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Entretien avec Nicolas Michel
A publi� son premier roman, Revenants, en 1997, qui obtint le prestigieux Goncourt du 1er roman. Vient de sortir Le dernier voyage d�Emilie.
Ton parcours en quelques mots, ton plan de carri�re...
Hou l�, d�j�, je n�aime pas beaucoup le mot plan de carri�re. Ca m�effraie rien qu�� l�id�e ! J�ai fait des choses bizarres. B�tement, apr�s le bac, j�ai fait une pr�pa commerciale.
Pourquoi b�tement ?
Parce que je me suis retrouv� en �cole de commerce, et que cela ne me convenait pas du tout, ni dans l�esprit, ni dans les finalit�s, quant au contenu n�en parlons pas... Encore faut-il qu�il y en ai un ! Je suis parti neuf mois en Finlande, o� j�ai �crit mon premier livre. De retour en France, j�ai fait Sciences Po.
Ce sont les voyages qui t� inspirent ?
Je suis aussi all� pour ma coop�ration en Ouganda, et j�y suis rest� seize mois. J�y ai enti�rement �crit mon deuxi�me roman, Le dernier voyage d�Emilie, m�me si �a ne se sent pas vraiment ! Revenu, je suis entr� comme journaliste au magazine Jeune Afrique.
Mais c�est un sale m�tier, �a, journaliste...
Je ne me vois pas faire autre chose.
Donc tu vois, pas d��tudes litt�raires, qui aillent dans le sens d�une carri�re d��crivain. Mais par contre, j�ai baign� dans les livres et la litt�rature depuis, heu, mes 0 ans ! Mon p�re �tait instituteur, et m�a transmis sa passion pour les bouquins. Il n�y a que �a qui m�int�resse vraiment.
Et les d�buts de l��criture ?
A partir de la seconde. Fin de l�adolescence. J�ai publi� un premier texte en 1997, il s�agissait d�une longue nouvelle �crite pour le concours du Jeune Ecrivain de Toulouse. Beaucoup de gens de Gallimard sont dans le Jury, Jean-Marie Laclavetine, No�lle Ch�telet qui s�y trouvait � l��poque, Daniel Pennac, etc.
C�est l� que Gallimard t�a rep�r� ?
Aucune id�e, je ne crois pas. J�ai envoy� un premier manuscrit par la poste, il n�a pas �t� retenu. Jean-Marie Laclavetine, qui est mon �diteur aujourd�hui, m�a r�pondu que c��tait pas mal, mais insuffisamment abouti. Il m�a demand� de lui envoyer le prochain, ce que j�ai fait, et qui est devenu mon premier roman. Mais il n�a jamais �voqu� ce concours. Je ne sais pas s�il s�en souvient.
Des influences ?
Je n��cris pas pour ressembler �, je ne cherche pas � pasticher. Maintenant, les quelques auteurs qui m�on marqu� sont d�inspirations diverses : Garcia Marquez, Kafka... Des gens qui m�on fait tomber � la renverse, mais l�influence n�est pas directe.
Tu as l�impression de te situer dans un courant particulier ?
Il y a encore des courants et des �coles qui se tiennent en litt�rature aujourd�hui ?
Bon, je suis un peu sceptique relativement au r�alisme forcen� que recherchent beaucoup d�auteurs contemporains. Moi, j�ai envie d��crire des textes un peu plus fantastiques et fantaisistes, pas n�cessairement cr�dibles ou coh�rentes.
Qu�est-ce que le Goncourt a chang� pour toi ?
Je ne m�y attendais absolument pas. En fait, je n�ai pas �t� tr�s r�actif, j��tais un peu... sonn� ! Ca n�est pas que je n�attache pas d�importance aux prix, mais cela me fait un peu peur. J�ai tendance � croire que cela paralyse, que c�est tellement �ph�m�re qu�il ne faut pas y accorder trop de poids. J�ai d�ailleurs voulu �voquer cette sensation de l��ph�m�re dans le livre, en filigrane...
Ca ne t�a pas donn� une confiance plus grande dans ton travail ?
Pas du tout, je doute toujours, voire plus. Tu sais, entre mon premier et mon deuxi�me, Laclavetine m�a refus� un autre roman. Trop vite �crit, sans doute. Alors le prix, � ce moment l�... Donc �a va, �a vient. De toute fa�on, j�ai toujours l�impression d��crire de la merde quand je travaille, et je ne suis jamais satisfait. Il m�arrive de balancer des centaines de pages apr�s coup. Et j�ai encore les m�mes sueurs, lorsque je remets mon manuscrit chez Gallimard ! Mais c�est aussi cette incertitude qui motive, autant qu�elle peut �tre destructrice.
Ce refus a d� te faire flipper deux fois plus pour la remise du Dernier voyage...
Ca c�est s�r, d�autant plus que Laclavetine m�a fait retravailler sur pas mal de points. Mais il est tr�s fin dans sa mani�re de communiquer avec moi, et nous arrivons toujours � quelque chose d�assez bon ensemble. Bien s�r, je suis un peu vex� lorsqu�on me refuse un texte. Je m��nerve et je boude dans mon coin pendant quelques jours, mais je ne suis pas compl�tement but�, et je finis par revenir et par �couter ce qu�on me conseille, par retravailler selon certaines indications... Il me semble arriver � faire le deuil de l�imperfection assez rapidement.
Vous aimeriez �tre �diteur, faire pour d�autres jeunes �crivains ce que Laclavetine a fait pour vous ?
J�y ai pens� � une certaine �poque, c�est vrai... mais je crois ne pas avoir suffisamment confiance en mon propre jugement, en mes propres capacit�s, pour me permettre de valider ou d�envoyer valser le travail de quelqu�un d�autre. J�aurais tellement peur de faire mal. Je ne suis pas quelqu�un qui sait accompagner un texte, m�me si je pourrais sans doute �tre lecteur.
Qu�est-ce qui est le plus difficile quand tu �cris ?
D�avoir des id�es ! G�n�ralement, je sais o� je veux arriver. Mais entre mon d�but et ma fin, il y a tout un d�roulement qui me pose parfois quelques soucis... Il est rare d�avoir des id�es construites de A � Z.
Et qu�est-ce qui t�est le plus agr�able ?
D��crire la fin ! Il y a une forme de jouissance qui arrive, lorsqu�on sait que l�on est presque au terme de l�histoire, du travail. On est lib�r� dans l��criture, on arrive au r�sultat que l�on souhaitait atteindre au d�part. Le d�but, dans la recherche d�id�es, est souvent plus laborieux et plus �puisant.
Le meilleur est pour la fin dans Le dernier voyage d�Emilie...
Chut, il ne faut pas le r�v�ler...
N� comment, ce roman � tiroirs ? Chaque chapitre est pratiquement ind�pendant, hormis le lien constitu� par ce cadavre dont on suit le voyage...
J�avais en fait �crit une s�rie de nouvelles sur la Mer. Je suis parti de l�, en approfondissant et en complexifiant la structure. L�autre lien de chaque histoire, c�est que son personnage principal se trouve � un moment charni�re de son existence. Il est oblig� de faire un choix, de se prononcer sur ses orientations ; et la rencontre avec Emilie est d�terminante dans le choix. Mais ce ne sont pas des personnages sans importance, je crois que c�est bien de donner voix et parole � des personnages secondaires.
C�est quand m�me gonfl� de faire changer le cours d�une vie par le simple croisement d�un h�ros qui est en fait un cadavre.
C�est int�ressant de mettre des personnalit�s et des �tres tr�s diff�rents face � l�anonymat, face � un corps sans vie. Surtout que parfois, la rencontre ne se fait m�me pas avec le corps directement, mais avec une chaussure, une main.
L�objectif, m�me si �a peut para�tre pr�tentieux, c��tait aussi d��crire un livre sur le temps. Le roman est construit � l�envers puisqu�on remonte le cours des derni�res heures d�Emilie, et je voulais que chaque personnage soit confront� au temps qui s��coule, qui va tellement vite qu�il faut aller encore plus rapidement que lui pour construire. Prendre conscience du temps qui file quoi, de la d�mesure qui y est contenue. De la pr�carit�. Pour vraiment vivre, il faut avoir conscience de ce qui nous attend...
Tu as peur de la mort ?
Une obsession, une hantise pour moi. Mon p�re a perdu sa m�re tr�s jeune, j�ai perdu mon p�re lorsqu�il avait quarante-huit ans.
Mon p�re n�avait pas besoin de cr�er, il vivait. Et il trouvait le bonheur, parce qu�il le cherchait vraiment. J�ai toujours �t� fascin� par cette facult� qu�il poss�dait de se r�jouir de tout, par sa qu�te perp�tuelle de joie. Je ne suis pas capable d��tre comme �a, et c�est peut �tre pour �a que j��cris.
Pourtant, on dit que beaucoup d��crivains se mutilent et souffrent dans le processus d��criture.
Ca n�est pas du tout mon cas. M�me s�il y a des moments douloureux, je prends mon pied quand j��cris, surtout � la fin ! L��criture est un bonheur qui n�est pas simple. Je culpabilise quand je n��cris pas.
La nouvelle que tu pr�f�res ?
J�ai pas mal de tendresse pour l�histoire du chercheur de gecko. Sa volont� de d�couvrir, de traquer et de fouiner.
Le cadre ?
Tr�s personnel, puisque je viens de Marseille. Et pour moi, la Corse est associ�e au bonheur. J�y ai v�cu mes plus grands instants de bonheur pendant l��t�, o� je passais les trois quart du temps sous la flotte avec un tuba et un masque, � observer les poissons.
Ce r�cit, c�est un r�cit d�apesanteur. Emilie voulait quitter le sol, la lourdeur, �tre libre. Elle y arrive au cours de sa vie, et m�me dans la mort. Sa venue dans la vie des autres est une promesse d�ailleurs, le devoir de faire le choix qui conduit -ou ne conduit pas- au bonheur.
Ton d�but de faux-roman policier ?
J�adore �garer le lecteur, le mettre dans la position d�enqu�teur, le conduire sur des fausses pistes. J�ai fait la m�me chose avec le premier.
Et tu pr�f�res lequel de tes romans ?
Difficile de comparer, le premier est plus noir... En fait, je suis d�j� sur autre chose. M�me Le dernier voyage d�Emilie me semble loin. L� je suis plut�t dans des histoires de baleine...
Tu peux pr�ciser ce dernier projet ?
Pas encore assez abouti dans ma t�te, donc je ne peux pas en dire plus. Propos recueillis par J. L. N.
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