AK
- font size decrease font size increase font size
<B>Ton dernier roman "quitter la France" est une lettre de rupture adressée à la France. Tu t'exprimes à elle avec un Verbe acéré, incisif, violent. Tu expulses tout ce qui te fait mal à vivre en son sein "maternel" sans te ni la ménager. Pourquoi ce besoin d'écrire ce livre ? </B>
Mes deux premiers romans (<i>Camping Atlantic</i> et <i>La Pause</i>, ndlr) traitaient de la place d’un individu dans un groupe, un milieu social. Quand ont éclatées les émeutes de banlieue, je me reconnaissais dans la violence qui s’exprimait, à la différence près que je retournais cette violence contre moi. Et je touchais les limites de l’autodestruction. Alors je me suis ressaisis, je me suis remis à écrire. Non pour interpréter les émeutes (ce n’est pas pour rien qu’elles se sont passées de mots), mais pour décrypter les symboles. Qu’est-ce qu’il y a derrière notre drapeau ? Comment vit-on ? Qu’attend-on ? Pourquoi le pays est-il « en crise » ? J’ai vingt trois ans, j’ai toujours entendu dire que le pays était « en crise », que c’était horrible, qu’il fallait débattre et agir… Mais au bout du compte, au bout de vingt-trois ans, tu t’aperçois que peu de choses avancent, et là, tu te dis que la neurasthénie semble convenir à tout le monde. Sauf que moi, ça ne me convient pas. Alors j’ai écrit ce livre comme un acte personnel de désobéissance civile.
<B> Lorsque tu as commencé à l'écrire, avais-tu un objectif précis en tête ? </B>
Non. J’ai commencé à écrire un pamphlet sur le sentiment de France, un peu à l’aveugle, pendant que j’écrivais un peu d’autofiction, comme ça, dans mon coin. Puis je me suis aperçu que les deux textes fonctionnaient comme une métaphore mutuelle. Et la métaphore, c’est un peu la base de la littérature, alors je me suis dit qu’en travaillant, je parviendrais à un texte vraiment intéressant, autant dans le fond, intime et social, que dans la forme. C’est à ce moment-là que les choses ont commencé à me dépasser. La première ébauche me faisait peur… Ce qui était plutôt bon signe ! J’ai continué…
<B> A la fin tu dis d'ailleurs au psychanalyste qui t'interroge sur la teneur de ton livre qu'il n'est en rien politique. Pourtant il l'est bel et bien... </B>
Il ne l’est pas au sens purement politique. Ce n’est pas un cahier de doléance ou un programme. Je ne suis pas un expert, je ne suis pas en mesure de dire qu’il faut telle augmentation de budget pour tel ou tel secteur, ou telles institutions – même si je suis instinctivement pour la reconnaissance du vote blanc et l’obligation de voter. En revanche, c’est politique au sens quotidien, de la même façon que de dire bonjour à untel ou untel, de lui serrer la main ou de ne pas le faire peut vite se révéler politique. C’est politique comme le fait d’éviter au maximum les noms de marques dans mes livres. Ou d’éviter à tout prix d’y parler de télévision et de people. Ou de toujours mettre un écrivain en exergue afin qu’un lecteur débutant puisse se dire « ah, tiens, la phrase me plaît, je vais acheter le bouquin »… C’est comme ça que j’ai commencé à lire. Ce sont les clefs que l’on m’a données. Maintenant, j’essaie d’en redistribuer quelques-unes… D’ailleurs je publie un petit livre grand public, à 2 euros, qui va dans ce sens là, en juillet. Cela s’appelle La littérature française est un jeu, chez Librio.
<B>Dans cette lettre tu écris noir sur blanc l'incompétence et l'absurdité de ce pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Un discours que l'on peut entendre dans les bistrots, les cafés, dans la rue... partout en tendant l'oreille. Comment aimerais-tu alors que les lecteurs ressentent ton texte ? </B>
C’est vrai. Ce sont des choses que l’on entend tout le temps, et que j’ai écrites, voire retranscrites. À partir de là, j’aimerais que ces gens-là se disent : ok, on prend acte et maintenant, on passe à autre chose, je vais agir, je vais m’engager « pour moi » et consacrer mon surplus d’énergie à mon prochain… Au lieu de débattre et de se plaindre pendant mille ans. Le débat en lui-même est une activité qui plaît beaucoup. On débat de tout sur tout et avec n’importe qui. Et quand le débat s’épuise, on en change, puis l’on revient dessus deux ans après. Parmi les exemples desquels je me sens très proche, il y a l’euthanasie, la prostitution, l’illettrisme ou la pauvreté… Et sur tous ces sujets, je me dis que c’est du mépris que de débattre comme on le fait. J’aimerais que l’on se sente un peu plus humble par rapport à tout ça. Que l’on ferme sa gueule quand une infirmière ou une prostituée parle de son métier. Et que les politiques ne disent pas : « Oui, vous avez raison de dire ça » parce que ce n’est pas avoir raison ou tort que de décrire le réel de la même manière que l’on n’a pas raison ou tort d’être transsexuel. Face à ça, nous devons nous protéger des commentaires et agir en terroristes. Chacun dans son domaine ou dans celui où il pense pouvoir aider. Comme Vincent Humbert, Augustin Legrand, Fabrice Lucchini (parce que c’est un terroriste, lui aussi) ou plein d’anonymes. Ou quelques écrivains comme Virginie Despentes que je ne me lasse pas d’aimer.
<B>Une des principales fonctions (pour ne pas dire essentielle) de l'écriture et de l'art en général tient à sa dimension subversive et par la même politique. Mais aujourd'hui on est loin de Molière, de Voltaire et de Maiakovsky! Quel est ton point de vue.</B>
Je ne suis pas du tout d’accord. Le seul truc, c’est qu’on n’explique pas l’œuvre d’Elfred Jelinek au 20 heures parce que ça n’intéresse personne. Et c’est terrible, parce que l’on passe à côté d’une vie énorme. Les centres d’intérêts collectifs se déplaceraient. On arrêterait de regarder la maison de son voisin en se demandant si Lapeyre, c’est mieux que Castorama. Mais on préfère éteindre les lumières des éclaireurs. Sauf quand la lumière est loin, qu’elle vient du passé parce qu’elle n’éblouit plus de la même façon. Elle ne met plus en danger. En parlant d’éclaireur, je suis récemment passé au cimetière Montparnasse où Guillaume Dustan est enterré. Je voulais revoir sa tombe. Je me rappelais de l’endroit exact où il était enterré mais je n’ai rien trouvé. Pas d’inscription, rien. Je ne sais pas pourquoi. En sortant, je me suis dis que c’était à l’image du sort que la société lui avait réservé. Alors, quand Michel Houellebecq l’évoque aujourd’hui avec énormément de tendresse (et qu’il est à peu près le seul mec à en parler), je me dis que Houellebecq, qu’on aime ou pas ses livres, est un écrivain d’utilité publique. Ça me bouleverse.
Zone Littéraire correspondant
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Mes deux premiers romans (<i>Camping Atlantic</i> et <i>La Pause</i>, ndlr) traitaient de la place d’un individu dans un groupe, un milieu social. Quand ont éclatées les émeutes de banlieue, je me reconnaissais dans la violence qui s’exprimait, à la différence près que je retournais cette violence contre moi. Et je touchais les limites de l’autodestruction. Alors je me suis ressaisis, je me suis remis à écrire. Non pour interpréter les émeutes (ce n’est pas pour rien qu’elles se sont passées de mots), mais pour décrypter les symboles. Qu’est-ce qu’il y a derrière notre drapeau ? Comment vit-on ? Qu’attend-on ? Pourquoi le pays est-il « en crise » ? J’ai vingt trois ans, j’ai toujours entendu dire que le pays était « en crise », que c’était horrible, qu’il fallait débattre et agir… Mais au bout du compte, au bout de vingt-trois ans, tu t’aperçois que peu de choses avancent, et là, tu te dis que la neurasthénie semble convenir à tout le monde. Sauf que moi, ça ne me convient pas. Alors j’ai écrit ce livre comme un acte personnel de désobéissance civile.
<B> Lorsque tu as commencé à l'écrire, avais-tu un objectif précis en tête ? </B>
Non. J’ai commencé à écrire un pamphlet sur le sentiment de France, un peu à l’aveugle, pendant que j’écrivais un peu d’autofiction, comme ça, dans mon coin. Puis je me suis aperçu que les deux textes fonctionnaient comme une métaphore mutuelle. Et la métaphore, c’est un peu la base de la littérature, alors je me suis dit qu’en travaillant, je parviendrais à un texte vraiment intéressant, autant dans le fond, intime et social, que dans la forme. C’est à ce moment-là que les choses ont commencé à me dépasser. La première ébauche me faisait peur… Ce qui était plutôt bon signe ! J’ai continué…
<B> A la fin tu dis d'ailleurs au psychanalyste qui t'interroge sur la teneur de ton livre qu'il n'est en rien politique. Pourtant il l'est bel et bien... </B>
Il ne l’est pas au sens purement politique. Ce n’est pas un cahier de doléance ou un programme. Je ne suis pas un expert, je ne suis pas en mesure de dire qu’il faut telle augmentation de budget pour tel ou tel secteur, ou telles institutions – même si je suis instinctivement pour la reconnaissance du vote blanc et l’obligation de voter. En revanche, c’est politique au sens quotidien, de la même façon que de dire bonjour à untel ou untel, de lui serrer la main ou de ne pas le faire peut vite se révéler politique. C’est politique comme le fait d’éviter au maximum les noms de marques dans mes livres. Ou d’éviter à tout prix d’y parler de télévision et de people. Ou de toujours mettre un écrivain en exergue afin qu’un lecteur débutant puisse se dire « ah, tiens, la phrase me plaît, je vais acheter le bouquin »… C’est comme ça que j’ai commencé à lire. Ce sont les clefs que l’on m’a données. Maintenant, j’essaie d’en redistribuer quelques-unes… D’ailleurs je publie un petit livre grand public, à 2 euros, qui va dans ce sens là, en juillet. Cela s’appelle La littérature française est un jeu, chez Librio.
<B>Dans cette lettre tu écris noir sur blanc l'incompétence et l'absurdité de ce pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Un discours que l'on peut entendre dans les bistrots, les cafés, dans la rue... partout en tendant l'oreille. Comment aimerais-tu alors que les lecteurs ressentent ton texte ? </B>
C’est vrai. Ce sont des choses que l’on entend tout le temps, et que j’ai écrites, voire retranscrites. À partir de là, j’aimerais que ces gens-là se disent : ok, on prend acte et maintenant, on passe à autre chose, je vais agir, je vais m’engager « pour moi » et consacrer mon surplus d’énergie à mon prochain… Au lieu de débattre et de se plaindre pendant mille ans. Le débat en lui-même est une activité qui plaît beaucoup. On débat de tout sur tout et avec n’importe qui. Et quand le débat s’épuise, on en change, puis l’on revient dessus deux ans après. Parmi les exemples desquels je me sens très proche, il y a l’euthanasie, la prostitution, l’illettrisme ou la pauvreté… Et sur tous ces sujets, je me dis que c’est du mépris que de débattre comme on le fait. J’aimerais que l’on se sente un peu plus humble par rapport à tout ça. Que l’on ferme sa gueule quand une infirmière ou une prostituée parle de son métier. Et que les politiques ne disent pas : « Oui, vous avez raison de dire ça » parce que ce n’est pas avoir raison ou tort que de décrire le réel de la même manière que l’on n’a pas raison ou tort d’être transsexuel. Face à ça, nous devons nous protéger des commentaires et agir en terroristes. Chacun dans son domaine ou dans celui où il pense pouvoir aider. Comme Vincent Humbert, Augustin Legrand, Fabrice Lucchini (parce que c’est un terroriste, lui aussi) ou plein d’anonymes. Ou quelques écrivains comme Virginie Despentes que je ne me lasse pas d’aimer.
<B>Une des principales fonctions (pour ne pas dire essentielle) de l'écriture et de l'art en général tient à sa dimension subversive et par la même politique. Mais aujourd'hui on est loin de Molière, de Voltaire et de Maiakovsky! Quel est ton point de vue.</B>
Je ne suis pas du tout d’accord. Le seul truc, c’est qu’on n’explique pas l’œuvre d’Elfred Jelinek au 20 heures parce que ça n’intéresse personne. Et c’est terrible, parce que l’on passe à côté d’une vie énorme. Les centres d’intérêts collectifs se déplaceraient. On arrêterait de regarder la maison de son voisin en se demandant si Lapeyre, c’est mieux que Castorama. Mais on préfère éteindre les lumières des éclaireurs. Sauf quand la lumière est loin, qu’elle vient du passé parce qu’elle n’éblouit plus de la même façon. Elle ne met plus en danger. En parlant d’éclaireur, je suis récemment passé au cimetière Montparnasse où Guillaume Dustan est enterré. Je voulais revoir sa tombe. Je me rappelais de l’endroit exact où il était enterré mais je n’ai rien trouvé. Pas d’inscription, rien. Je ne sais pas pourquoi. En sortant, je me suis dis que c’était à l’image du sort que la société lui avait réservé. Alors, quand Michel Houellebecq l’évoque aujourd’hui avec énormément de tendresse (et qu’il est à peu près le seul mec à en parler), je me dis que Houellebecq, qu’on aime ou pas ses livres, est un écrivain d’utilité publique. Ça me bouleverse.
Zone Littéraire correspondant
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Last modified onjeudi, 18 juin 2009 23:38
Read 1071 times