Pura vida
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A toutes choses égales, la passion s'éteint... En ces temps où Walker est synonyme de prognathie intellectuelle, on eût pu se réjouir de lire la biographie d'un Walker émérite, texan pour parfaire la comparaison, et aventurier au grand pas de son état. C'est en fait l'histoire d'un continent qui nous sera contée, ou plutôt d'un sous-continent, comme il existe des sous-fifres : l'Amérique centrale. Patrick Deville décrit dans Pura vida l'amérique de l'entre-deux, cet ombilic aux luttes intestines. L'Afrique a ses républiques bananières, celle de central America sont caféières. Les dictateurs du cru ont l'uniforme et le teint olivâtres, les lunettes fumées et la médaille abondante : bienvenue aux pays des révolutions poétiques et des insurrections paysannes la faux à la main ou la faucille en tête, au choix.
L'enquête abymée
Managua, Tegucigalpa, Salvador et autres minuscules capitales : P. Deville les raconte avec le regard précis et blasé d'un realpoliticien . Des taxis crasseux, des sentes douteuses, les paupières lourdes de mauvais rhum cachées derrière un exemplaire d'El nuevo diario. A la recherche d'un témoin de ce qui ne peut encore être appelé Histoire : putschs anecdotiques, guerres pichrocolines... Témoins figés de ces non-évènements, les statues équestres : « si le cheval est cabré, les antérieurs bien décollés du sol, c'est que le héros est mort au combat. Une seule jambe levé et il est mort de ses blessures. Les quatre sabots au sol et le héros est mort dans son lit, loin de la fureur apaisée des batailles ». Ces monuments cristallisent l'ironie de Patrick Deville. A chaque village, sa place, à chaque place son héros. Tous suscitèrent l'espoir, tous le déçurent et finirent plus anonymes que leur montures. « l'héroïsme est une forme d'art ». Effectivement, c'est une statue équestre... Terrible désillusion pour celui qui pense que les héros survolent les générations le torse bombé, en incarnations plus qu'humaines de toutes nos aspirations.
La queue du Quetzacoatl
Les mayas avaient dans leur calendrier, outre les mois et années, une unité supplémentaire -Ximhmolpilli- d'une durée de 52 ans. Soit le temps de deux générations, le temps de la mémoire des hommes dont les souvenirs peu rémanents s'estompent au delà. Le règne des mayas a duré quatre siècles -ou huit Ximhmolpilli-, puis les conquistadores vinrent, disséminant les fièvres et la politique. Alors tout s'accéléra, les pyramides des anciennes civilisations vacillèrent. Quetzacoatl -le dieu serpent- se mordit la queue et la boucle fut bouclée. Un premier cycle put commencer, la folie importée au nouveau monde identique à celle de l'Ancien. Dans Pura vida, ces cycles sont des révolucions. Depuis Hernan Cortez jusqu'au Che Guevara, en passant par William Walker, les histoires se répètent en une ronde inconsciente. Autant d'hommes trop imbus ou trop aveugles de leur propre vanité, bâtisseurs d'empires vermoulus, de républiques vacillantes. « Francisco Morazan (...) fut celui qui détient avec Simon Bolivar ce record d'avoir été en moins de 12 ans, le président de la république de quatre états différents (...) William Walker ne le fut lui que dans deux états différents. » Sonora, El Salvador, Nicaragua : autant d'états aux frontières floues tant elles sont mouvantes à nos yeux que la narration de Deville a rendu séculaires. L'histoire des hommes : une cyclothymie encore aggravée par l'oubli.
Les petits pas dans les grands
Parmi les autres fantômes, Victor habite le livre, mendiant son passé. Personnage de l'entre-deux, sans histoire, sans personnalité. Il est l'incarnation de cette amnésie antérograde qui semble justifier l'histoire de l'Amérique centrale. Mais il n’est pas seul : dans nos pensées l'accompagneront peut être maintenant Roque Dalton, Carlos Reina, Narciso Lopez ou d'autres inconnus ressuscités ici. Même William Walker... Raison première de ce livre qu’il ne fait qu'enjamber, l'aventurier nous semble aussi vain que ses compatriotes de l'oubli. Il mourra, c'est certain... d'ailleurs chacune de ses apparitions est un sursis : « il veut devenir président de l'Amérique centrale (..) il ne lui reste plus que quatre ans à vivre ». Retombé en poussière, il balaiera les pays qu'il a voulu conquérir.
Les plus belles oraisons sont les plus sobres. L'auteur use de la virgule comme d'un soin palliatif à notre mémoire défaillante, surajoutant encore et encore. A force de détails, la luxuriance bouche l'horizon. Il manque à notre regard la hauteur et le détachement, perdus que nous sommes dans des jungles touffues ou des villages poussiéreux. Patrick Deville a ce terrible relativisme des érudits. Il sait que la réalité écrase le rêve, une fois les yeux ouverts. Il ne nous l'épargne pourtant pas. A toutes choses égales...Hélas !
Laurent Simon
Zone Littéraire correspondant
Pura vida
Patrick Deville
Ed. Seuil
280 p / 19 €
ISBN: 6287758819
L'enquête abymée
Managua, Tegucigalpa, Salvador et autres minuscules capitales : P. Deville les raconte avec le regard précis et blasé d'un realpoliticien . Des taxis crasseux, des sentes douteuses, les paupières lourdes de mauvais rhum cachées derrière un exemplaire d'El nuevo diario. A la recherche d'un témoin de ce qui ne peut encore être appelé Histoire : putschs anecdotiques, guerres pichrocolines... Témoins figés de ces non-évènements, les statues équestres : « si le cheval est cabré, les antérieurs bien décollés du sol, c'est que le héros est mort au combat. Une seule jambe levé et il est mort de ses blessures. Les quatre sabots au sol et le héros est mort dans son lit, loin de la fureur apaisée des batailles ». Ces monuments cristallisent l'ironie de Patrick Deville. A chaque village, sa place, à chaque place son héros. Tous suscitèrent l'espoir, tous le déçurent et finirent plus anonymes que leur montures. « l'héroïsme est une forme d'art ». Effectivement, c'est une statue équestre... Terrible désillusion pour celui qui pense que les héros survolent les générations le torse bombé, en incarnations plus qu'humaines de toutes nos aspirations.
La queue du Quetzacoatl
Les mayas avaient dans leur calendrier, outre les mois et années, une unité supplémentaire -Ximhmolpilli- d'une durée de 52 ans. Soit le temps de deux générations, le temps de la mémoire des hommes dont les souvenirs peu rémanents s'estompent au delà. Le règne des mayas a duré quatre siècles -ou huit Ximhmolpilli-, puis les conquistadores vinrent, disséminant les fièvres et la politique. Alors tout s'accéléra, les pyramides des anciennes civilisations vacillèrent. Quetzacoatl -le dieu serpent- se mordit la queue et la boucle fut bouclée. Un premier cycle put commencer, la folie importée au nouveau monde identique à celle de l'Ancien. Dans Pura vida, ces cycles sont des révolucions. Depuis Hernan Cortez jusqu'au Che Guevara, en passant par William Walker, les histoires se répètent en une ronde inconsciente. Autant d'hommes trop imbus ou trop aveugles de leur propre vanité, bâtisseurs d'empires vermoulus, de républiques vacillantes. « Francisco Morazan (...) fut celui qui détient avec Simon Bolivar ce record d'avoir été en moins de 12 ans, le président de la république de quatre états différents (...) William Walker ne le fut lui que dans deux états différents. » Sonora, El Salvador, Nicaragua : autant d'états aux frontières floues tant elles sont mouvantes à nos yeux que la narration de Deville a rendu séculaires. L'histoire des hommes : une cyclothymie encore aggravée par l'oubli.
Les petits pas dans les grands
Parmi les autres fantômes, Victor habite le livre, mendiant son passé. Personnage de l'entre-deux, sans histoire, sans personnalité. Il est l'incarnation de cette amnésie antérograde qui semble justifier l'histoire de l'Amérique centrale. Mais il n’est pas seul : dans nos pensées l'accompagneront peut être maintenant Roque Dalton, Carlos Reina, Narciso Lopez ou d'autres inconnus ressuscités ici. Même William Walker... Raison première de ce livre qu’il ne fait qu'enjamber, l'aventurier nous semble aussi vain que ses compatriotes de l'oubli. Il mourra, c'est certain... d'ailleurs chacune de ses apparitions est un sursis : « il veut devenir président de l'Amérique centrale (..) il ne lui reste plus que quatre ans à vivre ». Retombé en poussière, il balaiera les pays qu'il a voulu conquérir.
Les plus belles oraisons sont les plus sobres. L'auteur use de la virgule comme d'un soin palliatif à notre mémoire défaillante, surajoutant encore et encore. A force de détails, la luxuriance bouche l'horizon. Il manque à notre regard la hauteur et le détachement, perdus que nous sommes dans des jungles touffues ou des villages poussiéreux. Patrick Deville a ce terrible relativisme des érudits. Il sait que la réalité écrase le rêve, une fois les yeux ouverts. Il ne nous l'épargne pourtant pas. A toutes choses égales...Hélas !
Laurent Simon
Zone Littéraire correspondant
Pura vida
Patrick Deville
Ed. Seuil
280 p / 19 €
ISBN: 6287758819
Last modified onmercredi, 03 juin 2009 23:10
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