Et New-York Reverdy
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Du néant sort peut-être la vérité. Avec ce quatrième roman, Thomas Reverdy se penche sur le destin de plusieurs personnages, morts une première fois le 11 septembre. L’envers du monde, c’est à la fois une quête de rédemption, une réflexion sur l’absence, et une intrigue policière. Un vrai roman en somme. Rencontre.
Qu’est ce qui a motivé l’écriture de ce roman ? Est-ce une date, le 11 septembre 2001, est-ce un lieu, New-York, ou une narration, la sérendipité ?
Il y a sans doute un peu de tout cela à la fois. Même si au départ c’est sans doute plus New-York comme lieu et comme espace qui m’attirait. J’avais déjà situé le début du Ciel pour mémoire, mon deuxième roman dans ce coin de Brooklyn entre la plage de Coney Island et la fête foraine. C’est un lieu dans lequel je suis allé assez souvent. Le roman provient également d’une volonté de narration avec des personnages qui s’entrecroisent, dans une tradition plus américaine. Je voulais sortir d’une thématique plus intime qui avait été celle de mes premiers romans pour essayer d’aborder quelque chose de l’ordre du rapport à l’Histoire. Même si ce rapport est individuel et plus intime.
Si le livre se déroule deux ans après le 11 septembre, est-ce parce que vous ne souhaitiez vous confronter exclusivement à l’événement ?
Le roman n’est pas né de la volonté de se frotter directement au 11 septembre. Et j’ai compris assez vite que c’était une bonne intuition. Ça me permettait de traiter le sujet plus indirectement mais plus profondément que si je l’avais attaqué frontalement. Si je l’avais attaquer de face, j’aurais fait comme tout le monde, j’aurais répéter ce que disent les journalistes ou les experts. Ca n’aurait pas été un travail d’écrivain. J’avais lu le livre de Don Delillo. J’ai beaucoup aimé L’homme qui tombe mais j’avais été assez frappé par la lecture. Je pensais que le roman s’attaquait à l’événement lui-même. En fait, c’est autre chose, c’est juste un vrai roman dans la tradition de Delillo. Malgré tout, le livre, en entendant se confronter au 11 septembre, le rate un peu.
Vous livrez une réflexion qu’on a peu l’habitude de lire autour du 11 septembre, l’existence d’un lieu par son absence ?
Pendant longtemps je suis retourné à New-York, sans jamais aller sur le site du World Trade Center. Je ne voulais pas voir juste un trou. Et puis, il y a quatre ans, je me suis retrouvé par un concours de circonstances à accompagner un groupe d’élèves de première dans un voyage à New-York. Avec mes collègues, il était évident que nous devrions leur faire visiter Ground Zero. Contre toute attente, j’ai été extrêmement ému par le site. J’ai trouvé que c’était une figuration assez saisissante de l’absence et de la mort dans l’espace d’une ville. C’est d’autant plus saisissant que c’est éphémère. On savait déjà que le site était en reconstruction. Même le néant disparaît… Nul doute que dans cette présence/absence, il y a quelque chose qui est très fictionnel. Dans cette zone, on fait exister quelque chose qui, en fait, n’existe pas. C’était également, et malgré moi, une manière de rester dans une de mes thématiques : le deuil. J’emprunte souvent quand j’en parle une phrase de Barthes qu’il a lui-même emprunté à Proust : l’incompréhensible contradiction du souvenir et du néant. Le moment où on se souvient parce qu’il n’y a précisément plus rien. C’est une contradiction impossible à résoudre.
Vous multipliez les personnages et leur rencontre autour d’une intrigue qui reprend les codes du polar avec un mort, une enquête et un suspect…
Je voulais écrire un roman avec des vrais personnages et des destins croisés. Il y a quelque chose d’assez jubilatoire à le faire. Le code le plus évident est celui du polar. L’énigme permet plus facilement de relier les destins qui n’ont, à priori, rien à voir. Peut-être y avait-il quelque chose de plus profond. Parler de l’absence, de la mort, de l’attentat, à travers la disparition des tours, c’était se situer résolument sur un territoire de fiction. C’est à la fois une commodité d’écriture et une commodité d’imaginaire. Dès lors que l’histoire se passe à New-York, tout le monde a des images en tête, véhiculées par Hollywood, par les séries, par les romans…et qui ne correspondent pas à la réalité américaine. L’Amérique aujourd’hui est un territoire de fiction.
Au milieu de tous les personnages que vous décrivez se trouve Simon, un universitaire français. Vous vouliez apporter un autre regard sur ces événements ?
C’était une question de points de vues. J’avais vraiment envie que le roman dise quelque chose de pas trop débile sur l’Amérique d’aujourd’hui. En même temps, je me rendais bien compte, malgré tous mes efforts, que je restais évidemment Européen dans mon jugement sur les choses et dans ma manière de les aborder. Simon est une façon d’inscrire parmi les autres personnages du roman, une figure d’Européen qui rend acceptable le point de vue que je peux porter. C’est une façon d’être honnête. Si je n’avais eu que des personnages américains, alors j’aurais fait semblant d’avoir des points de vue américains. Il fallait qu’un personnage porte la trace que ce roman a été écrit depuis la France.
Comment est-il né ?
Il est né de mon travail préparatoire. De ce que j’ai lu sur le 11 septembre. Au-delà des romans qu’il y avait sur le 11 septembre, ce que j’ai trouvé de plus pertinent, étaient les propos de philosophes européens comme Derrida, Baudrillard ou Habermas. C’est de là que viennent les idées sur une réaction auto-immune de la modernité qui génère sa propre résistance plutôt qu’un choc des civilisations. Je trouvais bien d’avoir un personnage qui soit dans cette réflexion là.
L’un de vos personnage Pete, un ancien flic, ne comprend pas qu’il y ait des ouvriers musulmans sur le chantier de Ground Zero. Il y a un étrange écho à votre roman avec les réactions du projet de construction d’une mosquée à quelques pas du site…
C’est une idée évidemment américaine qu’un entrepreneur, riche, décide d’installer dans un building une fondation avec un lieu de prière. Ce n’est pas du tout une démarche islamique. Les réactions, entre autre, de la part d’associations de victimes, parfois haineuses, que ce projet suscite, sont à la fois compréhensible et à la fois absurde. Il y a une volonté de sanctuariser le site qu’on peut comprendre. Mais on ne peut pas l’étendre. Décider d’un périmètre serait absurde. C’est très rassurant dans cette affaire de voir la réaction des pouvoirs publics américains. Le maire de New-York, qui s’appelle quand même Bloomberg a dit qu’il était normal de construire ce lieu de culte parce que les Etats-Unis étaient un pays laïque et qu’il y avait la liberté de culte. Le pays a une longue histoire d’intégration.
La réaction de Pete comme celle de certains américains relèvent d’un désir de vengeance ?
La vengeance est un ressort très romanesque. Dans le désir de vengeance, il y a un désir de deuxième chance mais aussi de rédemption. C’est un sentiment ambigu. On retrouve cela dans les films de Clint Eastwood, comme dans Gran Torino. Mais cette idée de vengeance se retourne contre l’Amérique elle-même. Ce personnage de Pete, je l’ai construit comme ça. Il y avait aussi une jubilation à avoir un personnage vraiment détestable. Mais si on veut être honnête et aller au bout de sa logique, on est obligé de le justifier devant l’histoire. Au début du livre, on lit Pete comme une métaphore de la guerre punitive en Irak avec une administration Bush coincée dans un désir de vengeance, de guerre totale contre le terrorisme. Et puis en même temps il faut lui rendre ses attributs de personnage et à la fin c’est une métaphore de tout le monde. Ce qui est arrivé à ce Pete alors qu’il était au cœur du 11 septembre, alors que son métier de flic aurait dû le destiner à être un héros, il l’a raté, cet événement. Comme nous tous, qui avons eu l’impression de l’avoir vécu, alors que nous l’avons regardé à la télévision. C’est intéressant de se rendre compte que le moteur de son désir de vengeance était peut-être une frustration devant cet événement qui démultiplié par les images, est devenu aussitôt une fiction sur laquelle personne n’avait prise. Pendant des semaines nous regardions ces images avant d’être sommé de prendre parti. Ce qui est absurde.
Au final qu’est-ce l’envers du monde, le néant ?
L’envers du monde vient d’abord de l’espace lui-même. Les tours se renversent, s’enfoncent dans le sol et laissent un trou. L’envers du monde est le néant. Mais c’est peut-être en visant le néant qu’on dit quelque chose du monde. Quand on essaie de dire quelque chose du monde, on est coincé par les représentations. Si on vise l’imaginaire, l’absence, alors peut être qu’on peut dire quelque chose du monde. J’ai l’impression d’avoir passé mes trois premiers romans à essayer de liquider mon être social et d’être devenu écrivain. Peut être que ça se réalise avec ce livre.
Propos recueillis par Charles Patin O’Coohoon
Thomas Reverdy
L'envers du monde
Ed. Seuil
264 p. - 19 euros