Après avoir sauvé la planète un bon millier de fois, les super-héros auraient pu jouir d’une retraite bien méritée. Mais on ne se frotte pas à l’humanité aussi facilement. Dans La vie sexuelle des super-héros, l’écrivain italien Marco Mancassola offre un troisième âge aux anciennes gloires des comics américains et signe l’un des romans les plus musclés de janvier.

Le super-héros est un classique. Indémodable, il fait les beaux jours des blockbusters américains qui exploitent tant et plus sa jeunesse, ses muscles et ses super-pouvoirs. Mais comme tout classique qui se respecte, le super-héros vieillit. Parfois mal. Il arrive même qu’il se fatigue et décide de raccrocher les gants. C’est le cas de Mister Fantastic, de Batman, de Superman et de Mystique, justiciers de notre enfance et personnages désenchantés du roman de Marco Mancassola, La vie sexuelle des super-héros. Dans les années 2000, les quatre stars ont pris leur retraite et tâchent de mener une existence quasi humaine, loin, très loin de leurs prouesses d’antan. Aucunes affres de l’humanité ne leur sont épargnées : affaiblis, ils souffrent de rhumatismes et de courbatures – Superman est présenté comme un vieillard au corps grelotant qui ne peut se déplacer sans l’aide d’une canne ; dépossédés de leurs pouvoirs, ils se trouvent tiraillés par leurs sentiments et leur libido. Une réalité crue qui relègue aux oubliettes les fantasmes que pouvaient susciter chez les jeunes-femmes-en-danger les costumes moulants de leurs sauveurs.

Des mortels comme les autres

Sous la plume de Mancassola, la vie sexuelle et la vie tout court des super-héros semblent bien ordinaires : peur de ne pas être à la hauteur, envies d’interdits, angoisses existentielles, amours contrariées… Autant d’obsessions qui poussent chacun d’entre eux à se retourner vers le « bon vieux temps », époque révolue qu’ils n’hésitent pas à convoquer lorsqu’ils se retrouvent, tels de vieux combattants : « Superman portait son vieux costume à cape rouge. Red [Red Richards, alias Mister Fantastic] alla vers lui et les deux hommes s’enlacèrent, bouleversés sous l’œil des caméras du monde entier. Superman n’était pas seul. Red reçut l’étreinte de Captain America, de Daredevil, de Mystique, de Thor et de tous les autres. La vieille garde des super-héros était au grand complet et certains portaient leur ancienne tenue de bataille. » Devenus des mortels comme les autres, les super-héros de Mancassola ont perdu bien plus que leur grandeur : ils ont également été délestés de leur invincibilité en devenant les proies d’un groupe de fanatiques bien décidé à les éliminer les uns après les autres. Menaces de mort, suicide déguisé, éventration… L’auteur n’épargne rien aux ex-demi-dieux des comics. Derrière l’humour potache et l’excellente idée de pitch de Mancassola, apparaît en filigrane une réflexion sur le modèle héroïque américain et l’effondrement des valeurs modernes. Aussi gonflé que les muscles de Superman, La vie sexuelle des super-héros réussit un tour de force littéraire en mettant à terre les derniers piliers de nos illusions sans pour autant nous décevoir. Que les lecteurs les plus sensibles se consolent en se plongeant, par exemple, dans le monumental 75 Years of DC Comics, publié en décembre dernier chez Taschen. Car même après leur mort, il reste toujours quelque chose des super-héros.

La vie sexuelle des super-héros

Marco Mancassola

Traduit de l’italien par Vincent Raynaud

Gallimard

24,90 € – 544 p.