Il ne l'a pas molle, lui
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Jaenada ne l'a pas molle, lui.
Le troisième roman de Philippe Jaenada, après Le chameau sauvage (prix de Flore 1997) et Néfertiti dans un champs de canne à sucre, est bon, très bon, c'est indéniable, et la conviction s'impose d'emblée : ce type a du talent.
Porté sur le devant de la scène médiatique il y a peu pour sa participation à l'écriture d'un polar interactif (opération organisée par Le Monde), Philippe Jaenada semble avoir trouvé une voie en adéquation littéraire et stylistique avec ses qualités dans l'écriture de la fiction ; il l'exploite avec une rapidité et un brio certains dans La grande à bouche molle. Souhaitons que cette empreinte poursuive son processus de maturation pour les œuvres à venir.
Les clés de son succès sont offertes dans une nudité splendide dès les premières pages de cette aventure aux allures d'enquête policière : la prose de Jaenada est tout simplement libérée. Pas de fin, pas d'aboutissement logique, aucune limite et une expression bridée uniquement par la nécessité de conduire le récit intelligiblement. Dire ce que l'on choisit de dire en donnant l'impression de tout livrer, sans qu'aucun manque ni aucune longueur ne se fasse ressentir, est une gageure : relevée, avec une maîtrise du mot qui lui fait honneur.
La fiction de Jaenada possède ce zeste de folie douce qui comble l'imaginaire poétique du lecteur alors que celui-ci se préparait au suspense. Son attente est orientée subtilement vers un autre suspense, inattendu, dont il ne peut s'extraire que ravi. Digressions d'enfant, suspensions capricieuses, jeux : tout est vigueur. Et ce livre de se découvrir et de se savourer d'une traite : la poursuite policière, semée de quelques cadavres et d'hypothèses toujours plus farfelues les unes que les autres, est une simple et minuscule entorse à la vérité première : Je vais me mettre à mon compte, et je vais vous expliquer pourquoi.
Ce qu'on découvre ici, ce sont les manières d'être drôle, bizarre, voire touchant, de Paris au salon du luminaire de Romans, de la Normandie paumée aux clubs sado-maso de New York. Et comment sortir de l'ordinaire sur une intuition qui est connue dès le départ pour être fausse. Notre détective Philippe ? Fidèle, fasciné par le Tiercé, obsédé par la barre rouge de son compte en banque, tyrannisé par son patron, et bien entendu, toujours digne dans la sainte panade paniquée où ses velléités supermaniaques le poussent. Con, mais pas tant que ça puisqu'il le sait : "J'aimais de moins en moins la méthode de la connerie à ne pas faire, que j'avais inventée à l'époque où je ne connaissais pas encore bien la vie, avant-hier. On en découvre vite les limites. Parfois on sait pertinemment qu'on va faire une connerie, mais on n'a pas le choix. Or si on y pense ("Je ne suis pas dupe, je vais faire une connerie"), on est encore plus dépité. On se sent non seulement téméraire, ce qui déjà fout la trouille, mais idiot."
Finalement tout ce qu'il souhaite, cet homme ordinaire, c'est qu'on lui foute la paix ; n'a-t-il pas déjà fait ses preuves en prouvant que sa "bite est plus forte que son revolver" ? Tout aurait pu s'arrêter là, mais on lui en aurait voulu.
Jessica Nelson
La grande à bouche molle
Philippe Jaenada
Ed. Les éditions du Yunnan
317 p / 19 €
ISBN: 2260015530
Le troisième roman de Philippe Jaenada, après Le chameau sauvage (prix de Flore 1997) et Néfertiti dans un champs de canne à sucre, est bon, très bon, c'est indéniable, et la conviction s'impose d'emblée : ce type a du talent.
Porté sur le devant de la scène médiatique il y a peu pour sa participation à l'écriture d'un polar interactif (opération organisée par Le Monde), Philippe Jaenada semble avoir trouvé une voie en adéquation littéraire et stylistique avec ses qualités dans l'écriture de la fiction ; il l'exploite avec une rapidité et un brio certains dans La grande à bouche molle. Souhaitons que cette empreinte poursuive son processus de maturation pour les œuvres à venir.
Les clés de son succès sont offertes dans une nudité splendide dès les premières pages de cette aventure aux allures d'enquête policière : la prose de Jaenada est tout simplement libérée. Pas de fin, pas d'aboutissement logique, aucune limite et une expression bridée uniquement par la nécessité de conduire le récit intelligiblement. Dire ce que l'on choisit de dire en donnant l'impression de tout livrer, sans qu'aucun manque ni aucune longueur ne se fasse ressentir, est une gageure : relevée, avec une maîtrise du mot qui lui fait honneur.
La fiction de Jaenada possède ce zeste de folie douce qui comble l'imaginaire poétique du lecteur alors que celui-ci se préparait au suspense. Son attente est orientée subtilement vers un autre suspense, inattendu, dont il ne peut s'extraire que ravi. Digressions d'enfant, suspensions capricieuses, jeux : tout est vigueur. Et ce livre de se découvrir et de se savourer d'une traite : la poursuite policière, semée de quelques cadavres et d'hypothèses toujours plus farfelues les unes que les autres, est une simple et minuscule entorse à la vérité première : Je vais me mettre à mon compte, et je vais vous expliquer pourquoi.
Ce qu'on découvre ici, ce sont les manières d'être drôle, bizarre, voire touchant, de Paris au salon du luminaire de Romans, de la Normandie paumée aux clubs sado-maso de New York. Et comment sortir de l'ordinaire sur une intuition qui est connue dès le départ pour être fausse. Notre détective Philippe ? Fidèle, fasciné par le Tiercé, obsédé par la barre rouge de son compte en banque, tyrannisé par son patron, et bien entendu, toujours digne dans la sainte panade paniquée où ses velléités supermaniaques le poussent. Con, mais pas tant que ça puisqu'il le sait : "J'aimais de moins en moins la méthode de la connerie à ne pas faire, que j'avais inventée à l'époque où je ne connaissais pas encore bien la vie, avant-hier. On en découvre vite les limites. Parfois on sait pertinemment qu'on va faire une connerie, mais on n'a pas le choix. Or si on y pense ("Je ne suis pas dupe, je vais faire une connerie"), on est encore plus dépité. On se sent non seulement téméraire, ce qui déjà fout la trouille, mais idiot."
Finalement tout ce qu'il souhaite, cet homme ordinaire, c'est qu'on lui foute la paix ; n'a-t-il pas déjà fait ses preuves en prouvant que sa "bite est plus forte que son revolver" ? Tout aurait pu s'arrêter là, mais on lui en aurait voulu.
Jessica Nelson
La grande à bouche molle
Philippe Jaenada
Ed. Les éditions du Yunnan
317 p / 19 €
ISBN: 2260015530
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:39
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