Avec le temps...
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Avec ce premier roman érudit et habile, Gilles Heuré nous entraîne dans un voyage dans le temps littéraire et intime.
L’homme de cinq heures est un roman dont le titre pourrait difficilement être plus explicite puisqu’il s’agit de la recension de ce motif dans la littérature et plus largement dans les disciplines artistiques. Un jour, précisément à cinq heures, à la fermeture de la bibliothèque nationale (ce détail aura son importance dans la suite du récit), un dénommé Paul Béhaine, narrateur de son état, rencontre un étrange vieil homme qui se présente à lui sous le nom de Paul Valéry. Ce fameux Paul Valéry – rapidement rebaptisé par le narrateur, Monsieur V – se défend de la phrase que lui aurait attribuée André Breton selon laquelle on ne pouvait plus commencer un roman par « la marquise sortit à cinq heures ».
Où l’on passe du « cinq à sept » à l’heure fatidique
De cette étonnante entrée en matière vont découler de longs monologues sur le caractère invraisemblable de cette phrase. En effet, Monsieur V a justement entamé une quête absurde qui consiste à prouver la valeur incontestable de ce moment de la journée. Ces désormais fameuses cinq heures (du soir, on s’entend) vont alors être déclinées jusqu’à plus soif à travers le roman historique, la littérature romantique ou encore dans l’oeuvre d’Hemingway (qui, lorsqu’il n’est pas attablé dans un bar absurde aux quatre coins du monde, reste l’une des ultimes références littéraires). Évidemment la fantasmatique exhaustivité de Monsieur V inclut la beauté de la lumière (heure idéale pour découvrir le retable d’Issenheim), l’abandon voluptueux (l’auteur ose le « cinq à sept »), l’angoisse (vulnérabilité causée par la tombée de la nuit) et j’en passe. Cette accumulation démonstrative pourrait se révéler ennuyeuse si l’auteur ne prêtait pas à ses deux personnages dinguerie et humour. Il joue habilement avec certains codes de la littérature comme le roman libertin (scène truculente de voyeurisme des ébats d’un peintre et de son modèle) ou le récit d’érudition. Il nous amuse carrément avec une description de la réunion secrète des cinq-heuristes, pastiche d’une séance franc-maçonne.
Qui est M. V ?
Mais le mystérieux Monsieur V finit par s’évaporer dans la nature (enfin à Sète, ce qui n’est pas exactement le bout du monde) et la démonstration professorale laisse alors place à l’enquête du narrateur. Il serait malvenu de gâcher le suspense en dévoilant les secrets de l’étrange Monsieur V/ Paul Valéry. Mais, soudain, s’impose cette simple question : au fond, que sait-on du narrateur ? Pourquoi s’est-il laissé entraîner sans broncher dans cette obsession délirante ? Peut-être parce «c’est une heure indéfinie, qui ne correspond à rien de tangible, et c’est en cela qu’elle est palpitante. (on peut) y inclure tous les registres : philosophique, politique, amoureux et poétique. » Ce motif n’est-il pas un prétexte pour s’interroger sur la poésie du quotidien ? Quotidien heureusement nourri par tout ce qui nous entoure. Et d’ailleurs, l’étonnant hommage que l’auteur rend en remerciant les figures qui semblent l’accompagner en témoigne. Une façon remarquablement jolie et pudique de rendre justice à ce que l’on apprend, mais aussi à la façon dont on est capable de s’en détacher. Car, à chacun, il reste une quête éternelle : la vie.
L'homme de cinq heures
Gilles Heuré
Editions Viviane Hamy
285 pages
19 euros
ISBN: 9782878582