#113 - Du 15 novembre au 08 d�cembre 2008

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Christophe par Claro


On a d'habitude autant de gratitude pour un traducteur que pour une poign�e de porte, une fois la porte ouverte. Pas pour Claro, qui r�ussit l'exploit rare d'imposer son nom et d'assumer le compagnonnage de g�ants comme Gass ou Pynchon sans pr�tention aucune.

Commen�ons simple : pourquoi Claro ?

L'explication est toute simple, toute belle : ma femme m'a toujours appel� Claro. C�est elle qui m�a dit que je pourrai signer comme �a. Beaucoup de gens ne m'appellent d'ailleurs que comme �a. Si on m'appelle Christophe dans la rue je ne me retourne m�me pas.

On a l'impression que vous ne faites qu��crire et traduire. Vous �tes un stakhanoviste de l��criture ?

Je bosse pas mal, c'est vrai. Ca n'a rien � voir avec les gens qui bossaient dans les mines mais je travaille 15 heures par jour g�n�ralement sur plusieurs projets de front. Quatre ou cinq traductions plus un ou deux romans. Cela cr�e une dynamique chez moi. L'exaltation de la traduction met parfois en branle la machine litt�raire, et je me dis � my turn �� Les projets se nourrissent l'un l'autre. Ecrire ou traduire c'est la m�me condition physique devant son clavier, le � shift � est intellectuel. Les livres sont gros mais c'est � cause de la litt�rature am�ricaine. Mais il est vrai que j'ai une fascination pour les gros livres, c'est un compagnonnage int�ressant pendant parfois un an ou un et demi voire deux ans� Les gros livres permettent de rester longtemps dans un univers. J'ai d�j� traduit des bouquins de 100 pages, c'est intense mais parfois frustrant�

On a l'impression que vous avez r�ussi � contourner la frustration d'�crivain que l'on imagine chez tous les traducteurs...

J'ai toujours �crit avant de traduire, la traduction s'est faite par hasard. La traduction est finalement une autre fa�on d'�crire qui permet de s'immerger dans des chefs d'�uvre... et d'une certaine fa�on d'en �tre l'auteur. Plus le livre est difficile, plus je le trouve int�ressant. D'autant que souvent on n'a l'impression de ne pas pouvoir le faire en fran�ais. Il faut �tre �crivain pour traduire puisque l'activit� de traduction repr�sente 50 % de destruction et donc de recr�ation ! En tous cas il faut �tre l'�crivain de la traduction. Pas une seule syllabe de l'original n'est gard�. Il faut un sens tr�s profond de l'�criture pour refaire le trajet avec la m�me impulsion.
M�me si j'�cris tous les jours, je ne me consid�re pas comme un romancier. La grosse inqui�tude de l'�crivain est qu'il se forge un style mais qu'� un moment il faut en sortir. A quel moment suis-je en train de me parodier ? c'est passionnant dans l'�criture : la brimade permanente pour ne pas �tre comme un singe savant. Ce qui est jouissif en litt�rature, c�est la prise de risque. Il n'y a pas de d�g�n�rescence de la litt�rature comme le pr�tend Richard Millet, c�est n�importe quoi. C'est la post�rit� qui cr�� la grandeur.

L'�criture est donc l'ain�e dans votre par cours, comment est venu la traduction?

J'ai commenc� au Seuil en relisant des manuscrits. J'�crivais d�j� � l'�poque et mon premier roman avait �t� publi�. J'avais eu les �preuves de l'Arc en ciel de la gravit� [de Thomas Pynchon, NDLR] chez Roche. La traduction �tait mal faite, coup�e, �a ne rendait pas hommage au texte. Denis Roche m'a dit "si tu as envie de traduire, vas-y !" Mon premier livre traduit s'appelait Kilom�tre Z�ro, ce qui �tait un bon d�but. Il faut savoir que la traduction est une �criture r�mun�r�e, je suis pay� au feuillet. 1500 espaces compris, on me paie m�me les blancs, autour de 20 euros le feuillet. C'est plus r�mun�rateur que les �-valoir des �crivains.

Vous �tes l�un des rares traducteurs � avoir votre nom sur les couvertures�

Si mon nom est sur la couverture, c'est parce que je l'exige. Seul Deno�l le fait d'embl�e� Chez Albin, ils ont une collection qui s'appellent grande traduction et le nom du traducteur n'est qu'en quatri�me de couv' ! Ce n'est pas par vanit�, mais il faut savoir d'o� le livre vient. Il faudrait pr�ciser en plus la provenance : anglais ou am�ricain ? pour moi ce n'est pas la m�me langue ! Pour �tre tout � fait honn�te il faudrait mettre � traduit du Pynchon �.

Vous �tes tout de m�me un des traducteurs les plus reconnus, il y a un sceau de qualit� Claro. C'est tout � fait in�dit dans le paysage litt�raire.

C�est un effet pervers de la presse, qui aime bien starifier, figer les personnes et les corporations. La premi�re fois ou on a parl� de moi, j'avais quatre traductions en m�me temps, c'�tait un hasard. Cette sortie massive de La maison des feuilles [Marc Z Danielewsky, Ed. Deno�l], Habitus [James Flint, Ed. Au Diable Vauvert] et Le Courtier en tabac [John Barth, Ed. Le serpent � plumes] avait impressionn� la critique � l'�poque. Les livres �taient gros, excessifs, monstrueux. Cette notori�t� est fragile mais elle me sert car je peux choisir et appuyer les textes que j'aime et elle sert aussi la cause des traducteurs. J'en connais beaucoup parmi mes coll�gues qui sortent trois traductions en m�me temps. Mais les bouquins sont plus t�nus, plus simple. Traduire La Route de Cormac Mc Carthy n'a rien de facile, le travail sur la langue est compl�tement diff�rent : le type a fait un travail formidable, j'en serais incapable. Moi je suis dans l'exc�s dans le lyrisme, je suis plus � l'aise dans le chaos. Les monstres que je traduis sont paradoxalement plus faciles car les champs lexicaux sont �normes.

Est-ce que vous faites le choix des traductions. Pynchon par exemple, vous vouliez le traduire ?

Pynchon, j'ai eu envie de le traduire parce que je l'adorais. William Gass je voulais le faire depuis des ann�es. En 1989, j'ai commenc� avec une liste de bouquins �normes que je voulais traduire : Vollmann, Gass d�j� � l'�poque. Et Jim Dodge que je viens de faire dans ma collection Lot 49 au Cherche midi, Stone Junction. Je me donne bien les moyens de soutenir ces textes difficiles. Pour Le Tunnel (Gass), on a fait 10 000 exemplaires. Powers, on a fait 30000 exemplaires avec Le Temps d'une chanson� On peut faire des livres qui ne sont pas actuels, je ne veux pas de me fixer sur ce qui sort aujourd'hui en lisant dix pages dans une chambre d'h�tel � Francfort. C�est le livre avant tout qui m�int�resse. Peu importe que l'auteur ait 85 ans comme Gass, peu importe sa parution.

Vous avez des rapports avec ces auteurs ?

En tant qu��diteur avec la collection Lot 49, nous commen�ons � avoir un beau catalogue. Lorsqu�on contacte les auteurs en leur disant qu�ils seront avec William Gass ou Richard Powers, ils se sentent en confiance, ma�tres et �l�ves se connaissent et sont contents d'�tre dans la m�me collection.

Et pendant la traduction ?

Pendant la traduction, j�aime bien �tre en correspondance par mail avec les auteurs mais je ne les rencontre qu'apr�s. Par exemple, avec Danielewsky, nous sommes vraiment amis maintenant. Pour le premier livre il ne m'a pas donn� d'indications, il me faisait confiance. Pour le deuxi�me j'ai quand m�me eu droit � quelques guides. Quand ils viennent � Paris, je les vois. Le traducteur est une sorte de lecteur id�al, qui conna�t des passages par c�ur, a lu trois fois son livre� C�est un rapport qui est tr�s fort.

Quel regard portez vous sur les auteurs que vous traduisez ? Il y a de nombreux "papys" dont l'avant-gardisme ferait trembler plus d'un auteur fran�ais.

Tous ceux que je traduis sont des exp�rimentateurs� En m�me temps je ne vois pas comment la litt�rature peut �tre autre chose. Ils inventent une forme particuli�re � chaque livre. Plein de gens en France font cela, on les conna�t moins, les Am�ricains sont d�complex�s, ils joueront avec la typographie, c'est leur c�t� enfant. En France, la litt�rature avant-gardiste des ann�es 70 a marqu� n�gativement : au del� de trois adjectifs, on devient lyrique. Il y a des gens hors norme : Pierre Guyotat, Antoine Volodine et Olivier Cadiot dont je suis un inconditionnel. Chez Verticales ou P.O.L, il y a un vivier. Je recherche des �crivains qui font des choses que je ne sais pas faire� de la technique mais surtout de l'�motion. La litt�rature fran�aise qui est mise en avant est usante, en prenant le temps de chercher il y a s�rement le futur Lautr�amont. Qu'il y ait une litt�rature bourgeoise pitchable en quatre secondes, c'est normal, c'�tait pareil dans les ann�es 20.

Vous employez beaucoup de m�taphores musicales dans l��criture et la traduction. Vous vous sentez concern� par la musique ?

Par la musicalit� de la langue en tout cas. C�est une particularit� que nous avons en commun avec Cadiot ou Pag�s. On travaille dans la musicalit�, avec l'oreille. J'adore la musique mais ce n'est pas li� � mon travail d'�crivain. Je veux penser � l'effet de lecture sur le lecteur. Je me pr�occupe moins parfois du sens. Le personnage principal de mes livres, c'est la langue. Je veux manipuler les lecteurs et montrer cette manipulation.

Et les Beatles dans tout �a ? J'ai remarqu� votre T-shirt...

Les Beatles ? J'ai commenc� l'Anglais avec les Beatles. Ma m�re m'avait dit que je ne comprendrai pas, j'ai eu un Harrap's et j'ai essay� de traduire. Le jour o� ma m�re m'a achet� ce dictionnaire, elle a fait une bonne action, m�me si aujourd�hui, je parle toujours mal anglais ! De toute fa�on, des Beatles � Pynchon, il n'y a que trois centim�tres. Les auteurs que je d�couvrais, je voulais que ce soit en Anglais. K�rouac c'est opaque, � 15 ans tu ne comprends pas la langue. Je voulais sentir la langue anglaise comme je sentais le fran�ais de Flaubert. Il y a la langue et l'esprit de la langue. J'adore les classiques, j'�tais plut�t bon �l�ve en fran�ais. J'ai d�j� entendu : � tu peux sauter les descriptions dans Flaubert �. Ca me r�volte, il se passe quelque chose en permanence avec les descriptions ! On ne peut r�duire la litt�rature � sa narration.

Propos recueillis par Laurent Simon

Propos recueillis par


 
Marie-Catherine Vacher
Nick McDonell
Tristan Garcia
Thomas Pynchon
Jean-Marc Roberts
Richard Powers
Enrique Vila-Matas
William Gibson
Lise Beninc�
Julien Blanc-Gras
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