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Entretien avec Blandine Le Callet, la cerise de la rentr�e !
Tous les m�dias le disent : le mariage est � la mode !Apr�s
le cin�ma, c�est � la litt�rature de s�en emparer : Blandine Le
Callet en fait la trame d�Une pi�ce mont�e, un premier
roman r�jouissant qui para�t ce mois-ci aux �ditions Stock.
Zone : A part votre ann�e de naissance et que Une pi�ce
mont�e est votre premier roman, on n�apprend rien de vous
avec la quatri�me de couverture : Vous avez toujours �crit ?
C�est votre seule occupation ?
Oui, j'ai toujours �crit. J'ai su que je voulais devenir �crivain vers
l'�ge de dix ans, et depuis, il ne s'est pas pass� un jour sans
que je pense � celui o� je publierais un roman. Pourtant, j'ai
attendu d'avoir trente-cinq ans pour en terminer un -il y en a
beaucoup d'inachev�s, qui dorment dans des dossiers ! - et le
proposer � un �diteur. Avec le recul, je me dis que cela peut
sembler vertigineux d'avoir attendu si longtemps. Sans doute y
avait-il la peur de me confronter au principe de r�alit�, la peur
d'essuyer un refus de la part des �diteurs. Mais j'avais aussi le
d�sir de ne pas mettre l'�criture au centre de mon existence :
elle m'a toujours accompagn�e, mais je n'ai jamais envisag� de
ne faire qu'�crire. J'ai la vie ordinaire d'une m�re de famille qui
travaille : je suis mari�e, m�re de trois enfants ; j'enseigne le
latin � l'Universit�, et je fais de la recherche en philosophie
ancienne et litt�rature latine. Les moments que je choisis de
consacrer � l'�criture sont comme des parenth�ses pr�cieuses
et vivifiantes ; mais elle n'ont de sens � mes yeux que parce qu'il
y a tout le reste � c�t�.
Zone : Quand on interroge l�auteur d�un premier roman, on
se pose toujours la question : votre manuscrit est il un miracul�
de la poste ou est-il parvenu directement sur le bureau de
l��diteur ?
Mon manuscrit est un "miracul� de la poste" - l'expression que
vous employez me semble assez juste, car je vis cette aventure
comme une sorte de conte de f�es. En avril dernier, j'ai
commenc� ma "tourn�e des �diteurs", avec mes manuscrits
dans un sac de voyage. Je ne connaissais absolument
personne dans le monde de l'�dition, et j'avais l'impression
d'�tre une sorte de Rastignac lanc� � l'assaut de Saint Germain
des Pr�s. J'ai d�pos� un manuscrit � l'intention de Jean-Marc
Roberts, � l'accueil des �ditions Stock, un jeudi matin � 11h30.
La pile �tait d�j� haute. J'ai souri � la jeune femme de la
r�ception, et en marchant vers la porte, je me suis dit que c'�tait
la derni�re fois que je mettais les pieds dans cette maison. �
17h30, le m�me jour, je recevais un coup de fil de Jean-Marc
Roberts... Du coup, je me suis retrouv�e avec une grande pile
de manuscrits non distribu�s sur les bras !
Zone : Publier un premier roman, c�est toujours un grand
plongeon dans l�inconnu : dans quel �tat d�esprit �tes-vous ?
Le fait d'�tre publi�e est d�j� en soi un tel cadeau, une telle
satisfaction personnelle, que je n'en demande pas davantage.
Tout ce qui viendra en plus sera comme un "bonus" - la cerise
sur la pi�ce mont�e, si vous pr�f�rez. Si mon livre pla�t et
rencontre un public, ce sera �videmment un grand bonheur.
Zone : Vous �tes de la � rentr�e janvier �, l�autre �v�nement
�ditorial apr�s septembre et la p�riode des prix : honn�tement,
vous avez lu /lirez plut�t le Renaudot ou le Goncourt ou l�Interalli�
2005 ? !
Je dois vous avouer que je lis tr�s peu de litt�rature
contemporaine, et que les prix litt�raires n'ont pas � mes yeux
un caract�re particuli�rement prescriptif. Apr�s une telle
r�ponse, je suis sans doute "grill�e"ad vitam aeternam pour ces
trois prix ! Plus s�rieusement, Nina Bouraoui �tant un "auteur
Stock", je vais sans doute lire son livre dans un proche avenir.
Zone : Parlons de votre livre. Une pi�ce mont�e se d�roule
lors d�un mariage, celui de B�reng�re et Vincent, que l�on suit en
adoptant successivement le point de vue de diff�rents
personnages, les mari�s, leurs familles, des invit�s, le pr�tre�
Pourquoi avoir choisi cet �v�nement ? Il est symbolique pour
vous ?
J'ai choisi de raconter un mariage parce que c'est un
�v�nement qui compte pour un grand nombre de gens, un
�v�nement r�v�, fantasm�, sans doute surinvesti
symboliquement. Quand j'ai commenc� � parler de ce projet
autour de moi, j'ai senti combien les gens �taient int�ress�s. Ils
me racontaient des anecdotes survenues � des mariages, dont
certaines se retrouvent d'ailleurs dans le roman.
D'un point de vue romanesque et litt�raire, c'�tait un sujet en or.
D'abord, il y a une esth�tique du mariage, une mise en sc�ne
que l'on voudrait �l�gante, raffin�e, depuis la robe de mari�e
jusqu'� la d�coration des tables, en passant par la tenue des
enfants d'honneur. Et puis, c'est une f�te de famille, la r�union -
et la confrontation - de gens parfois tr�s diff�rents. � partir de l�,
il �tait possible d'inventer autant de petits drames que de petites
com�dies. La c�r�monie de mariage est aussi la mise en
sc�ne - un peu th��trale, un peu forc�e - du bonheur d'un
couple. Cela conduit chacun � faire plus ou moins
consciemment le bilan de sa propre exp�rience, � r�fl�chir �
ses choix de vie : rester en couple, chercher l'�me s�ur, rester
seul... Bref, il me semblait qu'une c�r�monie de mariage �tait
une sorte de laboratoire id�al pour observer - � ma modeste
�chelle - la com�die humaine !
Zone : Le passage de Bertrand, pr�tre dont la foi vacille et
qui b�cle le mariage, est particuli�rement fort : qu�est-ce qui
vous a souffl� ce personnage ?
Je suis personnellement agnostique mais, ayant re�u une
�ducation catholique, j'ai c�toy� un certain nombre de pr�tres,
dont certains �taient profond�ment d�prim�s par l'aridit� de leur
sacerdoce et le d�peuplement des �glises. Pour un grand
nombre de mariages, le passage par l'�glise r�pond � une
tradition familiale, un peu folklorique, plut�t qu'� une v�ritable
implication religieuse.
Et puis, j'ai un jour assist� au mariage d'une cousine, o� le
pr�tre a compl�tement b�cl� la messe. J'en ai reparl� avec elle,
et elle m'a avou� qu'elle et son fianc� n'avaient pas pr�par�
cette c�r�monie avec beaucoup de s�rieux. Elle �tait un peu
contrari�e, mais au fond r�sign�e : le pr�tre s'�tait en quelque
sorte veng� de la l�g�ret� et du peu d'implication des fianc�s !
J'ai tout de suite eu l'id�e d'en faire une histoire, o� l'incident de
la messe de mariage serait, au-del� du ressentiment envers les
mari�s, le sympt�me d'un d�sespoir profond.
Zone : Ce qu�on aime aussi dans votre livre c�est que
B�reng�re, l�h�ro�ne du jour, n�est pas un personnage pour
lequel on ressent vraiment de la sympathie. Vincent ou Marie
nous semblent au contraire plus humains. L�exposition de
caract�res si diff�rents nous poussent � une certaine
subjectivit� d�appr�ciation : vous m�me, vous avez pr�f�r� �
�crire � certains personnages parmi l�ensemble ?
J'ai effectivement cr�� des personnages tr�s diff�rents, parfois
odieux, parfois attachants, souvent p�tris de contradictions. J'ai
ressenti une grande joie � les imaginer, � les "peaufiner" pour
les rendre le plus cr�dibles possible. J'aurais du mal � vous
dire lequel � ma pr�f�rence. Ils ont tous quelque chose qui me
pla�t ou m'�meut. C'est vrai pour la petite fille, qui ressemble
beaucoup � celle que j'ai �t�. C'est vrai pour le pr�tre, pour la
grand-m�re frondeuse, et m�me pour Damien, le parfait salaud
qui re�oit la premi�re grande claque de son existence. Vraiment,
je les aime tous.
Quant � B�reng�re, malgr� tous ses d�fauts, je ne crois pas
qu'on puisse la r�duire � un personnage antipathique ; en tout
cas, j'ai essay� d'en faire quelqu'un de plus complexe que �a. �
la fin du roman, on la d�couvre moins s�re d'elle, assez
d�munie, au fond. Elle a peur, soudain, de ne pas y arriver, de
ne pas r�ussir sa vie, comme si elle avait pris d'un seul coup
conscience de la
fragilit� de son bonheur.
Zone : vous abordez les th�mes de l�handicap et de
l�homosexualit�, des � causes � qui vous tiennent � c�ur ?
Je me sens pr�occup�e par toute forme de marginalisation des
personnes consid�r�es comme diff�rentes ou "d�viantes" au
sein de notre soci�t�. J'ai consacr� mes travaux de recherche �
la notion de monstruosit� dans la Rome antique. Rien ne
renseigne mieux sur une civilisation que la fa�on dont elle d�finit
et traite ceux qu'elle consid�re comme des "monstres" ou des
"anormaux". Quand on r�fl�chit aux conditions de vie faites
aujourd'hui aux prisonniers, aux malades mentaux, aux
personnes fragilis�es �conomiquement, on entrevoit souvent
des aspects inhumains notre soci�t�. C'est vrai que la pr�sence
dans mon roman d'une enfant trisomique et d'une jeune femme
homosexuelle n'est pas anodine. Le combat pour la
reconnaissance du mariage homosexuel est une cause qui me
tient � c�ur, mais je ne me fais aucun souci : je suis s�re que
ce n'est qu'une question de temps. Je suis moins optimiste
concernant l'accueil r�serv� aux enfants handicap�s...
Zone : pour finir, vous m�me, vous �tes mari�e ?
Oui. J'ai eu envie de me marier assez vite apr�s avoir rencontr�
"l'homme de ma vie". La d�cision m'a sembl� naturelle : ni
angoisse, ni ind�cision ! C'est sans doute parce que je n'ai
jamais "fantasm�" sur le mariage. Pour moi, c'est � la fois une
mani�re festive d'officialiser une relation, et un contrat social, la
fa�on la plus commode d'organiser la vie en couple au sein de
la soci�t�. C'est une d�cision �videmment tr�s importante, et je
garde de ce jour un souvenir �mu, mais c'est un engagement
r�versible. Pour moi, le v�ritable engagement, c'est de faire un
enfant avec quelqu'un. L�, on est vraiment li� � l'autre par
quelque chose qui ne pourra jamais se d�faire, quoi qu'il arrive.
Une pi�ce mont�e, �ditions Stock, 17,50 euros Propos recueillis par Ma�a Gabily
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