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Rencontre avec Aziz Chouaki
Comment d�finiriez-vous la jeunesse alg�roise d'aujourd'hui ?
Les jeunes se sont longtemps sentis abandonn� par le pouvoir politique. Aujourd'hui, il y a un tissu associatif qui se bat, mais comme le concept m�me de libert� d'association ne date que de 90... il n'y a pas encore vraiment de pratique ou d'habitude dans ce sens ! C'est tr�s difficile, mais �a existe : des festivals hip-hop ou de m�tal-rock se montent. Les jeunes alg�rois chantent en arabe mais avec un son compl�tement am�ricain. Ils sont d�chiquet�s entre les images format�es du monde occidental et le vide de leur cit�. Leur identit� culturelle n'est pas d�finie, surtout � cause de cet �tat de schizophr�nie linguistique : � l'�cole, comme � la t�l�, on utilise un arabe qui ne se parle pas du tout. Les gens passent leur temps � d�coder. Tout le monde joue au th��tre par rapport � la langue officielle.
L'Occident a-t-il tout bouff� ?
Les jeunes n'ont pas d'image valorisante � laquelle s'accrocher, � part un peu en musique. Des groupes alg�riens comme Micro Brise le Silence, renforcent admirablement le mythe en tournant en France ou en signant avec Virgin, mais les gens s'identifient davantage � Michael Jackson ou aux fast-food. Moussa Massy [h�ros de L'Etoile d'Alger, ndlr], c'est l'exemple parfait du creuset des d�bris de mythologie occidentale. Il fait le ramadan pour se bourrer la gueule deux secondes apr�s. Un aller-retour continuel et quasiment primitif, mais qu'il assume. Tout le monde, y compris les islamistes, customise la mondialisation.
...ce qui n'emp�che pas Moussa d'avancer ?
Moussa y va � fond, il est pr�t � vendre sa baraque pour s'acheter une chemise. Moussa br�le sa vie parce qu'il a un truc � donner. C'est quelqu'un de propre professionnellement, il a envie de bosser, alors chaque fois qu'il a gravi un �chelon, il ne montre pas sa joie. Il est convaincu que tout passe par le travail. C'est un bosseur talentueux.
Participant � l'initiative "Ecrivains en Seine-Saint-Denis", quels parall�les faites-vous avec les jeunes d'ici ?
L'Etoile d'Alger tente de parler de banlieues. C'est le m�me rapport au b�ton. Rarement la litt�rature arabe n'a abord� la ville au sens contemporain. La ville, c'est un personnage, et le rapport que Moussa entretient avec sa cit� est le m�me qu'ici. C'est shit, d�fonce, un jeune de la cit� de la Courneuve pourrait vous dire la m�me chose. Le futur existe de moins en moins, j'ai m�me remarqu� �a au niveau du langage. Ils diront "apr�s demain, je vais � Paris". Le futur m�me comme mode, n'existe plus.
Et l'usage du fran�ais en Alg�rie ?
Le fran�ais est toujours d'usage mais sous des formes cr�oles. Les jeunes essaient d'avoir leur sabir, pour ne pas �tre compris des adultes, alors �a donne un m�lange d�tonnant qui n'est pas reconnu. Le minist�re de la culture estime que c'est sauvage, vulgaire.
Comment parvenez-vous � faire lire les jeunes que vous rencontrez ?
Je me mets au milieu d'eux, et j'essaie de parler comme eux, de faire �a sous une forme th��trale, qu'il y ait une dimension ludique. Pour eux, lire est un privil�ge de nantis, ils se sentent offens�s par leur vide. Ils sont forts au niveau de la tchatche. L'Etoile d'Alger, quand je veux leur en parler, je leur lis moi-m�me des passages pour �tablir une confiance. Il existe un vrai complexe. Mais �a leur correspond tout � fait. Ils vivent sur des ruines, ils n'ont aucune id�e de leur pass�, et souvent ne parlent que trois mots de cet arabe qu'ils revendiquent. Je suis une sorte de passeur. Ils sont hors de l'�cole, la t�l� ne leur parle pas, et puis ils n'ont pas le droit de vote... Ce serait �norme qu'ils puissent �lire leur maire, ce serait le meilleur moyen pour qu'ils arr�tent de br�ler des bagnoles. Le civisme pourrait enfin se mat�rialiser.
Vous retournez souvent en Alg�rie ?
Non, pas depuis que je suis arriv� en France en 1991. Il est arriv� des choses � des gens qui ont fait moins que moi. Je fonctionne avec une Alg�rie virtuelle, sur le souvenir, mes contacts... et ma revue de presse.
Pourquoi ne parle-t-on pas davantage de votre livre ?
A mon avis, les m�dias se disent qu'on a assez donn� au niveau traitement de l'Alg�rie. A force d'en parler, �a banalise, �a d�vitalise. �a me fait du tort, parce que mon projet, c'est moins parler de l'Alg�rie que de mon projet d'�criture. Je me consid�re plus comme un �crivain que comme un alg�rien. Le constat... les journalistes le font mieux que moi. Ce que je veux montrer, c'est que la mondialisation n'attend pas pour toucher le tiers-monde. Que ce soit par le roman, le th��tre [Aziz Chouaki �crit en ce moment pour le th��tre des Amandiers � Nanterre, ndlr] ou le cin�ma, l'�criture r�unit tout. Je veux rendre singuli�re une vision sur l'Alg�rie en privil�giant d'abord les sensations par rapport au c�r�bral, � l'analyse lourde.
Pensez-vous qu'une adaptation au cin�ma aurait un sens ?
Un producteur semble int�ress�. C'est un roman visuel : on donne � voir des situations qui s'encha�nent sans jugement. �a ressemble beaucoup au m�canisme d'un sc�nario. �a me tenterait de le r�aliser, mais c'est tr�s lourd. �a donnerait une nouvelle vision aux jeunes. Moussa Massy, c'est quelqu'un qui construit son mythe � la James Dean. Il veut devenir une star. Il d�veloppe une attitude presque au sens rock'n roll, ce qui serait extr�mement parlant aux jeunes de banlieue.
Vous dites : "Ecrire, c'est restituer le simple acte de vivre". Votre �criture m�ne pourtant un combat beaucoup plus politique ?
Je me m�fie de �a. Je ne cherche pas � d�noncer. C'est vite r�cup�r�. Je n'aime pas le mot engag�, par exemple, je pr�f�re le mot concern�. Mon but, avant tout, c'est la litt�rature : je suis un artisan de l'�criture. Propos recueillis par Ariel Kenig
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