Moi, Mohamed Merah
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Difficile tâche que de se glisser dans la tête d'un terroriste et de le faire parler à la première personne. Mais Salim Bachi n'a peur de rien.
L'histoire se répèterait-elle ? Mohamed Merah, 2012 : quatre morts abattus au nom d'un islam dévoyé, puis lui-même descendu par le Raid dans sa planque. Khaled Kelkal, 1995 : huit victimes dans une trainée d'explosions et une mort programmée sur le goudron dans les contreforts du Lyonnais. Deux trajectoires baignées d'abandon et de radicalisation, deux passages par la case prison. La coïncidence est trop marquante pour n'être que le fruit du hasard. Il est donc intéressant, voire crucial de lire l'histoire de Khaled K avec en tête celle de Mohamed M. Salim Bachi y a d'ailleurs pensé lui-même en proposant dans une nouvelle parue dans Le Monde littéraire les carnages de Toulouse vus de l'intérieur de la tête du tueur. La polémique fut presque automatique à la clef pour sanctionner la qualité littéraire ou l'opportunisme de l'oeuvre.
La terreur de l'intérieur
Pour en revenir à Khaled Kelkal, cet enfant intelligent extrait de toute intelligence par... Par quoi d'ailleurs ? C'est la question centrale de cette autofiction : qu'est-ce qui mène des bancs de l'école publique à une rame du RER B muni d'une bouteille de gaz ? On attend encore évidemment la réponse, même si la prose de Salim Bachi donne quelques pistes. Déracinement, ostracisme, rébellion, endoctrinement... Le texte un peu surécrit de l'écrivain d'origine algérienne donne à voir toutes ces étapes en une longue écharpe de mot. En écrivain doué - Goncourt du premier roman pour Le Chien d'Ulysse -, Salim Bachi a donné ses mots à Khaled Kelkal et, si la fièvre du texte est évidente, on a du mal à prêter tant de profondeur à un tueur d'un vingtaine d'années. Il a fallu faire beaucoup avec peu : pas de procès, pas d'analyse, pas de mea culpa... il n'y a guère que l'interview de Khaled Kelkal par un universitaire allemand qui permet d'entendre sa vraie voix : " J'avais les capacités de réussir, mais j'avais pas ma place, parce que je me disais: l'intégration totale, c'est impossible; oublier ma culture, manger du porc, je ne peux pas ", peut-on lire dans cette interview de 1992, menée après son passage en prison. Salim Bachi a d'ailleurs largement utilisé ce texte pour incarner le tueur. Certaines pièces du puzzle sont pourtant connues : le passage par la case prison, l'influence délétère d'un entourage... A contrario, on ne pourra regarder de Mohamed Merah que quelques vidéos un peu kéké où, désespérant de normalité, le futur assassin fait des dérapages contrôlés au volant d'une grosse cylindrée.
Moi, Khaled Kelkal
Salim Bachi
Ed. Grasset
15 euros - 140 p.