#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Rencontre avec St�phane Guignon


Depuis quand �crivez-vous ?

Oh, depuis quinze ans. Mais je ne me consid�re pas du tout comme un �crivain. J'ai eu la chance d'�tre �dit� une fois, c'est tout. Et il ne faut pas croire que la deuxi�me publication est un acquis. Pour l'instant, je profite de la joie de voir mon livre exister. Apr�s on verra bien.

De la chance de vous trouver au Diable Vauvert ?

Absolument, je m'entends bien avec les gens qui y travaillent. J'aime la diversit� des livres qui y sont publi�s. Parmi ceux que j'ai lu, cicatrices, de Toni Davidson que je recommande vivement. Extraordinaire construction, vraiment flippant, ce livre, qui ne recourt � aucun des m�canismes classiques cens�s inspirer la peur.
Apr�s cinquante-trois refus essuy�s, c'�tait un choc que de recevoir ce coup de fil d'Anne Gu�rand, du Diable. C'�tait aussi une jouissance, lorsque je savais que & serait �dit�, que d'aller chercher chez les autres �diteurs mon manuscrit refus�. Je me sentais soulag� malgr� tout dans ces instants-l� !

Quand vous �tes-vous int�ress� � la litt�rature ?

J'ai �t� �lev� au milieu de trois mille livres. Mais je n'ai v�ritablement commenc� � lire que vers l'�ge de dix-neuf. Et j'ai alors compris que je n'�crivais pas encore, que je croyais �crire. J'ai eu des r�v�lations. Les ann�es suivantes, j'ai travaill� dans un tout autre domaine : la banque !

Vous vous situez comment, relativement aux autres courants de la litt�rature contemporaine ?

C'est une question que je ne me pose pas. Nulle part en fait. Je me sens loin d'un Nicolas Rey par exemple, ou d'un Beigbeder. Mais il est certain que j'ai �t� influenc� par bon nombre d'auteurs, et pas que des auteurs litt�raires au sens strict du terme : ceux de mon enfance, Brel, Brassens, Renaud, Coluche, Desproges, Allen; et plus tard, les r�v�lations, Enki Bilal en bande dessin�e, Blier au cin�ma, Vian, Bukowski, Thi�faine, Beckett�
Ces r�v�lations ont un point commun, l'absurde. Ne pas aborder la r�alit� de front, passer par l'absurde pour montrer la r�alit�. J'aime que l'on ressuscite un personnage tu� plus t�t, parce que ce personnage a encore envie de dire quelque chose. La logique ne m'int�resse pas beaucoup.

Pourquoi n'aimez-vous pas la v�rit� " toute nue " ?

A chacun sa v�rit�, dixit Pirandello. La v�rit� toute nue, c'est la r�alit�. Et je ne l'aime pas dans un roman ou dans un film en tous cas. Si l'on veut de la v�rit� toute nue, de la r�alit�, pas la peine d'aller au cin�ma, il suffit de sortir dans la rue.

Vous �tes un peu mytho ? Avec les autres, avec vous-m�me ?

Non, j'ai simplement conscience que tout passe par un filtre de subjectivit�. C'est pour cela que je mets en garde mon lecteur dans l'avertissement : " en revanche, � aucun moment, la v�rit� n'y est, montr�e toute nue. "

Vous dites aussi qu'il n'y aura que tr�s peu de sexe. C'est pour nous d�courager ?

Il y en a quand m�me. "Six ou sept sc�nes de sexes." Ce livre refl�te qui je peux �tre � certains moment, qui je pourrais �tre, et pourtant ce n'est pas moi. Ce n'est pas ma petite histoire.

Seriez-vous pr�t � enculer une mouche, comme votre h�ros ?

Oh, si elle est mignonne et qu'elle le demande gentiment, pourquoi pas.

Cette sc�ne m'a fait hurler de rire...

Alors tant mieux. Lorsque le Diable Vauvert a d�cid� d'�diter le roman, j'ai voulu supprimer cette sc�ne. Trop au d�but du roman, je ne voulais pas que cela le connote, et que certains lecteurs s'y arr�tent, pensant qu'il ne s'agirait que de cela par la suite. J'en ai fait part � mes �diteurs, et ils ont hurl�, arguant que c'�tait l� une sc�ne dr�le.

Vous laissez la part belle au femmes, dans cette histoire. Toutes des wonderwomans indispensables � la vie du h�ros-looser...

Marion Mazauric a trouv� elle-aussi que c'�tait un roman qui mettait la femme � l'honneur. Ce n'est pourtant pas ce � quoi j'ai pens� en l'�crivant. Je voulais simplement d�crire quatre types de femmes, primordiales dans la vie de cet homme : sa m�re, son �pouse, sa ma�tresse, sa s�ur-meilleur pote. Elles n'ont rien de superwoumanes, elles sont toutes pleines de d�fauts et de failles. Mais c'est ce qui les rend attachantes, non ?

D'ailleurs, votre livre est l'un de seuls sur lesquels para�t une diablesse au lieu d'un petit diable pour le logo de la maison.

J'en suis tr�s content, de ce succube sur la couverture. Je crois que toutes les femmes du roman ont leur particularit�. Claire et Julie n'ont rien � voir par exemple. Claire est �b�niste, un boulot qui ne lui rapporte rien mais qui constitue � faire quelque chose, du tangible. Et Julie ne produit que du vent, ce qui lui rapporte gros et qui est valoris� par la soci�t� enti�re

Parlez-nous de � la m�re �, de son � attachement politique plus par habitude que par conviction � �

Ce n�est qu�un outil pour exprimer mon m�pris vis-�-vis des gens qui font des th�ories sur ce qu�ils ne ma�trisent pas. J�ai autant de m�pris pour les gens qui ne lisent qu�un seul livre religieux que pour les gens qui parlent de religion et qui n�ont pas lu le livre en question. Que ce soit la Bible, le capital, Mein Kampf ou peu importe. Il n�y a rien de plus intol�rable qu�un mec qui te raconte ce que c�est que l�Islam sans avoir lu le Coran. Qui te sort sa th�orie sur l�h�ro�ne sans m�me toucher aux cigarettes.
Sur le plan politique, � elle ne sniffe plus la ligne du parti �. Le parti communiste ne repr�sente plus cette force et cette puissance qu�il a pu �tre au temps de Marchais. Il ne surprend plus. On est loin des r�ves de Karl Marx d��galit� entre les hommes. Ou de d�tention de l�outil de production. Quarante ans de manifs et de lutte syndicale pour s�apercevoir que �a m�ne pas � grand chose� Qu�on est trahi par les syndicats. Par les patrons. On est trahi d�s que l�on rentre dans un syst�me en fait.

Vous d�noncez quelque part le d�sengagement de la population ?

Les seuls responsables sont les partis. Le PC s��tiole �norm�ment, c�est un bon indicateur.

Concern� par ce que nous vivons sur le plan politique en France en ce moment ?

Bien s�r, comme beaucoup. Mais on en vient � voter blanc tant on a la d�sagr�able impression de ne pas �tre entendu. Et on finit par ne plus voter du tout. Ce qui est terrible, finalement. Les citoyens sont tellement peu consult�s, et en viennent � s'en fiche faute de r�sultats concrets, de changement.

La fin de votre livre est presque proph�tique : une soci�t� en d�b�cle, troisi�me conflit mondial dans un �tat devenu totalitaire.

Pas une proph�tie, une vision � la rigueur, mais j'ai fait attention de ne pas l'ancrer dans un espace temps trop reconnaissable. Le seul moment o� l'on sait qu'il s'agit de Paris, c'est lorsque je parle du Salon du livre et de la porte de Versailles

Pourquoi ce titre bizarre ? Ca peut porter pr�judice, un truc pareil, on ne sait pas vraiment comment on doit le nommer...

J'ai entendu des gens qui disaient � et � ce qui me semble logique puisque c'est ainsi que l'on prononce ce sigle (pensez � � C&A; �). D'autres disent " esperluette " puisque c'est l'appellation de ce sigle. D'autres, habitu�s � travailler sur clavier, disent SHIFT 1; d'autres encore, moins inspir�s, le "St�phane Guignon". C'est Marion Mazauric qui a sugg�r� ce titre. Il correspondait bien � l'esprit du roman, puisque c'est le nom d'une des h�ro�nes qui � fait le lien � entre toutes les femmes du personnage principal, entre toutes les dimensions importantes de sa vie. Un lien universel, quoi ! Et puis cela semblait audacieux de n'inscrire que cela sur la couverture du livre, plus original, intriguant.

Parlez-nous un peu plus d�Esperluette : que repr�sente elle ?

Elle repr�sente ces femmes qui cherchent � faire valoir leur �galit� avec les hommes. Non pas � travers le travail ou le pouvoir, comme le fait Julie, mais d�avantages � travers une mentalit�. Ce n�est pas par ce que c�est une femme qu�il faut la prendre pour une conne. Qu�elle est plus faible et qu�elle a pas des fa�ons libres de s�exprimer ou de s�assumer. Je la voulais donc d�barrass�e d�un certain nombre de minauderies et de clich�s. Qu�elle soit monolithique et brut de d�coffrage.

Mais il y a une autre raison, peut �tre un peu plus honn�te. Le livre est �crit � � je �. Or je suis � la fois le personnage et Esperluette. Je voulais donc qu�Esperluette aie des raisons de s�duire le personnage�

Trois personnages sur cinq ne travaillent pas. Le Je se fait entretenir. Pourquoi cette omnipr�sence du fric ?

Ca me fait plaisir qu�on le sente, en sous-entendu. C�est le probl�me essentiel de nos soci�t�s. Ceux qui n�ont pas d�argent dorment dehors. Et puis ils meurent si l�hiver est trop rude. Le pognon est devenu l�inqui�tude principale de notre soci�t� qui fait tout pour qu�on ne puisse pas se passer de lui. Et le seul moyen l�gal de gagner honn�tement sa vie, c�est de travailler. Le travail est une marche forc�e d�guis�e.

Cette attitude des h�ros relativement au travail n�est elle pas un peu facile, alors qu�ils sont parfois eux-m�me rentiers ?

Si, mais on se l�avoue, et mon h�ros met lui-m�me le nez dans cette contradiction. Il veut vivre de n�importe quelle fa�on ; mais pas comme un bourgeois, alors que la fa�on la plus simple qui s�offre � lui pour �chapper au travail est de suivre cette femme renti�re. Et donc de vivre comme un prolo bourgeois.

Une critique de la bourgeoisie ?

Je d�finis la bourgeoisie comme un monde install�. Il y a des gens qui gagnent tr�s peu d�argent qui ont des attitudes de bourgeois. On ne peut pas d�finir les bourgeois comme une cat�gorie sociale. C�est d�avantage une attitude. � c�est comme les cochons� � dit Brel. Ils sont install�s, ils sont fig�s. Or tout ce qui est fig� meurt par d�finition. Au contraire, on peut gagner beaucoup d�argent, mais remettre sa vie en cause r�guli�rement. Le bourgeois ne se pose pas de question, ne prends pas de risque. Il a trouv� une solution, ne veut pas chercher autre chose, et pense avoir touch� le bonheur absolu. Le confort est un pi�ge dont personne n�est � l�abri. Or la vie doit �tre l�oppos� du confort. En amour par exemple, si on se retrouve dans une situation de confort, c�est que la rupture n�est pas loin. Il faut que �a bouge. Il faut des risques, des angoisses, des peurs, des reprises, des emballements. Que ce soit anim�. Il n�y a rien de pire de se r�veiller au plumard � cot� de quelqu�un et de trouver �a normal.

Je consid�re que rien n�est acquis. Ce n�est pas par ce que j�ai �t� publi� une fois que j�ai la na�vet� de croire que je le serais encore automatiquement.

Pr�parez-vous quelque chose d�autre ?

Non, mais j�avais d�j� commenc� � constituer un recueil de nouvelles avant m�me que le Diable ne me contacte pour l��dition. Je m�y suis re-consacr� depuis quelques semaines et souhaite leur pr�senter pour la fin de l�ann�e. Je pr�pare �galement un r�cit long pour plus tard�

Nicolas Tretiakow

Propos recueillis par


 
Tristan Garcia
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