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Entretien avec Emmanuel Pierrat
Emmanuel Pierrat : un homme � facettes multiples.
Chroniqueur juridique pour Livres Hebdo, avocat d�une deux-centaine d��diteurs Parisiens, �diteur � la Musardine, pr�faceur, enseignant, et �crivain au Dilettante�
J�ai envie de commencer par vous dire que vous �tes quelqu�un � qui tout sourit� Vous r�ussissez tout ce que vous entreprenez ? Le proc�s Chronicar�t par exemple�
Je vois que vous suivez l�actu� Le proc�s a �t� tr�s amusant. Un dossier qui a n�cessit� beaucoup de travail, mais amusant � plaider. Technikart poursuivait pour contrefa�on de marque, sachant que l�ann�e derni�re ils faisaient des couvertures � propos de l�affaire � Je boycotte Danone.com � (je plaidais pour ces derniers). Et ils affichaient la prise de position suivante : fin � la dictature des marques, s�opposer au syst�me des marques, etc. Six mois apr�s, ils attaquent Chronicar�t et retournent leur veste�
Votre domaine de pr�dilection et de r�ussite est le droit. Pourquoi est-ce que vous �crivez ?
J�ai toujours �t� m�l� de pr�s ou de loin au livre. J�ai �tudi� le droit de la propri�t� intellectuelle principalement, et l�univers de l��dition et de la litt�rature m�a toujours fascin�. Je suis un grand lecteur depuis tout petit, et n�ai pas toujours eu envie d��crire, c�est vrai. Je suis un frappadingue de livres, bibliophile, bibliomane, bibliophage ; j�aime les livres, j�aime le style, j�aime l�encre et le papier, la typo, la maquette et la reliure. Mais j�aime aussi le Barreau et l�avocature, j�ai donc r�uni les deux, et r�ussi � traiter tous les jours avec des histoires de livres et d��dition, et � �tre pay� pour lire des manuscrits. Et forc�ment, tous les gens qui travaillent dans l��dition se posent un jour la question : dois-je �crire ? Est-ce que je me lance, et est-ce que �a vaudra quelque chose ? On a envie de voir si l�on est capable, de relever un d�fi.
Et on est un peu fou de le relever, ce d�fi ?
Ah, on est compl�tement frappadingue ! Surtout pour moi qui suis dans une position o� je connais tout le monde, donc plus expos�, attendu au tournant, et o� je pourrais �tre tir� comme un pigeon� Je devais �tre cinq fois plus angoiss� que la plupart des premiers romans ne le sont en temps normal.
Et l�, �a va mieux ?
J�ai l�impression de m�en �tre bien tir�, avec quelques autres qui se sont distingu�s aussi, comme le livre de David Foenkinos, celui de Gilles Paris� Quand on imagine les cinq cent romans de chaque rentr�e qui vous tombent dessus, que le votre n�est qu�un parmi tant d�autres, et qu�il n�y en aura qu�une petite dizaine qui sera tir� du lot pour �tre regard� et comment� par la presse, �a a de quoi vous angoisser, non ? Mon roman est volontairement court, tout petit, l�ger ; et il risquait d��tre un peu �cras� sous le poids des autres !
Une presse int�ressante ?
Surprenante ! J�ai �t� remarqu� par quelques bons magazines. Je pensais �tre flingu� par certaines personnes, comme Jean-Fran�ois Kerv�an de France Soir, qui avait fait de moi un portrait assez agressif l�ann�e derni�re, et auquel j�avais r�pondu par une attaque en justice pour pouvoir ins�rer un droit de r�ponse. Je m�attendais � ce qu�il me descende, et il se trouve qu�il a aim� mon livre, et a �t� tr�s �logieux.
Vous l�avez invit� � d�jeuner au moins, apr�s ?
Oui, il m�a r�pondu que je devais me d�p�cher car il ne me louperais pas la prochaine fois, si jamais il ne me trouvait pas � la hauteur�
Vous faites tellement de choses � la fois. Quand trouvez-vous le temps de lire, d��crire ?
La nuit (et l� je me demande quand il trouve le temps de se consacrer � quelqu�un, mais je n�ose poser la question). Je suis avocat le jour. La nuit et le week-end je suis chroniqueur juridique, r�dacteur d�articles de droit, �diteur de livres �rotiques� Et j��cris, maintenant.
Et �a vous arrive de ne rien faire ?
Non.
L�activit� la plus dure ? Celle qui vous lance le plus de d�fis ?
L�avocature est assur�ment plus difficile, celle o� l�on prend le plus de coups, celle des activit�s qui est la plus physique. Mais la litt�rature est celle qui me met le plus � l��preuve, c�est certain ; j�ai plus d�entra�nement pour la premi�re� Si l�on devait comparer les deux pratiques j�en serais d�j� � mon cinq-centi�me roman !
Pourquoi Le Dilettante pour ce premier roman ? Alors que vous aviez sans doute d�autres �diteurs qui vous tendaient la perche, plus importants, avec des propositions plus avantageuses financi�rement...
Je n�ai propos� mon manuscrit qu�au Dilettante. J�aurais pu l�envoyer � l�un des 200 clients que je poss�de dans l��dition, qui l�auraient probablement publi�, pour des tas de mauvaises raisons. Dont je ne voulais pas. J�avais confiance en Dominique Gautier, je savais qu�il serait un des seuls � me publier seulement s�il me trouvait bon. Je sais qu�il ne fait aucune concession, et je suis certain qu�il m�a choisi parce qu�il a aim� mon texte.
Il vous a fait beaucoup retravailler ?
Sept ou huit remarques. Des changements de virgules. Il m�a fait enlever trois ou quatre noms d�animaux que j�avais invent� pour mon bestiaire�
Pourquoi inventer des noms ? Ceux qui existent ne vous suffisent pas ?
Par jeu. Un peu � la Perec.
Justement, parlons r�f�rences. Quels sont les auteurs que vous avez r�quisitionn�s, qui vous ont infl�chi, qui ont une empreinte dans votre travail ?
C�est s�r, on est toujours dans la � lign�e � de quelque chose, de quelqu�un. Mais ce livre est d�abord un livre con�u pour Le Dilettante. Ca peut para�tre abominable, pr�fabriqu�, mais j�ai commenc� mon manuscrit en me disant qu�il n�y avait que l� que je pouvais publier. Donc mon texte a �t� influenc� par cette id�e, par des livres que j�ai trouv� merveilleux chez cet �diteur (Eric Holder, Martin Page�).
Mais pas d�hommage v�ritablement. J�ai justement voulu, �tant comme je le suis baign� dans le milieu, lisant et corrigeant des textes qui foisonnent de r�f�rences et d�h�ritages litt�raires, j�ai donc tent� de m��carter de ce sch�ma� Je me suis censur� ; alors que je pourrais �tre un bon �crivain � la mani�re de, je pourrais �tre un bon pasticheur. Je crois m�en �tre �cart�, autant d�lib�r�ment qu�inconsciemment. Et puis ce serait ennuyeux, imaginez les gens qui diraient : regardez Pierrat, qui publie sans difficult� parce qu�il est � dedans �, et qui �crit � comme �� Accus� de plagiat� ce serait un comble, non ?
Votre titre ?
J�en ai eu plusieurs. Le premier, c��tait L�app�tit vient en nageant. Dominique Gautier trouvait que c��tait une mauvaise plaisanterie de fin de soir�e avin�e. Tr�s vex�, je lui ai propos� un autre titre, tr�s litt�raire et assez appropri�, Contre-nature. Mais trop s�rieux et trop pr�tentieux. Comme je suis un pornographe inv�t�r�, on en est venus � cette Histoire d�eaux, clin d��il �videmment�
Pourquoi choisir pour personnage principal le pochard qu�est Sentinelle ? Pourquoi cette fascination pour le liquide ?
Ce n�est pas uniquement l�eau et l�absinthe, la fum�e aussi m�int�resse, d�ailleurs Sentinelle fume de l�opium et de la datura. J�ai moi-m�me un go�t tr�s prononc� pour l�alcool, sans �tre alcoolique et ne plus pouvoir ma�triser ce penchant, mais je souhaitais en parler, autant que des substances stup�fiantes. De leurs effets. Et comme dans un premier roman, on n�est jamais tr�s loin de soi-m�me�
Mais pourquoi un pauvre type ?
Pour mettre en sc�ne un personnage qui ne ma�trise rien. Sentinelle manque de se noyer dans la sc�ne, se d�truit en buvant et en fumant. Il a la possibilit� de se sortir de sa torpeur, de sa d�pression chronique, de comprendre quelque chose via cette enqu�te un peu initiatique (il est compl�tement anti-cl�rical, Sentinelle ; il fallait bien que je le replonge dans une aventure qui le fasse s�attarder sur tout �a, qui le fasse faire un travail personnel) sur l�inondation. Mais il rate tout, � cause d�un bel acte manqu�. Il fait tout partir en fum�e, et p�rit par le feu. Il y a une le�on biblique dans ce texte, qui montre que le p�cheur meurt par o� il a p�ch�
Pourquoi la nostalgie du Bengale ?
C�est un pays qui m�a beaucoup marqu�. J�y ai fait mon service militaire pendant deux ans, en 1992, � Calcutta ; j��tais attach� culturel de l�ambassade de France � 800 km de l�ambassade, paum�, tout seul, un peu comme Sentinelle�
Quelle r�alit� aux �v�nements que vous d�crivez ?
Je me suis appuy� sur des tas de choses concr�tes. L�inondation de 1910 s�est vraiment produite, et c�est un sujet qui m�a toujours fascin�. Je n�ai pas eu besoin d�aller fouiner, de faire un travail de documentation, puisque je connaissais d�j� de longue dates toutes les anecdotes que je d�cris (celle du rhino �croul� apr�s avoir travers� Paris et empaill� dans la Grande Galerie de l�Evolution, etc.). Tout est vrai -je l�ai soigneusement dat� dans mon livre d�ailleurs- � l�exception de certaines petites libert�s prises avec les faits et les dates, que j�explique � la fin. La d�b�cle qu�a connu Paris a �t� incroyable, et j�ai voulu en reparler�
Jules et Eglantine, seule histoire romantique du roman�
Un interm�de d�amour et de sexe ne pouvait concerner Sentinelle, il n�est pas du tout charnel, il est trop d�connect� de la sexualit� et de la vitalit� qu�elle implique�Il n�aime rien, ni les b�tes (je m�exclame : il les mange ! � il r�pond : c�est sa revanche�-) ni les hommes. Jules et Eglantine servent ici de contrepoint. Ce n��tait pas pour faire concurrence � Daniel Pennac et inclure une amourette gnian-gnian et gentille dans le r�cit�
Ils entrent avec les autres couples d�animaux dans l�arche� Vous vouliez vraiment sauver l�humanit� donc ? Cette histoire est une histoire de vie, pas de mort�
Non, c�est une histoire de mort. Sentinelle est anim� de l��nergie du d�sespoir, celle qui vous fait sursauter avant la fin, mais il est perdu.
Fini pour le premier roman. Vous �tes-vous d�j� remis � l�op�ration de � frappadingue � qui consiste � passer vos nuits sur un ordinateur ?
Evidemment ! La prochaine histoire se passera � Calcutta, puisque je souhaite �voquer certaines choses qui me viennent de l�-bas�
Donc peu de chances que vous choisissiez la Belgique comme d�cor un jour ?
Vous plaisantez, j�aime beaucoup la Belgique ! Mais avant d�arriver � captiver le public sur la Belgique� Propos recueillis par J. L. N.
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