Vies d'artiste
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Journée portes ouvertes dans le petit monde de l’art contemporain. Entrez dans Tout est beau, vous serez ensuite guidés par Marc Solal et découvrirez les ateliers d’artistes sous une lumière nouvelle, celle de l’ordinaire merveilleux. Rencontre.
Marc Solal, pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Je suis artiste plasticien, une appellation assez obscure, j’en conviens. Il y encore vingt ans, un artiste était soit peintre, soit sculpteur, soit graveur, soit photographe... Aujourd’hui, il peut choisir parmi toutes ces disciplines celle qui servira le mieux son intention. C’est pour cette raison que mon travail prend la forme d’installations où j’utilise la photo, le texte et parfois même la vidéo. C’est également pour cela que Tout est beau est né. Dans ce cas précis, l’écriture semblait être le medium le mieux adapté pour exprimer mon imaginaire. Avec le temps, je me suis rendu compte que j’éprouvais autant de plaisir à élaborer une histoire qu’à réaliser une image.
Tout est beau est votre premier recueil de nouvelles. Comment est-il né ?
J’ai écrit ma première nouvelle il y a environ dix-neuf ans. À l’époque, j’avais installé dans mon atelier un cercle de plumes blanches posées à même le sol. Quand les visiteurs marchaient trop vite, certaines plumes s’envolaient. Du coup, ils ralentissaient leur pas. De cette observation est née l’idée d’une nouvelle qui se trouve dans le livre. Par la suite, il m’est arrivé d’écrire de petites histoires, toutes mettaient en scène un artiste. Il y a deux ans, j’ai ressenti la nécessité d’en écrire davantage et je me suis entièrement consacré à ce travail. Certaines nouvelles sont restées inchangées, d’autres ont été remaniées. Une heureuse rencontre avec Charles Pépin qui dirige une collection chez Hachette Littératures a ensuite permis à ce livre d’exister.
Pourquoi avoir privilégié la nouvelle à la forme romanesque ?
C’est difficile de répondre car je n’avais aucune intention littéraire. Je voulais simplement raconter des histoires, de celles qui font voyager loin. Il me semble toutefois que le texte court est plus proche de l’image ou du geste.
En quoi vos activités d’artiste plasticien nourrissent-elles votre création littéraire et inversement ?
Je ne crois pas en une interaction unique entre art plastique et écriture. Un livre, un film, un opéra, une musique, une scène surprise dans la rue ou dans un café peuvent nourrir mon imaginaire. Depuis dix ans, mon travail de plasticien tourne autour du thème de l’identité. Un jour, alors que je me trouvais dans une salle d’attente, je suis tombé sur une revue « people ». La une du magazine était consacrée à une starlette au physique quelconque qui déclarait : « Maintenant, j’ai droit au bonheur ». Je me suis alors demandé pourquoi on consacrait une couverture à ce type de platitudes alors qu’autour de moi, évoluaient des personnes dont les vies, les physiques et les réflexions étaient bien plus intéressants. De ce constat est né un travail que j’ai appelé Doubles vies (Le Point du Jour Éditeur). Le principe de cet ouvrage était simple : un même portrait photographique accolé à deux curriculum vitae dissemblables, l’un réel, l’autre imaginaire.
Avez-vous, en art plastique comme en littérature, des modèles ?
Ce ne sont pas des « modèles » à proprement parler, mais il me semble évident que des personnages comme Marcel Duchamp ont laissé un héritage immense. Duchamp a par exemple donné aux artistes le droit de se libérer des contraintes de l’émotion. En littérature, Clément Rosset a sans doute beaucoup enrichi mon travail. Surtout Le Réel et son double et Fantasmagories.
Vous avez publié plusieurs livres pour enfants. Voyez-vous beaucoup de différences entre écrire pour la jeunesse et écrire pour un public adulte ?
Non, je n’en vois aucune. Une idée me vient, je l’écris et ce n’est qu’ensuite que je vois à quel public elle est destinée. Des livres comme Jamais (Éd. Motus) qui raconte l’histoire d’un petit garçon qui ne veut pas vieillir ou Le Petit roi (Éd. Motus) qui montre les limites de la toute puissance, abordent des thèmes qui parlent à chaque génération. Quand j’ai réalisé les images du livre La Tête dans les nuages (Éd. Motus), j’ai constaté qu’il fonctionnait aussi bien avec des enfants de trois ans qu’avec des personnes âgées.
Revenons à Tout est beau. Chacune de vos histoires nous introduit dans le monde de l’art contemporain. Pourquoi avoir choisi une telle toile de fond ?
Tout simplement parce que c’est la toile de fond de ma vie professionnelle depuis vingt ans. Je crois que j’étais moins effrayé par l’idée d’écrire sur un domaine familier. En règle générale, quand un artiste écrit sur l’art, le résultat est excessivement théorique, voire rébarbatif. Dans Tout est beau, l’art est surtout un prétexte pour parler de l’humain. D’ailleurs des personnes étrangères au monde de l’art contemporain m’ont dit avoir pris beaucoup de plaisir en le lisant. Cela me rassure car je me dis que je pourrais peut-être écrire sur d’autres sujets…
Vous semblez partager avec des auteurs tels que Delerm et Fleischman, le goût pour l’humour absurde et le quotidien réenchanté. Avez-vous le sentiment d’entrer dans une famille d’écrivain ?
S’il s’agit de « famille littéraire », celle que vous me proposez me convient tout à fait !
S’enfermer dans la création est-il un moyen d’échapper au réel ? Malgré les efforts qu’ils font pour s’élever, vos personnages sont-il condamnés à être happés par l’ordinaire ?
S’enfermer dans la création, ou dans un tout autre travail d’ailleurs, peut être une façon d’éviter le réel. Mais ce n’est pas du tout ma démarche. T.S. Elliot disait : « L’artiste sera d’autant plus parfait que seront complètement séparés en lui l’homme qui souffre et l’esprit qui crée. » Je suis un homme de l’instant. Ce sont les petits détails du quotidien qui me font rêver : une cravate oubliée sur un banc public, une ombre portée ou une lumière sur un mur.... J’aime conserver une place pour l’étonnement.
Pour lesquels de vos personnages avez-vous le plus de tendresse ? Certains d’entre eux vous ressemblent-ils ?
Je crois que même si certains sont moins sympathiques que d’autres, je me retrouve un peu dans tous les personnages de ce livre. Cependant, j’ai une tendresse particulière pour cet artiste enfermé dans une prison turque, qui dans l’isolement et le dénuement le plus total, réalise pendant des mois une oeuvre invisible aux autres.
Pour finir, pourriez-vous nous parler de vos projets ?
Je vais d’abord digérer l’aventure qu’a représentée l’écriture de ce livre. Ensuite, je tâcherai de revenir au calme pour laisser les idées me tirer de ma paresse naturelle!
Ellen Salvi
Tout est beau
Marc Solal
Ed. Hachette Littératures
134 p / 15 €
ISBN: 2012373801
Marc Solal, pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Je suis artiste plasticien, une appellation assez obscure, j’en conviens. Il y encore vingt ans, un artiste était soit peintre, soit sculpteur, soit graveur, soit photographe... Aujourd’hui, il peut choisir parmi toutes ces disciplines celle qui servira le mieux son intention. C’est pour cette raison que mon travail prend la forme d’installations où j’utilise la photo, le texte et parfois même la vidéo. C’est également pour cela que Tout est beau est né. Dans ce cas précis, l’écriture semblait être le medium le mieux adapté pour exprimer mon imaginaire. Avec le temps, je me suis rendu compte que j’éprouvais autant de plaisir à élaborer une histoire qu’à réaliser une image.
Tout est beau est votre premier recueil de nouvelles. Comment est-il né ?
J’ai écrit ma première nouvelle il y a environ dix-neuf ans. À l’époque, j’avais installé dans mon atelier un cercle de plumes blanches posées à même le sol. Quand les visiteurs marchaient trop vite, certaines plumes s’envolaient. Du coup, ils ralentissaient leur pas. De cette observation est née l’idée d’une nouvelle qui se trouve dans le livre. Par la suite, il m’est arrivé d’écrire de petites histoires, toutes mettaient en scène un artiste. Il y a deux ans, j’ai ressenti la nécessité d’en écrire davantage et je me suis entièrement consacré à ce travail. Certaines nouvelles sont restées inchangées, d’autres ont été remaniées. Une heureuse rencontre avec Charles Pépin qui dirige une collection chez Hachette Littératures a ensuite permis à ce livre d’exister.
Pourquoi avoir privilégié la nouvelle à la forme romanesque ?
C’est difficile de répondre car je n’avais aucune intention littéraire. Je voulais simplement raconter des histoires, de celles qui font voyager loin. Il me semble toutefois que le texte court est plus proche de l’image ou du geste.
En quoi vos activités d’artiste plasticien nourrissent-elles votre création littéraire et inversement ?
Je ne crois pas en une interaction unique entre art plastique et écriture. Un livre, un film, un opéra, une musique, une scène surprise dans la rue ou dans un café peuvent nourrir mon imaginaire. Depuis dix ans, mon travail de plasticien tourne autour du thème de l’identité. Un jour, alors que je me trouvais dans une salle d’attente, je suis tombé sur une revue « people ». La une du magazine était consacrée à une starlette au physique quelconque qui déclarait : « Maintenant, j’ai droit au bonheur ». Je me suis alors demandé pourquoi on consacrait une couverture à ce type de platitudes alors qu’autour de moi, évoluaient des personnes dont les vies, les physiques et les réflexions étaient bien plus intéressants. De ce constat est né un travail que j’ai appelé Doubles vies (Le Point du Jour Éditeur). Le principe de cet ouvrage était simple : un même portrait photographique accolé à deux curriculum vitae dissemblables, l’un réel, l’autre imaginaire.
Avez-vous, en art plastique comme en littérature, des modèles ?
Ce ne sont pas des « modèles » à proprement parler, mais il me semble évident que des personnages comme Marcel Duchamp ont laissé un héritage immense. Duchamp a par exemple donné aux artistes le droit de se libérer des contraintes de l’émotion. En littérature, Clément Rosset a sans doute beaucoup enrichi mon travail. Surtout Le Réel et son double et Fantasmagories.
Vous avez publié plusieurs livres pour enfants. Voyez-vous beaucoup de différences entre écrire pour la jeunesse et écrire pour un public adulte ?
Non, je n’en vois aucune. Une idée me vient, je l’écris et ce n’est qu’ensuite que je vois à quel public elle est destinée. Des livres comme Jamais (Éd. Motus) qui raconte l’histoire d’un petit garçon qui ne veut pas vieillir ou Le Petit roi (Éd. Motus) qui montre les limites de la toute puissance, abordent des thèmes qui parlent à chaque génération. Quand j’ai réalisé les images du livre La Tête dans les nuages (Éd. Motus), j’ai constaté qu’il fonctionnait aussi bien avec des enfants de trois ans qu’avec des personnes âgées.
Revenons à Tout est beau. Chacune de vos histoires nous introduit dans le monde de l’art contemporain. Pourquoi avoir choisi une telle toile de fond ?
Tout simplement parce que c’est la toile de fond de ma vie professionnelle depuis vingt ans. Je crois que j’étais moins effrayé par l’idée d’écrire sur un domaine familier. En règle générale, quand un artiste écrit sur l’art, le résultat est excessivement théorique, voire rébarbatif. Dans Tout est beau, l’art est surtout un prétexte pour parler de l’humain. D’ailleurs des personnes étrangères au monde de l’art contemporain m’ont dit avoir pris beaucoup de plaisir en le lisant. Cela me rassure car je me dis que je pourrais peut-être écrire sur d’autres sujets…
Vous semblez partager avec des auteurs tels que Delerm et Fleischman, le goût pour l’humour absurde et le quotidien réenchanté. Avez-vous le sentiment d’entrer dans une famille d’écrivain ?
S’il s’agit de « famille littéraire », celle que vous me proposez me convient tout à fait !
S’enfermer dans la création est-il un moyen d’échapper au réel ? Malgré les efforts qu’ils font pour s’élever, vos personnages sont-il condamnés à être happés par l’ordinaire ?
S’enfermer dans la création, ou dans un tout autre travail d’ailleurs, peut être une façon d’éviter le réel. Mais ce n’est pas du tout ma démarche. T.S. Elliot disait : « L’artiste sera d’autant plus parfait que seront complètement séparés en lui l’homme qui souffre et l’esprit qui crée. » Je suis un homme de l’instant. Ce sont les petits détails du quotidien qui me font rêver : une cravate oubliée sur un banc public, une ombre portée ou une lumière sur un mur.... J’aime conserver une place pour l’étonnement.
Pour lesquels de vos personnages avez-vous le plus de tendresse ? Certains d’entre eux vous ressemblent-ils ?
Je crois que même si certains sont moins sympathiques que d’autres, je me retrouve un peu dans tous les personnages de ce livre. Cependant, j’ai une tendresse particulière pour cet artiste enfermé dans une prison turque, qui dans l’isolement et le dénuement le plus total, réalise pendant des mois une oeuvre invisible aux autres.
Pour finir, pourriez-vous nous parler de vos projets ?
Je vais d’abord digérer l’aventure qu’a représentée l’écriture de ce livre. Ensuite, je tâcherai de revenir au calme pour laisser les idées me tirer de ma paresse naturelle!
Ellen Salvi
Tout est beau
Marc Solal
Ed. Hachette Littératures
134 p / 15 €
ISBN: 2012373801
Last modified onmercredi, 01 juillet 2009 22:36
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