#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Parler d'amour avec Emmanuel Adely


Mon Amour. Nul titre n�aurait pu mieux convenir � ce texte emport�, dont l�ambition du sujet n�a d��gale que l�oralit� toute puissante de son expression. Pour son sixi�me roman, Emmanuel Adely s�attaque au plus ancien topo� de la litt�rature et parvient � en �viter tous les �cueils. Et vous, comment parlez-vous d�amour ?

En compagnie de Fr�d�ric Dumond, vous venez de lire des extraits de votre livre : c�est une habitude ?

La proposition � l�origine �tait de faire une simple signature mais je trouve que c�est offrir un cadeau suppl�mentaire au lecteur que de lui faire entendre diff�remment un livre, l�appr�hender autrement, m�me si je suis loin de pr�tendre � un exercice d�acteur ! En revanche, c�est une envie r�cente, avant je d�testais lire mes romans. Maintenant, je me rends compte que je suis (et pour cause !) celui qui sait le mieux o� mettre des virgules, l�intonation, la ponctuation. Pour Mad about the boy, je lisais enti�rement (toujours avec Fr�d�ric) le texte � il fait 50 pages, ici c�est �videmment impossible mais du coup, on fait un choix de textes diff�rents � chaque lecture.

Votre production est r�guli�re depuis quelques ann�es mais six ans s�parent votre premier livre, Les Cintres (1993 chez Minuit), et le second, Agar-Agar (1999, aux �ditions Stock). Pourquoi un tel �cart ?

Quand j��tais jeune, je pensais na�vement qu�on pouvait vivre de l��criture : or apr�s Les Cintres, j�ai r�alis� que ce n��tait pas du tout le cas ! J�ai donc d� travailler, et puis je suis parti � l��tranger, en Gr�ce. Je n�ai pas abandonn� les lettres pour autant car j�ai r�guli�rement publi� des nouvelles dans des revues, et j�ai m�me cr�� en Gr�ce un journal culturel.
Une autre raison importante est que Minuit avait refus� Agar-Agar, souhaitant que je le retravaille, et si cet exercice n��tait pas inint�ressant, il changeait cependant le sens du livre. Et moi, j�y croyais tel quel. Trouver un autre �diteur n�a pas �t� facile car il se demande toujours pourquoi on a quitt� le pr�c�dent !
Enfin, il y a aussi le fait que je n�estime pas �vident, apr�s un premier livre, de r�-embrayer tr�s vite, de trouver un univers aussi fort que pour le premier. Un premier livre est toujours assez casse-gueule parce qu�on pense avoir fait le maximum� moi en tous cas je l�ai pens� longtemps ! Je me disais que je n�arriverai pas � reproduire un tel chef d��uvre que Les Cintres ! En plus, j�utilisais le � je �narratif, (et j�ai continu� jusqu�� Mad about the boy) et c��tait difficile de lui trouver une coh�rence nouvelle, savoir si je voulais qu�il soit diff�rent ou au contraire identique. Bref, tout �a a pris du temps !

Dans Jeanne, Jeanne, Jeanne on part � la recherche de la m�re, dans Fanfare, c�est l�image du p�re qu�on poursuit. Des critiques vous ont alors consid�r� comme un auteur d�auto-fiction vous rapprochant de Christine Angot. Qu�en pensez-vous ?

J�ai horreur de �a ! Je pense que l�auto-fiction n�est qu�un terme � la mode, comme les courants, cr��s pour classifier ce qui n�est pas classifiable. D�s lors qu�on �crit, il y a de la fiction. L�auto-fiction est un concept qui m��coeure absolument. Il y a d�abord de bons et de mauvais livres, de bonnes comme de mauvaises fictions. La fiction est l��l�ment essentiel d�un livre, l�auto-fiction est un concept marketing, qui a fait beaucoup de mal � la litt�rature car cette question n�a pas vraiment d�int�r�t. Certains auteurs qu�on a qualifi�s � d�auto-fictionnels � sont au del� de �a, d�autres ont essay� d��pouser un courant dans lequel ils sont mauvais ! Pour moi, c�est un faux d�bat. La part � auto-fictionnelle � existe dans tous les livres et la phrase de Flaubert est toujours d�actualit� : � Madame Bovary, c�est moi �.

Dans tous vos livres, il y a peu de ponctuation�

Mais non ! On dit que je l�utilise de fa�on anarchique et c�est faux ! A part Mad o� il n�y en a effectivement aucune : ce n��tait pas pour faire un exercice de style, �a s�est impos� comme cela. J�ai effectivement tendance � pr�f�rer la phrase longue et une ponctuation assez rare mais c�est pour que chacun y mette la sienne. Peu de ponctuation permet d�avoir plusieurs sens � une m�me phrase, de l�entendre diff�remment selon ce qu�on a envie d�y lire. Je consid�re ma ponctuation au contraire comme pr�cise, en tous cas d�termin�e. C�est ma fa�on de savoir o� je souhaite mettre du souffle, et c�est le seul int�r�t pour moi de la ponctuation. En revanche, c�est vrai que je n�utilise que la virgule et le point qui sont � mes yeux assez �quivalents.

Vous utilisez majoritairement le monologue dans vos textes, on peut parler d�une �criture de l�intimit�, de l�int�riorit�. Vous avez envie un jour d��crire un roman o� l�action serait externe, o� l�imagination serait reine ?

A vrai dire, non ! Ce qui m�int�resse c�est l�humain, or ce n�est pas l�anecdote qui touche l��tre mais ce qu�il vit. L�int�r�t pour moi ce sont les rapports entre les gens, la duret�, ou la profondeur, ou la violence, ou la difficult� de ces rapports, cet �ventail-l� de sentiments qu�on peut tous �prouver. Je suis aussi passionn� par la voix, ce que les gens pensent, ce qu�ils peuvent dire, la mani�re qu�ils ont de s�exprimer les uns face aux autres. Tout �a annule forc�ment toute anecdote. Etre dans cet intime-l� des gens, me placer au-del� de l�apparence, des masques, voil� mon univers, voil� ce que je sais faire, ce qui me donne du plaisir � �crire.

Dans Mon amour, les personnages sont li�s familialement, chacun donne sa vision de l�amour, mais tous sont issus d�un milieu social peu �lev�. Qu�est-ce qui vous int�ressait le plus : parler d�amour ou de ce milieu ?

Pour moi, il n�y a pas vraiment de milieu indiqu�. Bien s�r, ce ne sont pas des aristocrates ni m�me des bourgeois mais ce n�est pas fondamental dans ma conception romanesque. Au d�part, apr�s le polyptique que constituaient Les Cintres, Jeanne�, Agar-Agar, et Fanfares, je voulais d�passer le � je � narratif et arriver � utiliser des personnages r�ellement de � fiction �. Et puis, dans ma propre �criture, quelque chose me g�nait aussi, cette impression d��tre arriv� au bout, en l�occurrence de ma perfection grammaticale, trop pure, trop classique. J�ai pris le temps d�y r�fl�chir, de r�aliser que je souhaitais �tre plus proche encore du r�el, par le truchement de la voix.
Cela faisait aussi longtemps que j��tais frapp� par l��cart absolu entre l�expression �crite et orale. Ce foss� l� m�apparaissait totalement aberrant : comment � partir de l� faire une litt�rature en �crivant comme on parle, qui se lit comme on dit. ? En utilisant le vocabulaire tel qu�il est parl� par la plupart des gens, il y avait �galement une volont� d�entrer dans un v�ritable questionnement social. Les auteurs que je pr�f�re comme Svetlana Alexievitch, Fran�ois Bon (avec Daewoo) ou Valtinos, sont ceux qui se mettent en retrait, dont le propre style dispara�t derri�re ce que leurs personnages disent. C�est ce qu�il y a de plus difficile car il n�est pas si compliqu� d�avoir un beau style. Or, poss�der une oralit� expressive n�emp�che pas de conserver un certain style.
Je voulais donc utiliser le registre de l�oralit� et le placer dans un discours qui permette le questionnement social, qui soit un acc�s et pas le questionnement en lui-m�me. Au lecteur ensuite de s�y int�resser s�il le souhaite, de se dire qu�il y a une fracture telle qu�effectivement les gens aujourd�hui vivent dans deux mondes s�par�s. Mais s�il y a bien un sentiment universel, partag�, c�est l�amour. Et peu importe le milieu. Pour moi, la litt�rature doit toujours �tre � un moment donn� un t�moignage du r�el.

Vous avez un personnage pr�f�r� dans ceux de Mon amour ?

Tous ! Je me suis aper�u au cours de l��criture de ce livre que le � je � narratif que j�utilisais dans mes romans pr�c�dents est un � je � sous-entendant que l�on parle de soi, alors que ce n��tait pas le cas. Bien s�r, il y a des parties r�elles mais on appara�t finalement beaucoup moins dans un � je � narratif que dans une pl�iade de personnages comme dans Mon amour. L� encore comme pour Flaubert et Mme Bovary, je r�alisais dans l�emportement de l��criture (car je l�ai �crit d�une traite) que tous ces personnages �taient tous une partie de moi. Dans nos sentiments, on est tous schizophr�nes, on a cette gamme en soi de bonheur, de jalousie, d�optimisme, de d�sespoir, que chacun de mes personnages incarne plus particuli�rement.

Vous vous sentez proche de certains �crivains, pass�s/pr�sents, ou au contraire vous faites seul votre chemin ?

Fran�ois Bon encore dont j�aime beaucoup l�approche litt�raire, Emmanuel Carr�re, notamment � cause de L�Adversaire et de La Classe de neige, Svetlana Alexievitch que j�ai cit�e tout � l�heure avec des Cercueils de zinc ou La Supplication, Valtinos, Guyotat, Mauvign� Ce sont des � fanions � litt�raires vers lesquels j�ai envie d�avancer. Apr�s c�est plus du domaine de la sociologie ou de l��tude politique, avec des gens comme Bourdieu ou Debord, dont je retire un enseignement. Je n�ai en tous cas pas vraiment d�auteurs am�ricains ou hispanisants, � part Garcia Marqu�s que je prends plaisir � lire mais qui ne m�apprend pas vraiment.
Moi, j�ai vraiment envie de donner la voix, la parole aux gens, d�aller vers cette mati�re brute et de la donner � entendre au plus pr�s d�une r�alit� orale.

Mon Amour, d�Emmanuel Adely
Editions Jo�lle Losfeld.
15 � 50

Propos recueillis par Ma�a Gabily


 
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