Sagan dans son temps

Enquêtes
" Fit son apparition en 1954 avec un mince roman, Bonjour Tristesse, qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après un vie et une oeuvre également bâclées ne fut un scandale que pour elle-même ". Epitaphe. Fleurs et tristesse. Imaginons simplement les circonstances de sa mort. Elle qui lisait encore, tout le temps, elle qui n'a jamais cessé de s'intéresser aux jeunes plumes, imaginons sa trace.

Revival

Françoise Quoirez, dite Sagan, avait déjà six lignes dans le Petit Larousse quand elle est morte le vendredi 24 septembre d'une embolie pulmonaire. Six lignes qui ne disent rien sur qui investit autant l'iconographie des années 50. Et la nostalgie qui va avec. Après le revival des années 80, 70 et 60, la mode de l'hiver 2004, c'est annoncé partout, couronne le tweed, la jupe trapèze et les imprimés à fleurs. N'ayant jamais caché le moteur financier qui la poussait, parfois, à " faire " ses livres, ces dernières années ne lui en ont connu que peu (dernier ouvrage paru : Derrière l'épaule, 1998), comme si elle attendait pour mourir un regain d'intérêt pour la décennie dans laquelle la conscience collective la casait. Françoise Sagan est morte en son temps.

De la jeunesse

Aston Martin, Saint Tropez, les casinos et Dieu créa la femme. Moraliste dans ses livres, immoraliste dans la vie. Sagan a accompagné l'émancipation dans l'excès. Trop d'alcools, trop de drogues, trop de jeux, trop de dettes, trop de mèche. Trop belle pour nous... En 1975, Brigitte Bardot pose pour le numéro du 27 octobre de l'Express. Naturellement, le magazine présente Sagan et Bardot. Quand elle publie son premier roman, Colette disparaît. Sa dernière publication est la préface de la correspondance entre George Sand et Alfred de Musset. Oui, Françoise Sagan porte la marque de la modernité féminine, quand le travail continue avec Catherine Millet...

Si tous les journalistes coupables d'émissions littéraires ressortent depuis une semaine un grand nombre d'interviews, c'est qu'autour du "charmant petit monstre", il y en avait de la caméra. Un héritage médiatique lourd, pour qu'on se souvienne d'elle un peu plus longtemps. Plus longtemps que ces "jeunes" auteurs qui surgissent chaque année. C'était au tour de Thibault de Montaïgu l'année passée. Aujourd'hui, Gaspard Koenig nous sort son Octave avait vingt ans (Grasset) qui, d'ailleurs, pioche son personnage éponyme dans Proust alors que la Quoirez avait trouvé son pseudonyme dans A la recherche du temps perdu. Adoubé, et pour cause, par le très Saganien Bernard Franck avant même sa sortie, le Gaspard Koenig en question, à 22 ans, montre qu'il est bien difficile d'éblouir dans la précaution. De nos jours, on ne s'approprie Proust qu'avec distance. Et pour le style, on se contente du service minimum. Ni trop clair ni trop sec.

"Tout ce merveilleux mécanisme des réflexes humains, toute cette puissance du langage, je les avais brusquement entrevus. Quel dommage que ce fût par les voies du mensonge. Un jour, j'aimerais quelqu'un passionnément et je chercherais un chemin vers lui, ainsi, avec précaution, avec douceur, la main tremblante." En écrivant son Bonjour tristesse, Sagan cherchait certainement à se plaire d'abord à elle-même. Un défi que peu de jeunes en 2004 semblent relever. Comme si nous avions pris un coup de vieux. Comme si la jeunesse avait trop vieilli pour que Sagan ne s'y retrouve plus. Il n'y a pas de nostalgie à mourir, et la mort n'est pas grand-chose... Gaspard avait vingt-deux ans en saluant la tristesse ; Sagan en avait dix-neuf... Assurément, la littérature n'est pas un cycle.


Ariel Kenig et Charles Patin O'Coohoon

Zone Littéraire correspondant



Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Last modified onlundi, 28 février 2011 15:48 Read 6076 times