Nous avons rendez-vous avec une tr�s jeune femme dont le premier roman vient d��tre publi� chez St�phane Million Editeur. Il y a toujours une pointe de m�fiance � attendre une jeune � premi�re � de l��dition parisienne : elles se ressemblent et s�assemblent souvent dans un clich� lassant� Mais Roxane Duru arrive et son sourire annonce une rencontre douce et sinc�re. Elle nous salue avec une timidit� s�duisante qui donne envie de la rassurer. Oui, nous avons aim� ses Petits Pains au Chocolat. Nous avons aim� la
fra�cheur de ce premier roman, respirant les �motions adolescentes et laissant pr�sager un bel avenir d�auteur � Roxane.

C�est qu�elle n�a que 22 ans, et a �crit Petits pains au chocolat � 18 ! On est touch�, non pas par son jeune �ge, mais par le style, d�j� bien marqu�, de son travail : une �criture de l�intime partant d��motions v�cues pour tisser une trame romanesque qui prend tout son sens dans un univers clos, celui d�une pr�pa parisienne, d�un �t� � rallonge et d�une histoire d�amour contrari�e�

D�abord, �liminons le doute : Lou, est-ce vous, le double litt�raire ?

Non ce n�est pas moi ! Je pars d��motions que j�ai v�cues, et de situations que j�ai connues, mais �a se m�lange. On met forc�ment de soi � l�int�rieur d�un roman, mais au final, Lou ne me ressemble pas. Je suis partie d��motions qu�on ressent � 18 ans, puisque
j�ai �cris ce livre � cet �ge. Ensuite, j�ai voulu retranscrire les c�t�s insupportables, nerveux, mi�vres qu�on a � 18 ans, o� tout est exacerb�

L��criture de l�intime est arriv�e � instinctivement ou avez-vous travaill� � cela pour que cela colle avec l�histoire du personnage de Lou ?

C��tait instinctif. D�ailleurs, � 18 ans j��crivais brutalement, alors qu�aujourd�hui je prends le temps de me relire, de retravailler mes textes� Mais je pense que je resterai sur le registre de l�intime car je trouve qu�il y a beaucoup de choses � d�m�ler dedans. Je ne
ferai pas de grandes fresques historiques, je ne saurais pas le faire et j�aime �crire des romans qui se passent dans des univers clos, ferm�s voire �touffants. Je pars de mes �motions, de choses ressenties ou v�cues et je fais une translation sur d�autres personnages. Par exemple, j��cris actuellement dans la peau d�un homme qui se retrouve dans un univers li� � la maladie, � l��touffement social. C�est l�id�e du calque que je vais poser sur d�autres sujets�

Quelle est la gen�se de ce premier roman? Cela part-il d�un vrai blog ?

J�ai �crit un blog , m�me plusieurs, vers 16 ans, au tout d�but de la blogosph�re. C��tait une communaut� assez r�duite � l��poque. J�y ai cr�e les aventures de Lou. J��tais tr�s seule et je lui inventais des aventures, des amis etc. � partir du moment o� j�ai annonc� que Lou �tait fictive, certains bloggeurs se sont plaints ! J�ai alors jou� avec ce personnage sous des formes diff�rentes. Mais je n�ai pas du tout �crit le roman � partir d�un blog existant. Attention ! Je n�ai pas �crit un blog pour attirer des �diteurs comme certains le pensent aujourd�hui. Parce que je ne crois vraiment pas que �a marche comme �a. Je trouvais que c��tait int�ressant, quand j�ai pr�sent� Petits pains au chocolat � 18 ans � des �diteurs, d�utiliser cette forme qui n��tait pas encore tr�s connue.
Je suis attir�e par toutes les nouvelles formes d��criture qui cassent la structure du roman, et j�aimais cette possibilit�-l�. Il y a des lecteurs qui interviennent, qui vont casser le rythme du dialogue tout en donnant un contrepoint � l�histoire en mettant leur grain de sel et qui vont engager un autre dialogue a l�int�rieur du livre - une sorte de polyphonie. Cela permettait aussi d�introduire une pointe d�autod�rision, car le personnage de Lou est t�tu, mi�vre, avec tout ce que �a implique de path�tique dans ce passage de l�adolescence � l��ge adulte. Les lecteurs la renvoient � son narcissisme tr�s aigu et � sa passion v�cue de mani�re tr�s intense !

Justement, ces lecteurs interviennent mais Lou bannit certains commentaires : est-ce la concr�tisation d�un fantasme, celui de pouvoir bannir les jugements n�gatifs sur soi ?

Je ne m�en suis pas rendu compte quand je l�ai �crit, mais apr�s, en le retravaillant. Ce pouvoir d�effacer la parole du commentateur qui est un lecteur, renvoie au sens m�me de l��criture : on donne quelque chose au lecteur mais au final, c�est l�auteur qui
a les pleins pouvoirs ! Dans la vie, on a le fantasme de pouvoir effacer des paroles qui blessent. Le blog, c�est le fantasme de l�hyper ma�trise ! Et Lou a trouv� ce moyen pour ma�triser quelque chose dans sa vie, au moment o� elle ne ma�trise rien dans son histoire d�amour, ni dans sa pr�pa d��t� !

Voir la vie comme un jeu, �cris-tu, n�est ce pas aussi le principe du blog ?

Dans l��criture, il faut qu�il y ait une forme de jeu amusante. L�, il y a un jeu avec la forme du blog, avec les commentaires, un jeu avec le personnage de Lou qui pourrait �tre un double donc un jeu avec les lecteurs. Mais Lou aussi joue, finalement. Elle se met dans un r�le avec cette histoire d�amour, dans ce jeu de domination, de souffrance. Elle joue le c�t� dramatique de ce qu�elle vit aussi, c�est aussi le propre de l�adolescence !

Au c�ur de ce roman, il y a la th�matique du rapport aux autres, qu�on sent importante pour vous�

Oui, je suis contente que vous l'ayez per�ue ! Ce n�est pas forc�ment li� qu�� l�adolescence, d�ailleurs. Je pense qu�on a facilement ce sentiment que les choses nous �chappent. Mais c�est plus exacerb� � l�adolescence parce que tout est en crise, l�esprit, le corps... Lou
voudrait tout contr�ler mais elle n�est jamais parfaite et elle ne le sera jamais ! Cela questionne son rapport aux autres. C�est quelque chose que j�ai envie de d�velopper en �touffant encore plus les lieux, dans un h�pital, avec des personnages malades, voire fous. Je pense qu�on peut tr�s vite �tre per�u comme fou et j�ai envie d�explorer cela�

Comment avez vous commenc� � �crire ?

Ce sont les blogs, o� j�ai commenc� � �crire � 16 ans, qui m�ont donn� l�envie d��crire et m�ont servi de passerelle pour oser �crire des nouvelles. J�ai �crit ce roman en trois mois, � 18 ans. Je l�ai pr�sent� � deux �diteurs avec qui �a a failli se faire, sans aboutir compl�tement. Du coup, je l�ai mis au fond d�un placard. Alors, j�ai d�cid� de devenir �ditrice, j�ai fait une formation, des stages� Puis j�ai rencontr� St�phane Million. J�ai �crit des nouvelles pour la revue Bordel et il a insist� pour que je lui fasse lire ce roman �crit. J�ai fini par le faire. Et voil� !

L�amour v�cu par Lou est un amour passionnel, f�brile. Pensez-vous qu�on ne peut �crire que sur ces amours-l� ?

J�ai longtemps cru que l�amour ne pouvait �tre qu�irrationnel et inassouvi. J�ai une vision de l�amour nourrie de litt�rature et de films qui nous montrent que la passion est plus excitante que la vie r�elle. Quand on lit, on a des �motions encore plus fortes que la vie ! Surtout plus jeune, mon rapport � la vie �tait plus d�cevant ! On revient au jeu, � quelque chose de fantasm�. Je trouvais �a int�ressant � exploiter, mais j�ai peut-�tre confondu �a avec l��motion : on attend qu�un amour nous donne des �motions et qu�il nous fasse d�coller. J�ai �t� tr�s influenc�e par le journal d�Ana�s Nin, o� finalement la passion �tait du cot� des amants, et la vie paisible avec le mari. Ou encore Sylvia Plath� Je pourrais raconter un amour autrement que passionnel mais je pense qu�il sera toujours contrari�. En litt�rature comme dans les films, on cherche la faille, sinon on raconte la maison du bonheur !
On ne peut pas rester ext�rieur � ce qu�on �crit ! Je d�teste mes personnages, je ne les aime pas, peut �tre parce qu�ils me ressemblent! Mais m�me quand ils ne me ressemblent pas ! Il y a un c�t� amour haine avec mes personnages !

- Quels sont vos projets ?

J��cris mon second roman, qui porte sur l�univers des h�pitaux. Je suis encore partie d�une �motion : je suis hypocondriaque ! Je me tourne actuellement vers des th�mes qui m�obs�dent : la maladie, le corps comme handicap dans le r�el, et ce rapport entre le corps et la t�te. Je travaille sur un personnage qui bosse dans une clinique et se trouve face � une patiente qui a envie de s�arracher le corps : encore l�enferment dans la solitude, la vie sociale, la clinique� Je suis une obs�d�e d�Herv� Guibert, d�Antonin Artaud� Ce sera s�rement tr�s �loign� de l�histoire de Petits pains au chocolat, car mon �criture a chang� depuis. Je pense que j��tais encore trop jeune pour trouver les th�mes qui m�obs�daient vraiment. Je participe aussi � un recueil de pr�faces �dit� chez Intervalles.

Photo: S�bastien Dolidon

Propos recueillis par Olivia Michel