Stéphane Velut / Cadence
Etre neurochirurgien est-il un atout pour disséquer les âmes ? La Cadence de Stéphane Velut tend à prouver qu’entre suture et culture, la rime est suffisante.
Qu’un premier roman puisse convoquer en un « mash-up » abouti les poupées bizarres d’Hans Bellmer, l’autonarration précieuse de Stephan Zweig, l’entomologie délirante de Franz Kafka, a quelque chose d’exceptionnel. Et que l’auteur en question pratique la mystérieuse profession de neurochirurgien ajoute certainement au goût métallique de Cadence. Surréaliste, psychanalytique et un rien pervers, le roman mange à tous les râteliers de l’étrangeté. Et pour parfaire la parure extrême de l’auteur, ce huis-clos se déroule en 1933, au moment de l’éclosion du national-socialisme, décrite aux arrière-postes de son roman en reflet poisseux de la chute de son héros. Dans Cadence, Hitler ne beugle que dans le poste et le bruit des bottes est étouffé par le brouillard. L’oppression des juifs n’est pas le propos de Cadences, juste le bruit de fond idoine au calvaire décrit dans son roman. Mais revenons à nos moutons noirs. Bardé de références culturelles comme un général russe de médailles, l’imberbe Velut met en scène une histoire faite de symboles poids Welter sous une plume lourde/légère. Entendre : parfois empesée mais qui se sait aussi se faire délicate et gracieuse dans la douleur. Car douleur il y a. Son anonyme héros, un peu « snuff » avant l’heure, décide de réaliser un chef d’œuvre : créer de toutes pièces le sujet parfait avec l’aide d’un ami prothésiste – au nom étrange de Troost – et d’une jeune fille prépubère dont l’identité restera cachée. Profitant d’une commande officielle d’un certain Adolf Hitler, pour une toile dépeignant, comme il se devait à l’époque, l’Allemagne-éternelle-transfigurée-par-la-jeunesse-carmin-d’une-fillette-de-souche, l’artiste contrefait se met enfin à créer sa poupée, sa chose, son golem mécanique.
Pantin pervers
Etant donné l’appétence moyenne des nazis pour l’art « dégénéré » des Max Ernst et autres Klee, Kokoschka ou Kandinsky – et donc à plus forte raison pour le fétichisme tendance sadique que développe le peintre de Cadence – on se doute que la démarche est plutôt risquée. Pourtant, et sans déflorer l’intrigue, l’entreprise se sabordera de l’intérieur dans une bouffée délirante aigue très kafkaïenne. On sera gré à Stéphane Velut de ne pas avoir trop insisté sur l’allégorie balourde qui consiste à comparer les dérélictions de l’Allemagne aux mains du Führer et celle de l’innocent modèle torturé par la frustration de l’artiste raté. La ficelle eut plutôt ressemblé à une corde à nœuds. Mais Cadence est empreinte d’une telle brume psychotique que cette folie parait gratuite. Inhumanité, écoeurement, réclusion sont les trois mamelles de ce premier roman esthétiquement risqué. Pas de politique, pas de parabole, pas de dénonciation, pas d’autofiction… Rien que la geste littéraire. Au souvenir de certains passages, le métal court sous la peau. Malgré une certaine complaisance, le pacte avec le malin Stéphane Velut est donc rempli. Les peurs primales de la cage, du contact dur du fer sur la peau, de la monstruosité, de l’enfermement font leur office : Cadence comprime doucement la cage thoracique.
Laurent Simon
Etre neurochirurgien est-il un atout pour disséquer les âmes ? La Cadence de Stéphane Velut tend à prouver qu’entre suture et culture, la rime est suffisante.