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Rencontre avec Lina Lachgar
Premier �tage du Flore. Comme pr�vu, je reconnais Lina Lachgar car une �dition du Cornet � d�s est pos�e sur sa table�
Bonjour, Lina.
Bonjour� Je donne rarement d�interview car j�estime que quand on �crit un livre�Tout est dit !
A�e ! Oui, mais je voulais vous rencontrer ! ! !
Ah !
Quand avez-vous d�couvert Max Jacob ?
Un peu avant l�ind�pendance de l�Alg�rie, vers 1960. Et, en 1962, quand je suis venue en France, mon premier souci fut d�aller sur les lieux� � Saint-Beno�t-sur-Loire.
Pourquoi Saint-Beno�t ?
C��tait le lieu qui m�inspirait le plus, et j�y retourne r�guli�rement depuis. En 1981, j�ai fait un album o� je suis all� sur tous les lieux li�s � Max Jacob, avec le photographe Eric Lichengeur. J�ai march� sur ses traces avec la t�nacit� qui m�est propre. De Quimper � la rue Ravignan, et je suis m�me all� jusqu�� Drancy. Surtout, � cette �poque, j�ai pu interviewer les derniers grands t�moins qui m�int�ressaient : Marcel Jouhandeau, Jean Hugo, Pierre Bertin et m�me Louis Aragon !
Max Jacob brouillait souvent les pistes et les dates. Est ce que les t�moignages se recoupaient ?
Max Jacob a donn� son opinion personnelle, son interpr�tation des faits� Ce qui compte c�est que tous ces t�moignages avaient un point commun : un unanime respect pour le po�te qu�il �tait ; c�est ce qui revenait, sans conteste.
Lui qui a tant dout�
Oui, mais tout auteur doute. � Saint-Beno�t-sur-Loire, il �tait en retrait et, dans la solitude, on doute davantage.
Votre r�cit d�bute par une citation de la conf�rence de Nantes�
Oui, c�est une conf�rence o� il rappelle que Picasso, par son enthousiasme, est � l�origine de sa carri�re de po�te. Et, je cite une autre phrase de Charles-Albert Cingria. Ces deux exergues sont deux cl�s pour " ouvrir " le r�cit et comprenne qui pourra !
D�voilez-nous quand m�me vos intentions !
Dans ce r�cit onirique, j�ai essay� de cr�er " une illumination ", un " op�ra fabuleux ". Et ce r�cit n�a d�autre signification que d��tre ce qu�il est. Il faut lire la pr�face du Cornet � d�s o� Max parle des " mots en libert� ".
C�est du surr�alisme avant l�heure, et pourtant il y a une grande diff�rence entre Max et les Surr�alistes �
Oui, Dieu est entre eux. La foi les s�pare, c�est �norme comme diff�rence.
Revenons � Picasso, son attitude a �t� souvent critiqu�e�
Oui, mais il a �t� un des premiers � voir le g�nie de Max en le d�clarant plus grand po�te de l��poque. Sa conduite apr�s, on en a beaucoup parl� ; on ressasse sans cesse sa fameuse phrase : " Max est un ange, il ne risque rien " au moment o� Max mourrait � Drancy et qu�il n�intervenait pas. Il y a eu des pol�miques, et ce n�est pas mon sujet. Rappelons juste que Picasso s�est rendu � la messe mortuaire.
Au moment de son arrestation, il y a eu de nombreuses tentatives pour le sauver.
Oui, il �tait tr�s aim� et entour�. Et les avis divergeaient ! Certains en faisaient un pitre, d�autres un po�te, ou un peintre�
Et tout est vrai ?
Je pr�f�re l�avis de Malraux. Clara Malraux rapporte dans ses souvenirs que Malraux lui a dit qu�il ne connaissait personne de plus intelligent que Max Jacob. Ce n�est pas �vident pour tous. Cocteau aussi l�estimait �norm�ment.
Cocteau� Vous l�avez rencontr�, je crois. Votre second recueil a m�me �t� illustr� par Cocteau, c�est bien �a ?
Oui, c�est une histoire incroyable dont les d�tails restent en moi comme si c��tait hier. Je lui avais envoy� une lettre avec quelques po�mes qui allaient �tre publi�s et je lui ai dit que j�allais les lui d�dier. J��tais aux Bal�ares, et je revois le petit groom m�apportant la r�ponse de Cocteau. C��tait sacr� pour moi. Je suis venue � Paris, j�ai travers� la mer. Et il m�a re�u avec une douceur et une d�licatesse extr�mes ; il �tait en peignoir de bain blanc ; l�appartement �tait sombre. Il m�a dit : " tu es une enfant ". Je portais une cape comme portent les �coliers et cela lui a �voqu� Dargelos. Il m�a prise dans ses bras. � cette �poque, il �tait en plein tournage du Testament d�Orph�e. Ce jour-l� tout a �t� extraordinaire, il m�a donn� les dessins, et les a ins�r�s, pour ne pas les ab�mer, dans une revue de tourisme. Je suis sortie de chez lui dans un �tat de folie avanc�e, tenant les dessins comme si je tenais le Saint Sacrement, et j�ai �t� renvers�e par un automobiliste ! Et l�automobiliste �tait l�automobiliste d�Orph�e !
Et vous avez parl� de Max Jacob ?
Non, je ne le connaissais pas suffisamment. Quand on est po�te, on est automatiquement stigmatis� par Rimbaud ; et, seulement apr�s, on va vers les autres d�couvertes.
Votre r�cit est chaleureux � Ne serait-ce que dans le titre : Les Pantoufles de Max Jacob.
Il faut citer le texte que Claude Michel Cluny a �crit pour la quatri�me de couverture : " Si quelques m�chantes f�es se pench�rent sur le berceau breton de Max Jacob, son fac�tieux fant�me peut avoir le bonheur d�en rencontrer de plus affectueuses. Il faut �tre " f�e" pour marcher " � pas de tr�fle " dans les pantoufles du pauvre Max, et le prendre par la main, le temps d�un malicieux songe. " On doit se laisser envahir par la po�sie, se laisser imbiber�
C�est ce que dit Max Jacob, et c�est que vous faites dans ce texte. Par la mani�re, votre po�sie est un hommage � Max Jacob�
Oui, j�ai essay� d��tre proche de lui. J��prouve de l�admiration pour Max et Dieu sait si c�est un mot redoutable ! Et j�ai aussi de la complicit� avec lui. Voil� le mot, de la complicit�. Par les mots mais aussi par des points communs : nos origines juda�ques, par exemple. Mon but est de faire conna�tre l��uvre de Max Jacob ; je veux �tre en retrait.
C�est votre c�t� Saint-Beno�t-sur�Loire !
Oui !
Dans le texte, vous �tes en retrait� Vous vous fondez dans le r�ve mais il y a Miss Hastings, et cette voix me semble proche de vous.
Miss Hastings a exist�, c��tait la femme de Modigliani et Max en parle dans le Cornet � d�s. Vous avez raison, je parle � travers elle. Il me fallait avoir une voix dans le r�cit, et je la prends � travers elle.
Elle proph�tise que l�on reviendra sur Max Jacob !
On parle beaucoup de lui�
� ce moment de l�interview, l��dition du Cornet � d�s a myst�rieusement disparu ; on la retrouve, apr�s contorsions, dans le recoin d�un banquette.
Il ne veut pas qu�on parle de lui !
Oh ! Bien au contraire, il adorait �tre le centre, il adorait plaire.
Il a �t� servi, alors�
Propos recueillis par David Foenkinos
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