des racines, d�un sport qui est bien plus qu�un simple sport, de la magie des noms et des mots, des premi�res exp�riences face � la brutalit� physique pour le jeune homme fr�le que j��tais. C�est probablement le meilleur texte sur le plan litt�raire, un portrait d��poque et de jeunesse.
Mon ami Patrick Modiano est le seul � l�avoir remarqu�, et il a �t� assez flatteur, le comparant � du Giraudoux ou du Vialatte.
Vous parlez aussi avec nostalgie de certains lieux qui n�existent plus... Etes-vous quelqu�un de nostalgique ?
Je ne crois pas que le terme �nostalgie� soit n�gatif ! La nostalgie vient � tout �ge, � tout moment. Il s�agit en fait du souvenir de moments heureux et forts, dont on sait qu�ils ne reviendront pas, et qui, lorsqu�on les �voque, suscite en vous une esp�ce de m�lancolie douce. Je pense que les �tres se d�finissent beaucoup en fonction de leur pass�, de leurs exp�riences, etc. Evoquant des lieux disparus, il ne s�agit pas seulement de les regretter, de vivre dans le Pass�, mais de revivifier chez le lecteur certains souvenirs ! La projection de ma propre sensibilit� peut d�boucher sur celle des autres... Une grande partie de mon travail litt�raire est plac� sous le signe de la nostalgie, puisque je parle de mon enfance, des Etats-Unis, du Sud-Ouest, de choses qui sont derri�re. Mais cela ne veut pas dire que l�homme que je suis se compla�t dans le souvenir.
Vous croyez qu�on �crit toujours pour quelqu�un ou quelque chose qui n�est plus ?
Non, pas toujours. Mon pr�c�dent livre, Manuella, est le r�cit des �mois d�une jeune vierge de dix-sept ans. Ce qui a surpris tout le monde : � Comment pouvez-vous, homme de soixante ans, vous mettre dans la peau d�une jeune fille ? � C�est l� qu�est le challenge... Quand on �crit, on ne pense pas forc�ment � quelqu�un. On pense � ce qu�on �crit. Alors bien s�r, certains moments, certaines influences, certaines personnes rejaillissent en cours de route, et vous envahissent de mani�re plus ou moins subtile et visible. Je d�die toujours mes livres � ceux que j�aime et qui m�aiment, ceux que j�estime, ma famille, car leur opinion compte pour moi plus que toute autre chose.
Pourquoi d�diez-vous Je connais gens de toutes sortes � Fran�oise Giroud ?
La d�dicace vient � la fin, en conclusion du recueil. Et j�y explique que je pense que c�est elle qui a initi� ce genre d�articles, qui a impos� le portrait en France. Il est donc tout naturel que je lui envoie cette pens�e.
Vous aimez �crire ? L��criture est-elle l�activit� qui vous donne le plus de mal, de fil � retordre ?
Il ne faut pas exag�rer, �crire n�est pas toujours une partie de plaisir, mais ce n�est pas une douleur non plus. C�est plut�t un d�fi, vous vous trouvez seul face aux pages blanches, face � la n�cessit� de cr�er sans l�aide d�une �quipe, sans autre regard que le v�tre.
Vous parlez du narcissisme inh�rent � toute cr�ation : �tes vous narcissique ?
Pas plus ou pas moins qu�un autre. On me l�a souvent reproch� ; mais si le narcissisme consiste � dire �Je� lorsqu�on �crit, � utiliser la premi�re personne, eh bien les trois-quart des romans sont narcissiques ! C�est simplement une m�thode...
Si �tre �Narcisse� consiste � se servir de sa propre vie, de son propre pass�, pour �crire des livres, alors oui je suis narcissique. Je ne suis pas le seul. Si enfin, �tre narcissique consiste � �tre pr�occup� par son image, par son ego, je consid�re qu�il y a bien longtemps que je me suis d�barrass� de ces soucis l�.
J�ai ma � bonne � dose de narcissisme, utile pour un �crivain, pour un cr�atif - je ne dis pas cr�ateur-, utile pour un artiste - avec un petit �a�-.
Etes-vous toujours aussi curieux qu�avant, lorsque vous �criviez ces articles, puisque vous dites que c�est la premi�re qualit� du portraitiste ?
Un journaliste-�crivain, ou un �crivain-journaliste, est dot� d�un go�t et d�un sens de l�observation du monde et des autres, donc il exerce sa curiosit� en permanence. Mais il ne se dit pas, � chaque fois qu�il rencontre quelqu�un, qu�il va en faire un portrait. Les gens ne sont pas tous int�ressants, ne retiennent pas votre attention de la m�me mani�re... En revanche, je sais qu�il y a en moi des r�serves d�accumulation d�observations, d�informations, qui me serviront � un moment ou � un autre. Pour l��criture ou pour autre chose !
Vous vous �tes d�j� reproch� votre manque de curiosit�, votre �non creusement� de certains instants ou de certaines situations ?
Bien s�r. On ne peut pas tout retenir, on n�est pas tout le temps � la chasse, l��il, l�oreille et le stylo aux aguets. On ne peut �tre en permanence dans l�exercice de son art. Si bien que j�ai d� manquer l�important de quelques rencontres, et je les ai sans doute tellement rat�es que certaines n�ont pas eu lieu !
D�autant que je ne suis pas que portraitiste, ce n�est qu�une facette de mon �criture.
Vous poss�dez beaucoup, de facettes... Lorsque vous aviez dix, douze, disons quinze ans, vous vous faisiez une question de votre avenir ?
Je voulais m�exprimer. L��criture semblait la voie la plus adapt�e, puisque j�ai commenc� � faire quelques compositions assez jeune. Je sentais qu�il y avait l� un champ o� j��tais � l�aise. Et je savais pouvoir exercer cela en m�me temps que satisfaire ma curiosit� du monde. Je voulais bouger, je voulais voir du monde, parcourir. A quinze ans, tout �tait d�j� pr�cis, m�me si cela ne se formulait pas en termes d�ambitions comme : je veux �tre �crivain, je veux faire des films, etc. C�est un �ge (j�ai fait un roman tout entier l� dessus d�ailleurs) o� il y a des tournants dans la vision qu�on a de sa vie. Quelques �clairs de lucidit� arrivent, et on a une prise de conscience de qui l�on peut ou doit �tre.
Vous aimez ce que vous �crivez ? Sont-ils conformes aux id�es que vous vous en faisiez, � ce que vous attendez ?
Je n�en ai pas honte, mais je suis tr�s critique, assez vigilant, et toujours insatisfait. Lorsque je les termine, ils sont relativement loin de ce que j�avais imagin� pendant le travail. Ils comportent des faiblesses, poss�dent leurs propres qualit�s. En ce qui me concerne, deux ou trois de mes �crits me semblent aboutis, plus convenables, comme mon premier roman, Des feux mal �teints, ou m�me L��tudiant �tranger. J�ai aussi pas mal de tendresse pour Un d�but � Paris. Il raconte ce que peuvent �tre les vingt-ans d�un jeune homme journaliste � Paris au d�but des ann�es soixante... Il repose essentiellement sur des rencontres et des portraits d�ailleurs... Propos recueillis par J. L. N.
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