#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Un premier roman dont on parle est d�j� un ph�nom�ne. Alors quand il trouve sa place parmi les titres phare de la deuxi�me fourn�e de janvier, l�on peut dire sans trop d�exag�ration qu�il accomplit des prouesses. G�nie du prox�n�tisme est de ces merveilles-l�. Et parce que son auteur, Charles Robinson, a su concilier dans un m�me texte la sexualit� avec le n�olib�ralisme et le discours � chateaubriandesque �, nous ne pouvions pas faire autrement que de le rencontrer.

G�nie du prox�n�tisme est votre premier roman. Sa quatri�me de couverture ne nous donne pas vraiment d�informations sur votre compte. D�o� venez-vous, Charles Robinson ?

Je ne r�ponds jamais aux questions biographiques. Ce n�est pas une incorrection de ma part, mais j�ai remarqu� que les romans sont souvent justifi�s par la vie de leur auteur comme s�il y avait une sorte de l�gitimit� : � j�ai le droit de raconter telle chose parce que je l�ai v�cue. � Je peux cependant vous dire que je n�ai pas fait d��tudes de lettres. Et c�est d�j� m�avancer consid�rablement par rapport aux deux lignes biographiques qui figurent au dos de mon livre.

Pouvez-vous n�anmoins nous dire depuis quand vous �crivez ?
G�nie du prox�n�tisme n�est pas tout � fait un premier roman. C�est le premier que j�ai publi�, mais j�avais men� auparavant une campagne d��criture assez longue pendant laquelle j�avais travaill� sur divers projets. J�ai donc suivi le parcours classique du jeune �crivain qui trouve ses textes formidables puis finalement rat�s, qui abandonne, qui r�essaie, quitte � refaire vingt fois la m�me chose et qui finit par les envoyer en se disant que c�est peut-�tre la bonne.

Certains de vos textes avaient-ils �t� refus�s ?
Bien s�r. Pour un premier roman, une seule question se pose : que faire du roman personnel ? Une fois que l�on a r�gl� cette question, il faut s�assurer que ce roman personnel ne d�borde pas et c�est � ce moment-l� que le passage de l��criture � la litt�rature est le plus compliqu�. Pour G�nie du prox�n�tisme, j�ai r�solu le probl�me en l�enjambant. Ce qui n��tait pas le cas pour les premiers textes sur lesquels j�avais travaill�. G�nie du prox�n�tisme me permettait de partir d�un territoire vierge. Malgr� cela, un auteur s�investit toujours un peu dans son roman. On peut se d�barrasser du roman personnel, mais pas de soi.

Qu�est-ce qui vous laissait penser que G�nie du prox�n�tisme serait un roman publiable ?
Il y a une part de pari. Sans �tre tout � fait confiant, il y a un tel travail de maturation qu�� un certain moment tous les �l�ments paraissent se r�pondre. Le dessin que l�on avait imagin� est � peu pr�s rempli, c�est pour cette raison qu�on d�cide de l�envoyer. Mais entre la version que j�avais exp�di�e � mon �diteur et le texte qui a �t� publi�, il y a eu encore beaucoup de travail. Pas tellement � la demande de � Fiction & Cie �, cela venait plut�t de mon c�t� : j�ai effectu� une dizaine de relectures, au bas mot.

Combien de temps avez-vous travaill� sur ce livre ?
Le premier jet a �t� rapide : six mois. J�ai eu tr�s t�t les �l�ments qui composent le livre. J�avais d�cid� de travailler � partir de la structure de G�nie du christianisme. Comme c�est une structure tr�s riche, il me fallait la simplifier. Mon projet pouvait para�tre curieux sur le papier : �crire un trait� de marketing et de management en le croisant avec Chateaubriand, le tout dans le cadre d�une maison close. Je ne savais pas si �a marcherait, mais j��tais convaincu de tenir l� un outil int�ressant. Je me disais que si je r�ussissais � cr�er une langue � la fois mystique et composite, je m�assurais d�entr�e de jeu un bonheur d��criture et m�offrais un v�hicule suffisamment fort pour pouvoir avancer. Comme je ne travaillais pas � ce moment-l�, j��tais dix heures par jour sur mon texte. Pendant six mois, je n�ai fait qu��crire.

Pensez-vous avoir des habitudes d��crivain ?
Je ne suis pas tr�s � l�aise avec la notion de routine. Globalement, j�ai essay� plusieurs choses selon les textes. J�ai �crit celui-ci directement sur ordinateur, sans passer par une version manuscrite. Pour le moment, il n�y a pas vraiment de m�thode dont je sois satisfait. D�ailleurs, je ne suis pas s�r que la m�thode soit li�e � l�auteur, je crois qu�elle est plut�t li�e au type de texte. Si l�on a accumul� beaucoup de documentations, il faut sculpter dans cette masse. Si au contraire il n�y a rien au d�part, la donne est tr�s diff�rente�

Comment vivez-vous la sortie de votre premier roman ?
Je suis assez d�tendu. C�est une dr�le d�exp�rience, mais elle n�a pas que des bons c�t�s. C�est in�vitable car le travail d��criture entend un �norme investissement de soi. Alors quand cela se transforme en objet commercial, il y a quelque chose d�assez surprenant. Mais de bien conna�tre cette partie-l� du probl�me m�avait d�niais� � l�avance, si je puis dire. D�autant que � Fiction & Cie � n�est pas vraiment ce qu�on pourrait appeler une collection putassi�re.

De quoi nourrissez-vous votre travail ?
Je me nourris essentiellement de choses qui ne sont pas litt�raires, la musique par exemple, le rock ind�pendant, le jazz� Je connais assez mal la litt�rature contemporaine, mais je lis tout de m�me des auteurs tels que DeLillo ou Vollmann. En fait, de nombreuses choses nourrissent mon rapport au monde : les sciences humaines, la philosophie, l�art contemporain aussi, notamment l�id�e selon laquelle le concept d�une �uvre et sa mat�rialisation effective sont deux choses diff�rentes. Cette notion devient troublante lorsqu�on l�applique � la litt�rature : le texte ne serait pas l��uvre, mais une manifestation de quelque chose plus complexe que Blanchot appellerait � le livre �.

Quels artistes contemporains aimez-vous particuli�rement ?
Je suis tr�s fan de James Turrell. J�appr�cie �galement le travail d�Ann Hamilton, une artiste peu connue en France, mais extr�mement int�ressante. Elle avait pr�sent� � la Maison Rouge, il y a deux ou trois ans, un ensemble d��uvres qui s�appelait Phora. C��tait vraiment troublant.

Revenons � G�nie du prox�n�tisme. Pourquoi avoir choisi le bordel comme toile de fond ?
Si j�avais plac� le m�me texte dans une entreprise de mat�riaux de construction, nous n�aurions jamais fait cette interview. Apr�s vous me demanderez � quoi bon radiographier la culture d�entreprise alors que tout le monde baigne dedans au quotidien ? Parce que cette culture est souvent noy�e dans la r�alit� des choses. Dans G�nie du prox�n�tisme, elle n�est pas transform�e. Je me suis efforc� � ne pas amplifier les ph�nom�nes, je les ai simplement d�plac�s dans un milieu o� tout ce qui est dit est �cout� de mani�re beaucoup plus attentive. Et puis le moment sexuel est int�ressant par rapport au n�olib�ralisme, puisque c�est le seul moment o� un m�me individu est simultan�ment consommateur et consomm�. Pour moi, c��tait un excellent r�v�lateur. Pour qu�il soit parfait, je devais conserver l��quilibre entre l��rotisme et l��conomie. � certains moment, je me disais que le propos �tait trop provoquant et comme ce n��tait pas le but recherch�, je retravaillais alors le texte.

Malgr� cela, votre livre se construit autour de la prostitution. Le sexe n�est-il plus un sujet tabou ?
Dans Penser la pornographie, Ruwen Ogien constate tr�s justement que le rapport � la sexualit� est beaucoup moins d�complex� qu�on ne peut le croire. � notre �poque, c�est assez simple d�avoir des relations sexuelles et en m�me temps tr�s compliqu� d�en montrer au cin�ma. Par exemple, Baise-moi de Virginie Despentes a subi une terrible censure.

� certains �gards, le mod�le que vous d�crivez dans G�nie du prox�n�tisme semble possible�
Je souhaitais �videmment que le lecteur marche dans l�histoire, mais qu�ensuite le projet litt�raire d�passe l�objet entreprise pour qu�il finisse par comprendre que c�est impossible. Le but du livre n��tait pas de poser une pierre pour la r�ouverture des maisons closes !

Pourquoi avoir choisi G�nie du christianisme de Chateaubriand ?
Parce qu�il est extr�mement �rotis�. Tout ce que d�crit Chateaubriand dans G�nie du christianisme est troubl�. Quant aux extraits cit�s dans mon livre, ils me permettaient de donner un souffle � mon texte. La langue de l�entrepreneur et celle de Chateaubriand cr�ent des communications tr�s int�ressantes. Le discours de Chateaubriand est un discours de propagande. Quand il le publie en 1802, le christianisme est parfaitement d�consid�r� et selon lui, la civilisation doit envisager de nouveau cette religion comme une voie logique. J�entendais dans ce propos quelque chose des discours que les politiques et les entrepreneurs prononcent. L�entreprise a aussi �t� d�consid�r�e, puis le marxisme est tomb�, aval� par la chute du mur de Berlin et le n�olib�ralisme a refait surface. Les discours qui ont suivis l�ont transform� en loi naturelle capable de tout g�rer : l��cologie, l��ducation, le logement, la sexualit� Mon texte est n� de cette co�ncidence.

Avez-vous � pr�sent de nouveaux projets ou de nouvelles envies ?
J�ai arr�t� de travailler sur G�nie du prox�n�tisme il y a peu de temps. Je m��tais nourri pour l��crire des erreurs que j�avais commises sur mes pr�c�dents textes. Aujourd�hui, il y a plusieurs livres qui me feraient envie : trois que je saurais �crire et dix pour lesquels je n�ai pas encore les outils n�cessaires. Mais aucun de ces projets ne ressemble � G�nie du prox�n�tisme. Ni en terme de structure ni en terme de langue ni m�me en terme de sujet. Pour l�instant, je suis dans une p�riode de flottement, je fais un travail de deuil en quelque sorte. Si � un moment je commettais l�erreur supr�me de rouvrir mon livre et d�en lire ne serait-ce qu�une page, je serais sans doute d�sesp�r�. Je ne l�ai jamais ouvert depuis sa publication, � tel point qu�il m�arrive de l�oublier�

Propos recueillis par Ellen Salvi


 
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