Trajectoire de l'idiot
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Deuxième roman à la hauteur du premier ? Mieux que ça : le jeune Thibault Lang-Willar se renouvelle brillamment. Jusqu'à quand ? Réponses de l'intéressé.
Votre premier roman, Chlore, a reçu le prix de la Vocation 2003. Est-ce que cette récompense vous a poussé à préférer la littérature à vos autres activités (paroles de chansons, critiques littéraires, scénario) ? Aimeriez-vous "choisir" ?
J’ai toujours préféré la littérature à mes autres activités, la littérature est un socle… le reste est divertissant. Choisir… non non non, je prends tout, je suis comme la mort.
Trajectoire de l'Idiot, comme dans votre précédent ouvrage, met en scène un personnage principal attaqué par un environnement désincarné, hybride, éclaté. A quel point votre perception personnelle de l'espace correspond-elle à celle de vos personnages ?
En fait, je fais une hyperréactivité au monde des signes dans le paysage… Que ce soit les publicités ou les panneaux indicateurs de direction, les bandes blanches pour signaler qu’on a le droit de traverser à tel endroit et pas un autre, les rampes pour handicapés en béton qu’on construit sur le bord des plages, tout ce qui a été conçu pour que les hommes se croisent sans accident, avec un maximum de fluidité, tout ce qui rend la vie liquide, a tendance à me rendre parfaitement tarré. Je suis contre le principe même de frontière…
Ce morcellement se poursuit dans votre style. Quelles étapes d'écriture avez-vous suivies ?
Aïe, c’est compliqué. J’avais l’habitude de prendre pas mal de drogues hallucinogènes et d’écrire ensuite… enfin les drogues ont cette vertu de faire entrevoir un autre pan de la réalité, un peu comme l’exemple que donne Roger dans Trajectoire, quand il passe sa main dans les particules de poussières qui flottent dans la chambre, avec le soleil entre les rideaux. Il y a un monde invisible emboîté dans le nôtre. Là, c’est le soleil qui sert de révélateur à toutes ces choses microbiennes, à cette autre monde qu’on ne voit pas. Mais il y a un nombre incalculable de révélateurs et autant de mondes emboîtés. Et on est là, au milieu. On est à l’intérieur d’une putain de poupée russe !
Bon là, par exemple, je n’ai pas du tout répondu à la question, et c’est un peu le problème que j’ai quand j’écris, je prend beaucoup de plaisir mais ça part un peu n’importe où et après, je dois concilier tout ces « n’importe où ». Et ça c’est beaucoup de travail.
Quels moyens utilisez-vous pour "lier" le texte, qu'il ne fasse qu'un seul corps ?
Je bois beaucoup de lait.
La crise de la trentaine alimente beaucoup de films, de livres. Le sujet ne semble pas vous intéresser. Quel regard portez-vous sur les écrivains français de cette génération ?
De ma génération tu veux dire… Je pense que ce genre de bouquin occupe beaucoup de place dans les librairies et la médiasphère. Surtout que ces trentenaires désabusés vont devenir des quadragénaires complètement désespérés et qu’ils risquent de continuer à publier. Et ça, ce n’est pas très joyeux. Secrètement, j’aimerais qu’ils se suicident. La délivrance par le sac en plastique !
Votre écriture suggère de nettes influences américaines. Quelles ont été vos lectures en la matière ?
En fait j’ai remarqué que plus le pouvoir politique d’un pays était puissant, oppressant, plus la littérature qu’il engendrait me passionnait. Rien de tel qu’un régime bien despotique ou une petite dictature pour faire de bons écrivains… J’ai adoré les russes de la première moitié du siècle… Le Maître et Marguerite de Boulgakov est un livre vraiment dingue… c’est à la fois une histoire d’amour, un poème philosophique, une parodie politique, tout ça dans un cadre complètement fantasmagorique (enfin il y a quand même le diable, un chat géant et Ponce Pilate dans ce truc !) Aujourd’hui la littérature américaine a clairement pris le pas (de la Beat Generation à Palahniuk, en passant par Don Dellilo), alors qu’en France, on traverse une période sauvagement sinistre avec des préoccupations d’ordres esthétiques et morales, on est loin de l’enthousiasme et de la « folie » des surréalistes.
Que vous apporte l'écriture ?
Le salut. Enfin je pense que de lire ou d’écrire, ça m’évite d’avoir à tuer. Et comme je suis un sentimental, ça m’ennuierait d’avoir à scalper une fille et de lui bouffer le cerveau. En fait, à bien y réfléchir, ça m’évite la prison.
Quel serait le plus beau compliment que l'on pourrait vous faire ?
Un compliment… j’insiste, mais je suis vraiment un sentimental alors bon, il ne peut venir que de la femme que j’aime.
Nouvelles :
Station Carnage, NRF, 2003.
Petit journal d’un Psychotique du vol 547, NRF, 2005.
Romans :
Chlore, Denoël, 2003.
Trajectoire de l’idiot, Denoël, 2005.
Propos recueillis par Maïa Gabily.
Zone Littéraire correspondant
Trajectoire de l'idiot
Thibault Lang-Willar
Ed. Denoël
250 p / 17 €
ISBN: 2207256154
Votre premier roman, Chlore, a reçu le prix de la Vocation 2003. Est-ce que cette récompense vous a poussé à préférer la littérature à vos autres activités (paroles de chansons, critiques littéraires, scénario) ? Aimeriez-vous "choisir" ?
J’ai toujours préféré la littérature à mes autres activités, la littérature est un socle… le reste est divertissant. Choisir… non non non, je prends tout, je suis comme la mort.
Trajectoire de l'Idiot, comme dans votre précédent ouvrage, met en scène un personnage principal attaqué par un environnement désincarné, hybride, éclaté. A quel point votre perception personnelle de l'espace correspond-elle à celle de vos personnages ?
En fait, je fais une hyperréactivité au monde des signes dans le paysage… Que ce soit les publicités ou les panneaux indicateurs de direction, les bandes blanches pour signaler qu’on a le droit de traverser à tel endroit et pas un autre, les rampes pour handicapés en béton qu’on construit sur le bord des plages, tout ce qui a été conçu pour que les hommes se croisent sans accident, avec un maximum de fluidité, tout ce qui rend la vie liquide, a tendance à me rendre parfaitement tarré. Je suis contre le principe même de frontière…
Ce morcellement se poursuit dans votre style. Quelles étapes d'écriture avez-vous suivies ?
Aïe, c’est compliqué. J’avais l’habitude de prendre pas mal de drogues hallucinogènes et d’écrire ensuite… enfin les drogues ont cette vertu de faire entrevoir un autre pan de la réalité, un peu comme l’exemple que donne Roger dans Trajectoire, quand il passe sa main dans les particules de poussières qui flottent dans la chambre, avec le soleil entre les rideaux. Il y a un monde invisible emboîté dans le nôtre. Là, c’est le soleil qui sert de révélateur à toutes ces choses microbiennes, à cette autre monde qu’on ne voit pas. Mais il y a un nombre incalculable de révélateurs et autant de mondes emboîtés. Et on est là, au milieu. On est à l’intérieur d’une putain de poupée russe !
Bon là, par exemple, je n’ai pas du tout répondu à la question, et c’est un peu le problème que j’ai quand j’écris, je prend beaucoup de plaisir mais ça part un peu n’importe où et après, je dois concilier tout ces « n’importe où ». Et ça c’est beaucoup de travail.
Quels moyens utilisez-vous pour "lier" le texte, qu'il ne fasse qu'un seul corps ?
Je bois beaucoup de lait.
La crise de la trentaine alimente beaucoup de films, de livres. Le sujet ne semble pas vous intéresser. Quel regard portez-vous sur les écrivains français de cette génération ?
De ma génération tu veux dire… Je pense que ce genre de bouquin occupe beaucoup de place dans les librairies et la médiasphère. Surtout que ces trentenaires désabusés vont devenir des quadragénaires complètement désespérés et qu’ils risquent de continuer à publier. Et ça, ce n’est pas très joyeux. Secrètement, j’aimerais qu’ils se suicident. La délivrance par le sac en plastique !
Votre écriture suggère de nettes influences américaines. Quelles ont été vos lectures en la matière ?
En fait j’ai remarqué que plus le pouvoir politique d’un pays était puissant, oppressant, plus la littérature qu’il engendrait me passionnait. Rien de tel qu’un régime bien despotique ou une petite dictature pour faire de bons écrivains… J’ai adoré les russes de la première moitié du siècle… Le Maître et Marguerite de Boulgakov est un livre vraiment dingue… c’est à la fois une histoire d’amour, un poème philosophique, une parodie politique, tout ça dans un cadre complètement fantasmagorique (enfin il y a quand même le diable, un chat géant et Ponce Pilate dans ce truc !) Aujourd’hui la littérature américaine a clairement pris le pas (de la Beat Generation à Palahniuk, en passant par Don Dellilo), alors qu’en France, on traverse une période sauvagement sinistre avec des préoccupations d’ordres esthétiques et morales, on est loin de l’enthousiasme et de la « folie » des surréalistes.
Que vous apporte l'écriture ?
Le salut. Enfin je pense que de lire ou d’écrire, ça m’évite d’avoir à tuer. Et comme je suis un sentimental, ça m’ennuierait d’avoir à scalper une fille et de lui bouffer le cerveau. En fait, à bien y réfléchir, ça m’évite la prison.
Quel serait le plus beau compliment que l'on pourrait vous faire ?
Un compliment… j’insiste, mais je suis vraiment un sentimental alors bon, il ne peut venir que de la femme que j’aime.
Nouvelles :
Station Carnage, NRF, 2003.
Petit journal d’un Psychotique du vol 547, NRF, 2005.
Romans :
Chlore, Denoël, 2003.
Trajectoire de l’idiot, Denoël, 2005.
Propos recueillis par Maïa Gabily.
Zone Littéraire correspondant
Trajectoire de l'idiot
Thibault Lang-Willar
Ed. Denoël
250 p / 17 €
ISBN: 2207256154
Last modified onlundi, 28 février 2011 15:50
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