06 Fév 2011 |
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Au cinéma, on parle de biopics. En librairie, le succès des biographies ne ralentit pas : la vie des gens célèbres, et des artistes en particulier, passionne. S’inscrivant dans cette lignée, Francesca Kay revisite le genre par le biais de la fiction : Jennet Mallow n’a jamais existé. Elle en fait son personnage, crée son œuvre, en retrace le destin, lui invente une postérité. Audacieux et touchant.
Jennet Mallow. Ce nom ne vous dit rien ? Rien de plus normal. Il est tout aussi inconnu des experts les plus pointus en peinture moderne. Non qu’elle fasse partie des grands oubliés de l’histoire de l’art récente. Elle n’a simplement jamais existé. Alors, pourquoi raconter sa vie peut-on être tenté de penser de prime abord? Mais après tout, c’est bien la grande affaire du roman que de rendre compte de l’existence, de créer des personnages, et éventuellement d’en teinter l’existence de faits flirtant avec la réalité.Dans le cas de la peintre qui l’occupe, Francesca Kay décide de le faire au passé, en confiant la mission de l’écriture au dernier fils de Jennet Mallow. Une entreprise anti-académique de biographie puisque lui-même n’était pas encore né lorsque se sont déroulés les faits dont il rend compte, et qu’il n’a pas non plus effectué de recherches poussées ou archivé méthodiquement les éléments qui étayent son récit. Tout est par conséquent le fruit de sensations, de souvenirs et donc inévitablement de recréation voire même de création. Car une fois posé le principe du livre, le dispositif – qui peut a priori laisser sceptique – s’efface totalement pour laisser la place à l’histoire, au parcours de cette femme parvenue à prendre ses distances avec les conventions de l’époque et de son milieu pour laisser libre cours à sa créativité. C’est l’émergence de ce talent que l’on suit, rythmé par des interrogations inévitablement liées à toute démarche créative : l’inspiration, la vocation et la difficile conciliation entre l’engagement artistique et la vie de famille, qui plus est pour une femme issue d’un milieu assez conventionnel. On ne sait si, comme Jennet Mallow a un temps hésité entre l’écriture et la peinture pour exprimer les sensations du monde qui l’entourait, Francesca Kay a un jour envisagé de peindre plutôt que de se consacrer aux romans. Une chose est sûre, elle a le talent pour donner à voir, en mots, une œuvre visuelle, plastique, évolutive. Au point qu’en refermant le livre on jurerait qu’il était illustré, par moments. En inventant ce personnage, en effectuant ce pas de côté d’avec la réalité, elle évite le piège du roman à clefs et du name dropping – bien que certains grands maîtres du XXe siècle soient ouvertement nommés, contribuant à la vraisemblance du récit – qui pourraient distraire le lecteur alors attiré par quelque révélation croustillante, du cœur de son questionnement : le processus de création. Il n’est certes pas toujours certain qu’une œuvre doive être lue à la lumière du parcours de vie de son créateur. Elle explique et éclaire néanmoins souvent bien des choix et des évolutions. Si toute ressemblance avec des personnages ayant réellement existé est donc fortuite, elle demeure hautement probable. Et c’est ce qui fait la force de cette Saison de lumière.
Francesca Kay Traduit de l’anglais par Laurence Viallet Editions Plon 242 p.- 20 €
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