#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Marie Jaoul de Poncheville


Quelle est la place de Mol�m et Y�nden dans votre travail ? Rupture, continuit� ?

Depuis longtemps, je d�sirais parler d�enseignement peut-�tre pour mieux comprendre moi-m�me ce que j�avais appris dans ma propre vie et pour faire le point. Je me sentais en apprentissage depuis si longtemps� J�ai d�abord �crit un sc�nario qui faisait 400 pages ! Un barde partait sur les traces d�un moine bouddhiste russe mort au d�but du si�cle, Dorjiev, et arrivait en Mongolie apr�s avoir travers� la Sib�rie en train. Il rencontrait en route des personnages qui lui racontaient l�Histoire du bouddhisme dans ces r�gions.
Arriv�e en Mongolie, j�ai r�alis� que tout cela �tait compliqu�. Fascin�e par la beaut� de ces immenses espaces et par l��nergie extraordinaire de ses habitants, je d�cidai de tout changer et de me laisser aller � l�inspiration que ce pays provoquait chez moi. Dans le nouveau sc�nario, je gardai le vieux barde-chamane et ajoutai un personnage d�enfant. Le glissement vers mon film M�lom se fit tout seul. Le barde devint ce chamane qui va � la rencontre d�un enfant pour transmettre ce qu�il sait.

Vous sentez-vous un peu comme une enfant sur son chemin d��volution ?

Bien s�r ! En tournant, j�ai eu l�impression de vivre des �v�nements similaires a ceux de mon enfance, et j�ai retrouv� des sensations fortes au cours de ces tournages. Par exemple, je pensais beaucoup � mon grand-p�re pendant Les Cavaliers du Vent, r�alis� au Tibet. Puis j�ai �t� amen�e � parler d�initiation avec Mol�m, et aujourd�hui avec ce nouveau film Y�nden , je sens une continuit� �vidente. Ces trois films retracent, � leur mani�re, l��volution d�une vie�

Quels ont �t� vos ma�tres ?
Les autres, et moi avec eux. J�ai toujours voulu v�rifier les id�es re�ues pour savoir ce qui m�appartenait et pouvoir ainsi me construire moi-m�me. En �crivant et en tournant Mol�m, j�y ai mis beaucoup de moi j�ai r�appris mon enfance, je l�ai redessin�e. Une mani�re de faire la paix� et d�avancer en la laissant derriere moi. Tant que je ne pouvais int�grer et trier ce qui m�avait �t� donn� dans le pass�, je ne me sentais pas libre. La transmission butait sur moi, rebondissait, me revenait en boomerang et me blessait souvent. Pour moi, faire des films a �t� une occasion formidable d�entreprendre une r�flexion l�-dessus et de la partager avec d�autres.

Aujourd�hui, vous estimez avoir beaucoup tri�, beaucoup construit ?

Tout se fait progressivement� J�ai fait pas mal de m�tiers diff�rents et j�ai beaucoup appris chaque fois. Mais je voulais toujours autre chose. Tout m�int�ressait, j�allais d�une id�e � une autre avec un app�tit formidable. Aujourd�hui, apr�s toutes ces errances n�cessaires, avec l��criture et le cin�ma devenus mes instruments de communication, je me sens plus en accord avec moi-m�me, plus calme, plus d�termin�e, �tonn�e d�en savoir si peu, mais je ne suis qu�au d�but du chemin�et j�esp�re que j�avance un peu...

Vous allez vers une trilogie ? Le film Y�nden conclut que, dans 5 ans, tout changera encore�

Oui, c�est dans l�id�e� Y�nden, comme vous et moi, ne cesse de se transformer et de vivre des �tats diff�rents, qui correspondent aussi � des �tapes diverses de la vie. C�est ce que j�aime dans la vie. Tout bouge tout le temps et dans ce dernier film Y�nden me renvoyait cet �tat de fait comme dans un miroir : rien n�est fix� � jamais. Tout est mouvement. Il me signifiait tr�s clairement pendant le tournage du film : � Regarde-moi, je ne suis plus l�enfant que j��tais�.
J�ai promis � Y�nden de le faire venir en France, lorsqu�il serait un peu plus grand. Il fait partie de ma vie et il ne la conna�t pas alors j�ai envie de la lui faire d�couvrir comme il m�a permis de regarder la sienne ; je sais qu�il est curieux de savoir quel est mon univers et qui sont mes amis, ce que je fais tous les jours� Nous r�aliserons ensemble Y�nden en France, Les yeux d�un autre. J�ai h�te de savoir quel sera son regard sur nous, occidentaux� il peut tant nous apprendre.

Vous le sentez tiraill� entre ce que vous lui avez fait entrevoir de notre monde et la r�alit� de son quotidien ?

Non. Il a un d�sir fort de r�ussir sa vie l� o� il est. Il veut aimer, avoir de grands troupeaux, sa yourte, �tre un homme respect�. Il a envie aussi d� �tre un homme moderne. Il souhaite poss�der une moto, avoir une existence plus facile que celle de ses grands-parents, apprendre � lire et � �crire, parler plusieurs langues, aider au d�veloppement de son pays� Lorsque son cadet sera en �ge de se d�brouiller, il sera d�pouill�d�une certaine partie du fardeau qui lui p�se sur les �paules. Il n�a pas de p�re, et il assume de lourdes responsabilit�s. Il a souffert, plus petit. Son grand-p�re le faisait travailler et ne pouvait se permettre de l�envoyer � l��cole. On peut comprendre que Y�nden consid�re le terme de ces cinq ann�es comme une d�livrance... la possibilit� de vivre pour lui, enfin.

Qu�a signifi� cette rencontre avec Y�nden pour vous ?

J�ai connu Y�nden enfant, et pourtant il �manait de lui une sorte de joie de vivre que je reconnaissais en moi, m�me si je ne l�ai pas v�cue comme lui. Il est habit� par une force incroyable. Mais il est aussi perdu. C��tait un petit gar�on en survie, curieux et follement joyeux, d�une rare ouverture, plein de d�sir. Aujourd�hui, cette �nergie n�a pas chang�. Il n�est pas tout � fait le m�me, pas tout � fait un autre.

Et vous ?

Je veux toujours aller voir ailleurs si j�y suis ; comment vont les gens et si nous pouvons nous conna�tre et faire un peu de route ensemble, comment je peux les aimer, les quitter sans les perdre, et aussi transformer sans cesse ma perception du monde�
� Molom� cela veut dire : � Homme M�moire, Homme Miroir�. On parle souvent de la trace que l�on souhaite laisser. Ce n�est pas cette trace qui m�int�resse, ni le souvenir que je laisserai de moi. Ce que je recherche, je crois, c�est le pouvoir d��tre �blouie. Je me sens un peu comme une Alice au pays des merveilles et d�ailleurs j�ai appel� ma fille Alice�

Vous aimez la brillance�

J�aimerais apprendre � voir la brillance. Montrer quelques reflets de la vie, faire surgir ce qui n�est pas dans la lumi�re. Et puis ne surtout jamais perdre le plaisir des autres. Je voudrais tellement �tre capable de rendre � l�autre autant qu�il m�a donn�. Pour moi, c�est cela faire du cin�ma.

Vous �tes attentive aux co�ncidences ? Une gravure vous d�cide � tourner Mol�m, un coup de fil vous pousse � lui donner suite�

Attentive, c�est le mot. Les choses me parlent. Les �v�nements de ma vie n�arrivent pas par pur hasard, et je m�en sers dans mon travail. Une anecdote, un r�ve, une pens�e� L�aventure du film Y�nden a d�marr� dans une p�riode de ma vie compliqu�e et triste. Je me posais beaucoup de questions, je vivais un passage douloureux qui me ramenait a mon pass�. Alain Cantero, le m�decin du film, m�a un jour t�l�phon� de la steppe. Y�nden se trouvait avec lui. Il a pris le combin� un instant, j�ai entendu sa voix, qui m�a boulevers� et r�veill�e. C�est � cet instant que j�ai pris la d�cision d�aller le voir et de faire un nouveau film avec lui ! C��tait comme un appel.

Ces retrouvailles avec Y�nden : l�occasion d�un bilan ?

Plut�t d�une �vidence, de ce que nous �tions toujours aussi proches, de notre reconnaissance imm�diate. Nos retrouvailles ont �t� si naturelles ! Je suis de sa famille, il est de la mienne. Nous nous sommes pris dans les bras, puis il s�est �chapp� aussit�t. Il a continu� a vivre devant moi comme si le fait que je sois la fut naturel. Je savais par de petits signes de connivence qu�il �tait content que je le voie grandi et heureux. Contempler Y�nden et ses amis au quotidien m�a redonn� le go�t de vivre.

Comment vous mettez-vous en sc�ne dans les retrouvailles avec Y�nden?

De mani�re �chapp�e. On me voit de dos, un peu de profil, puis je disparais. Je suis l� mais mon image s�en va pour laisser vivre Y�nden face � la cam�ra, qui est mon regard.
Ce que je souhaitais, c��tait regarder cet autre qu�est devenu Y�nden. Peut-�tre pour savoir qui est cette autre que je suis devenue.

A travers ces deux films, on a l�impression d��tre dans l�un de vos r�ves� car le r�veur s�incarne tour � tour en chaque personnage et chaque �l�ment de son r�ve, n�est-ce pas ?

C�est vrai, je suis un peu chacun de mes personnages. Dans le film, au moment ou je revois Y�nden � l�a�roport, j�ai mont� une image de Mol�m, lorsque le chamane retrouve l�enfant apres une escapade. J�ai r�alis� un parall�le entre ces deux retrouvailles. Sauf que dans mon imaginaire, Mol�m est plus sage et plus magique que moi !

Vous voudriez �tre ce chamane qui marche et qui ne s�arr�te pas�

Oh oui. (Soupir) Bien s�r. D�ailleurs je fais souvent ce r�ve : je marche sur un chemin de sable bord� de buissons. De temps en temps je m��chappe dans ces buissons et j�y rencontre des gens et des amis. Mais je finis par revenir sur le chemin principal qui m�ne � une grande montagne. Je me d�cide � la grimper pour admirer le soleil rouge qui se trouve tout en haut. Puis je descends, je vois la lumi�re raser la pente et ce chemin recommence, bord� des m�mes arbustes sur les c�t�s, termin� au loin par une autre montagne. Et je marche � nouveau, je rencontre ces autres et je grimpe. Seule.

La solitude est toujours pr�sente chez le pionnier, une figure qui vous fascine�

Elle est l�apanage des aventuriers. Elle peut �tre v�cue en ville et au sein des foules, ou dans une chambre. Personnellement, j�ai besoin de partir et de d�couvrir d�autres paysages pour me sentir vivre. Je suis constamment � la recherche d�un quelqu�un ou d�un quelque chose, ailleurs.

Vous aimez les fronti�res ?

Mon imaginaire est nourri par le voyage. Je me souviens que, lorsque j��tais enfant, on me racontait des histoires de gens qui faisaient le tour du monde. Je me repr�sentais alors traversant les fleuves, grimpant les montagnes et me perdant dans les for�ts ; j�imaginais la Terre comme une boule sur laquelle je marchais� Avec une amie, petites, nous inventions une g�ographie de pays inconnus et imaginions comment vivaient les gens. Nous laissions simplement errer nos doigts sur une carte et nous racontions des histoires. Je r�vais de traverser les frontieres comme je r�vais de me d�passer aussi, d�aller au-del� de ce que je savais. De marcher longtemps. Je le dis d�ailleurs dans le film : � Il faut faire un pas, et encore un de plus�. Car on peut toujours mettre un pied devant l�autre.

Ce qui vous ancre dans la vie ?

Le mouvement.

Ah bon ? c�est contradictoire !

Oui, j�aime �tre perdue, ballott�e. Ce sont les gens que je rencontre qui me donnent l�ancrage n�cessaire.

Dans Mol�m, vous �tes t�moin. Dans Y�nden vous �tes en quelque sorte actrice. Vers quoi allez-vous pour la suite ?

Je vais me plonger dans Les yeux d�un autre, un film sur le partage. Y�nden vient en France. L�encha�nement est logique. J�ai parl� d�une transmission, puis j�ai regard� Y�nden, devenu homme. Pour le troisi�me ? Y�nden nous regarde. J�aimerais exprimer qu�il n�y a pas de fin. Une fois que l�on sait ce qu�est le partage, rien ne se termine et tout se recommence perp�tuellement. Le chemin ne s�arr�te jamais.

Propos recueillis par J. L. N.


 
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