Bernard Giraudeau et Claude Sérillon : à la croisée des arts
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En avril, Bernard Giraudeau et Claude Sérillon publiait chacun un recueil de nouvelles, Les Hommes à terre aux éditions Métailié pour l'acteur, Dis moi je t'aime chez Balland pour le présentateur. Entre deux éclats de rire, on parle océan, enfance, on discute hasard ou destin, on évoque le délice du mensonge. La spontanéité est au rendez-vous. Le plaisir aussi.
Vous venez tout deux de milieux différents du microcosme littéraire mais vous n'en êtes pas à votre coup d'essai. Sont-ce de simples incursions ? Un passe-temps ou avez-vous toujours écrit ?
Claude Sérillon : Oui, j'ai toujours écrit, ou plutôt toujours pris des notes. J'ai tâtonné avant de me lancer en 1987 avec un essai De quoi j'me mêle, sur l'humanitaire, qui était toutefois proche de la démarche journalistique puisqu'il retranscrivait différents entretiens avec des personnes engagées dans ce domaine. Mon deuxième était consacré aux jurys d'assises car j'étais à l'époque chroniqueur judiciaire. En réalité, j'écris tout le temps mais je ne me presse pas, je ne me considère pas comme un écrivain à part entière, je ne me dis pas qu'il faut que je sorte un livre par an ! Je prends des notes sur les gens, sur ce que je vois, ce que j'entends...
Bernard Giraudeau : Moi aussi ! Finalement c'est ce que font tous les écrivains ! Le tout est de savoir ce qu'on en fait. Moi, j'ai commencé à écrire avant même d'être acteur : de la poésie, des textes en prose comme beaucoup d'adolescents... J'essayais de dompter ma solitude, d'apprivoiser ma tristesse, de capter mes bouleversements intérieurs car j'étais loin de ma famille (je suis parti à 15 ans). Ecrire était un moyen de m'accrocher à quelque chose. Une bouée, une balise. Pause . C'est beau ce que je dis non ?
CS : Oui, je suis très impressionné !
BG : Et attends, tu vas voir, je peux encore faire mieux !
Quels sont les auteurs qui vous ont marqués ? Vous Bernard, vous en citez plusieurs dans la nouvelle Billy, tel Melville...
BG : On cite en général ce qu'on connaît ; c'est d'ailleurs pour cela que les citations sont parfois ennuyeuses. On donne l'impression d'étaler une culture qui souvent se limite justement à cela ! Mes parents n'étant pas très cultivés, ils ne me donnaient pas beaucoup de livres. J'ai commencé par les Club des Cinq, quelques bandes dessinées, bref, une littérature enfantine. Ensuite, j'ai découvert Stevenson, L'Ile au trésor notamment, et je me suis plongé dans les romans d'aventures avec London, Melville... J'ai pillé à droite à gauche, lu ce qui me tombait sous la main, les officiers de marine me donnaient parfois des livres. Je n'ai pas commencé par Proust !
CS : Moi, Proust m'a toujours ennuyé, je n'ai jamais réussi à le lire ! D'ailleurs au bac, j'ai eu le malheur de le dire à l'examinateur qui m'a toisé en me demandant si vraiment j'avais l'intention de faire des études de lettres !
BG : Tu ne peux pas dire que Proust est ennuyeux ! On va se faire flinguer !
CS : J'ai essayé, je t'assure, je l'ai repris plusieurs fois mais je n'ai jamais accroché vraiment.
BG : Non, tout de même, il y a des passages magnifiques. Il nous entraîne souvent dans de belles couleurs.
CS : Pour moi, il y a eu Jules Verne, London évidemment, puis Steinbeck, Dos Passos - BG approuve - les nouvelles de Salinger, une littérature plus vivante, plus émotionnelle, plus dangereuse même que le genre classique ;
BG : Peut-être parce que ça nous parle immédiatement ?
CS : Sans doute... Tu as lu Ulysse de Joyce ?
BG : Bien sûr.
CS : Je l'ai lu deux fois- Moi pas ! - c'est un livre qui m'a bouleversé, je ne comprenais pas tout, je trouvais l'univers tellement fort, riche...
BG : Bref, on cite mais on en oublie toujours... Alvaro Mutis, Larsson... Il y a aussi Alexander Kent, de Forester, de Garneray , de beaux romans d'aventures marines. Parlez à Michel Lebris de cette littérature-là, il vous dira que c'est ce dont nous avons besoin et que c'est à tort que certains l'ont méprisée car elle est magnifique.
CS : Je pense aussi que notre génération a souffert d'un manque d'enseignement concernant la littérature étrangère. J'ai tout de même eu la chance en 68 d'avoir un prof passionné de littérature arabe qui nous en a fait lire un peu. Mais les écrivains d'Asie, d'Amérique du Sud, d'Europe centrale, on les a découvert nous-même, après l'école. Aujourd'hui d'ailleurs, je lis plus d'auteurs étrangers que français.
BG : Peut-être parce que les pays étrangers sont plus nombreux que la France ? ! (Rires)
Sérieusement, aujourd'hui, quand on rentre dans une librairie, c'est vertigineux, il y a tant de livres qui sortent chaque mois, ceux qui n'ont pas d'intérêt, ceux qu'au contraire on aimerait lire, ceux qu'on ne lira plus... En définitive, on ne fait qu'esquisser la littérature.
Claude est né à Nantes, Bernard à La Rochelle, deux villes portuaires...
CS : Ce sont surtout 2 des 3 ports qui ont fait le plus de bénéfices avec le trafic de Noirs.
BG : C'est vrai ! J'ai même retrouvé des armateurs négriers dans ma famille.
CS : Avec ce trafic, Bordeaux, Nantes et la Rochelle ont généré de grosses fortunes.
BG : Un nommé Crassou (faut le faire !),capitaine négrier, a même beaucoup écrit à l'époque. Pendant qu'il faisait la traite des Noirs, il prenait des notes tout à fait passionnantes sur les tribus qu'il décimait...
CS : Finalement, ils ont créé les premiers charters !
Pour en revenir aux ports, on ne ressent pas du tout chez Claude un amour de la mer alors qu'il est indissociable des textes de Bernard. Vous avez été marin d'ailleurs ?
BG : Les hommes des ports ont l'horizon dégagé, libre. Ils rêvent plus que les autres peut-être... C'est une des raisons, mais je me sens aussi proche de la montagne! En fait je m'attache là où je vais, j'aime la terre telle qu'elle s'est présentée à moi par l'océan. Je suis né dans un port, je suis parti de la mer pour aller voir la terre. Vous savez, c'est beau la terra incognita vue de la mer... Rien de plus extraordinaire que de voir cette ligne se dessiner à l'horizon depuis un bateau, je pourrais écrire des pages là-dessus !
CS : Moi c'est complètement l'inverse. La mer m'angoisse, me fait peur. J'ai pourtant un grand père maternel d'origine bretonne qui était pêcheur. Je suis beaucoup plus attiré par le désert, ou l'infini des étoiles. Pour moi, il n'y a rien de mieux que de s'allonger pour regarder le ciel nocturne et laisser libre cours à ses pensées. Je ne suis pas du tout effrayé par l'univers alors que fondamentalement, c'est plus angoissant ! L'océan me donne un peu le vertige, une sorte d'attirance répulsive, savoir que je peux tomber dedans et que c'est fini... Mes cauchemars sont toujours des noyades ou des chutes dans le vide. La mer est un élément que j'appréhende mal.
BG : C'est un élément qui t'échappe toujours...
CS : Tout à fait. Je préfère avoir l'impression d'un minimum de contrôle sur les choses.
Vous, Bernard, vous avez gardé des attaches à la Rochelle alors que vous, Claude...
CS : Ah si ! J'ai encore toute ma famille à Nantes mais ce n'est pas la même ville que la Rochelle. Nantes, c'est surtout une ville ouvrière où l'on construisait les bateaux, une ville de chantiers navals, une ville liée aux bruits de la sidérurgie et non aux bruits de l'océan. Pour entendre la mer il fallait aller au Croisic, éventuellement à Saint-Nazaire. Pour moi gamin, Nantes n'était pas la mer, c'était de la tôle, des bruits forts, de la soudure, des hommes en bleu... A mes yeux, la seule chose qui se rapprochait vraiment de l'océan étaient les lancements des bateaux : ça, ça faisait rêver...
Vous publiez chacun un recueil de nouvelles : c'est une des formes réputées les plus difficiles de la littérature...
BG : Tout à fait, nous l'avons choisie en connaissance de cause !
CS : Oui, vous avez raison d'ailleurs de le rappeler ! (Rires)
BG : Sérieusement, je considère la nouvelle comme un petit roman. Les histoires que je souhaite raconter tiennent très bien dans ce format. Je n'ai pas envie de digressions, j'ai envie que ce soit ramassé, concis, précis, musical, comme dans une partition. J'ai l'impression que si je démarre sur un roman, mes idées vont aller dans tous les sens, je vais vouloir raconter d'autres histoires, sans m'en tenir à la principale. A vrai dire, je pense plutôt que c'est le roman le plus difficile. Ceci étant, si vous tenez à dire que la nouvelle est la forme la plus dure, nous n'allons pas vous contredire ! (Rires)
CS : C'est même mieux !
BG : Vues les critiques qu'on se paye, on pense qu'on a vraiment réussi. On est probablement les meilleurs, non ? !
CS : Oui, oui, peu de gens s'attaquent aux nouvelles, encore moins avec autant de réussite, de talent...
BG : de maîtrise que nous !
CS : C'est rarissime ! (Rires)
Vous avez eu des précédents tout de même
CS : Ca fait longtemps qu'il n'y a pas eu de nouvelles de cette qualité !
BG : Citez moi des auteurs !
Maupassant...
CS : Mais il est mort !
BG : Ceci étant, on le reconnaît, on a copié Maupassant ! (Rires)
Sérieusement, Claude écrit des nouvelles très différentes mais chez vous Bernard, on retrouve toujours le même univers maritime, et cette régularité thématique m'évoque celle de Maupassant pour l'eau et la Normandie.
BG : C'est vrai, il y a la mer mais c'est surtout l'amour qui est au centre de mes récits.
C'est un point que vous partagez avec Claude
BG : Ce n'est pas très original, je sais mais c'est comme ça. Je ne vois pas de quoi on pourrait parler d'autre...
Justement, vous écrivez tous deux des histoires simples, des amours qui ne se finissent pas toujours bien, des actes manqués. Vous êtes plutôt imagination ou réel, question inspiration ?
CS : Moi ça part toujours d'une toute petite note. L'histoire de la carte blanche a vraiment eu lieu, Dis moi je t'aime est un récit que j'ai entendu... J'ai un point de départ vrai et puis je brode. Même ma dernière nouvelle, Pain d'épice et ferme la porte - je te remercie Bernard de dire que c'est un titre formidable ! - est inspirée d'un fait réel. Evidement, quand je relis, il y a des choses très personnelles mais je ne dirais jamais lesquelles !
BG : Moi je suis sûr que je les trouverai !
CS : De toute façon, il y a toujours de l'auteur dans ce qu'il écrit.
BG : Bien sûr. Même parfois, en voulant inventer, quand on est dans l'imaginaire, on se rend compte qu'apparaissent des fragments de nous. On ne peut pas aller chercher totalement dans l'abstrait, ça ne peut venir parfois que d'une expérience, du vécu, de ce qu'on nous a raconté, mais aussi parce que c'est plus fort que nous, que ça va chercher là, en nous.
CS : J'ai construit ma nouvelle Une seule histoire d'amour sur le souvenir d'avoir vu à Tokyo dans un bar un couple qui se regardait yeux dans les yeux mais qui n'a pas dit un mot pendant deux heures. J'ai imaginé alors cette histoire de deux êtres qui se demandent pourquoi ils ne sont pas allés au bout de leur seule histoire d'amour commune. Même en dehors de la réalité, ces récits sont le reflet des interrogations qu'on a dans la tête. Moi, je suis très sensible aux rendez-vous manqués.
BG : Mais nous pillons beaucoup, chez les autres et dans la vie.
Et dans votre conception de l'existence, vous êtes plutôt hasard ou destin ?
BG : Je pense qu'on peut ne pas toujours prendre le bon cap. Mes nouvelles sont la nostalgie de ce qui aurait pu être, de ce qui ne s'est pas produit, par ratage, par erreur. Destin ou hasard, je n'ai pas de réponse. Sauf peut-être que le hasard on le construit. Le destin pourrait me faire peur parce qu'il sous-entend que tout serait déjà décidé.
CS : Oui, on organise le hasard. Croire au destin signifierait qu'on a de prise sur rien.
BG : Sauf si on décide que la destinée est une conséquence de nos actes et de ce qu'on est. Tant que ça reste de l'inconnu et de l'inattendu, ça me va. Ca me permet de continuer à écrire et de raconter des histoires.
CS : C'est un peu comme ça d'ailleurs que tu mènes ton chemin : les documentaires, les films, le théâtre, les lectures, un livre, des voyages. Si tu avais un destin, tu te mettrais sur le listing d'un producteur ou d'un réalisateur et tu attendrais que ça tombe...
BG : D'un autre côté, on pourrait aussi dire que mon destin est de raconter des histoires, d'aller grappiller à droite à gauche et de raconter ces choses telle que je peux les rêver. J'adore les contes, les légendes, ils n'ont pas de réalité. Moi, je trouve délicieux de mentir. Il y a bien sûr des vérités essentielles mais il en existe d'autres qui n'ont pas d'importance. Ma dernière nouvelle, Jeanne , parle de ça : mes deux personnages se mentent mutuellement mais se disent les choses de manière tellement inouïe que c'est plus vrai que la vérité.
CS : C'est peut-être aussi ton goût du jeu. Même quand tu es sur une scène, que tu interprètes un personnage, j'ai toujours ce sentiment d'une malice permanente dans ta façon de te le réapproprier. Une sorte de distance, de cynisme. Tu joues sur une apparence physique et puis tu casses l'image. Tu aimes bien faire ça...
BG : Mais c'est probablement par ce que je pense que la vie est ainsi. Si on était tout le temps ouvert, coeur sur le table... il n'y a rien de pire pour moi. J'ai besoin qu'on fertilise l'imaginaire par le mystère. Le réalisme est l'apanage de beaucoup d'intellectuels mais je ne le partage pas. J'aimerais bien écrire sur le mensonge, sur la profession de mentir pour le bonheur.
CS : Cela me fait penser à ce mot que j'aime beaucoup de Kazan dans L'Arrangement : on ment pour arranger les choses.
BG : C'est bien dans ce sens que je l'entends. On ment pour ne pas faire de mal et parce que c'est plus simple aussi. Moi je mens souvent parce que je n'ai pas envie d'expliquer.
CS : Et puis sinon, c'est sinistre la vie ! Plutôt que de voir les choses telles qu'elles sont, c'est bien de se les raconter autrement, elles prennent une autre ampleur. Je me dis souvent que les gens qui déclarent « moi je dis toujours la vérité » doivent s'ennuyer !
BG : Ceci étant, on peut être franc, c'est-à-dire ne pas vouloir mentir salement, être lucide dans le mensonge. Mais le délicieux mensonge dont nous parlons est un art dont il faut user sans modération...
Dernière question, concernant La maison le long du rail pour Claude et Indochine pour Bernard, deux récits évoquant la relation père/fils, le mystère qu'ils peuvent parfois représenter l'un pour l'autre. C'est quelque chose que vous avez ressenti ?
CS : Pas moi non. C'est lamentable à dire mais j'ai eu une enfance très heureuse. J'ai des parents qui, même s'ils n'ont pas fait d'études, sont très intelligents, font preuve d'une grande tolérance. Ce n'était pas le grand luxe mais je n'ai que de bons souvenirs. La télévision leur a toujours semblé un peu invraisemblable : ils rêvaient que je sois instituteur. J'ai d'ailleurs passé le concours que j'ai fait exprès de rater ! Nous avons vraiment un bon rapport. Du coup, je ne me sens pas à l'aise dans les débats en ce moment quand je vois le nombre de livres où les gens racontent les traumatismes de leurs vies...
BG : C'est parce que tu n'as pas eu de manque. Si tu avais perdu ton père jeune, tu auras l'impression d'un manque de gestes ou de paroles à devoir combler. Moi aussi, j'ai eu une belle enfance, mais j'ai souffert de l'absence de mon père parti en Indochine, en Algérie, et qui a disparu très tôt. Le vrai manque est celui de ce qu'on aurait du se dire, de ce que je devinais chez lui et qu'il n'a jamais osé énoncer car, dans son milieu, on ne parlait pas de sentiments. Cependant, c'est l'univers d'un homme qui est votre père et où on a quand même envie de construire : alors, on peut décider de l'écrire. De fait, les filiations, la famille, sont des thèmes récurrents en littérature. Dans un texte, on ne peut pas exclure le lien avec soi.
Maïa Gabily
Giraudeau et Sérillon
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Vous venez tout deux de milieux différents du microcosme littéraire mais vous n'en êtes pas à votre coup d'essai. Sont-ce de simples incursions ? Un passe-temps ou avez-vous toujours écrit ?
Claude Sérillon : Oui, j'ai toujours écrit, ou plutôt toujours pris des notes. J'ai tâtonné avant de me lancer en 1987 avec un essai De quoi j'me mêle, sur l'humanitaire, qui était toutefois proche de la démarche journalistique puisqu'il retranscrivait différents entretiens avec des personnes engagées dans ce domaine. Mon deuxième était consacré aux jurys d'assises car j'étais à l'époque chroniqueur judiciaire. En réalité, j'écris tout le temps mais je ne me presse pas, je ne me considère pas comme un écrivain à part entière, je ne me dis pas qu'il faut que je sorte un livre par an ! Je prends des notes sur les gens, sur ce que je vois, ce que j'entends...
Bernard Giraudeau : Moi aussi ! Finalement c'est ce que font tous les écrivains ! Le tout est de savoir ce qu'on en fait. Moi, j'ai commencé à écrire avant même d'être acteur : de la poésie, des textes en prose comme beaucoup d'adolescents... J'essayais de dompter ma solitude, d'apprivoiser ma tristesse, de capter mes bouleversements intérieurs car j'étais loin de ma famille (je suis parti à 15 ans). Ecrire était un moyen de m'accrocher à quelque chose. Une bouée, une balise. Pause . C'est beau ce que je dis non ?
CS : Oui, je suis très impressionné !
BG : Et attends, tu vas voir, je peux encore faire mieux !
Quels sont les auteurs qui vous ont marqués ? Vous Bernard, vous en citez plusieurs dans la nouvelle Billy, tel Melville...
BG : On cite en général ce qu'on connaît ; c'est d'ailleurs pour cela que les citations sont parfois ennuyeuses. On donne l'impression d'étaler une culture qui souvent se limite justement à cela ! Mes parents n'étant pas très cultivés, ils ne me donnaient pas beaucoup de livres. J'ai commencé par les Club des Cinq, quelques bandes dessinées, bref, une littérature enfantine. Ensuite, j'ai découvert Stevenson, L'Ile au trésor notamment, et je me suis plongé dans les romans d'aventures avec London, Melville... J'ai pillé à droite à gauche, lu ce qui me tombait sous la main, les officiers de marine me donnaient parfois des livres. Je n'ai pas commencé par Proust !
CS : Moi, Proust m'a toujours ennuyé, je n'ai jamais réussi à le lire ! D'ailleurs au bac, j'ai eu le malheur de le dire à l'examinateur qui m'a toisé en me demandant si vraiment j'avais l'intention de faire des études de lettres !
BG : Tu ne peux pas dire que Proust est ennuyeux ! On va se faire flinguer !
CS : J'ai essayé, je t'assure, je l'ai repris plusieurs fois mais je n'ai jamais accroché vraiment.
BG : Non, tout de même, il y a des passages magnifiques. Il nous entraîne souvent dans de belles couleurs.
CS : Pour moi, il y a eu Jules Verne, London évidemment, puis Steinbeck, Dos Passos - BG approuve - les nouvelles de Salinger, une littérature plus vivante, plus émotionnelle, plus dangereuse même que le genre classique ;
BG : Peut-être parce que ça nous parle immédiatement ?
CS : Sans doute... Tu as lu Ulysse de Joyce ?
BG : Bien sûr.
CS : Je l'ai lu deux fois- Moi pas ! - c'est un livre qui m'a bouleversé, je ne comprenais pas tout, je trouvais l'univers tellement fort, riche...
BG : Bref, on cite mais on en oublie toujours... Alvaro Mutis, Larsson... Il y a aussi Alexander Kent, de Forester, de Garneray , de beaux romans d'aventures marines. Parlez à Michel Lebris de cette littérature-là, il vous dira que c'est ce dont nous avons besoin et que c'est à tort que certains l'ont méprisée car elle est magnifique.
CS : Je pense aussi que notre génération a souffert d'un manque d'enseignement concernant la littérature étrangère. J'ai tout de même eu la chance en 68 d'avoir un prof passionné de littérature arabe qui nous en a fait lire un peu. Mais les écrivains d'Asie, d'Amérique du Sud, d'Europe centrale, on les a découvert nous-même, après l'école. Aujourd'hui d'ailleurs, je lis plus d'auteurs étrangers que français.
BG : Peut-être parce que les pays étrangers sont plus nombreux que la France ? ! (Rires)
Sérieusement, aujourd'hui, quand on rentre dans une librairie, c'est vertigineux, il y a tant de livres qui sortent chaque mois, ceux qui n'ont pas d'intérêt, ceux qu'au contraire on aimerait lire, ceux qu'on ne lira plus... En définitive, on ne fait qu'esquisser la littérature.
Claude est né à Nantes, Bernard à La Rochelle, deux villes portuaires...
CS : Ce sont surtout 2 des 3 ports qui ont fait le plus de bénéfices avec le trafic de Noirs.
BG : C'est vrai ! J'ai même retrouvé des armateurs négriers dans ma famille.
CS : Avec ce trafic, Bordeaux, Nantes et la Rochelle ont généré de grosses fortunes.
BG : Un nommé Crassou (faut le faire !),capitaine négrier, a même beaucoup écrit à l'époque. Pendant qu'il faisait la traite des Noirs, il prenait des notes tout à fait passionnantes sur les tribus qu'il décimait...
CS : Finalement, ils ont créé les premiers charters !
Pour en revenir aux ports, on ne ressent pas du tout chez Claude un amour de la mer alors qu'il est indissociable des textes de Bernard. Vous avez été marin d'ailleurs ?
BG : Les hommes des ports ont l'horizon dégagé, libre. Ils rêvent plus que les autres peut-être... C'est une des raisons, mais je me sens aussi proche de la montagne! En fait je m'attache là où je vais, j'aime la terre telle qu'elle s'est présentée à moi par l'océan. Je suis né dans un port, je suis parti de la mer pour aller voir la terre. Vous savez, c'est beau la terra incognita vue de la mer... Rien de plus extraordinaire que de voir cette ligne se dessiner à l'horizon depuis un bateau, je pourrais écrire des pages là-dessus !
CS : Moi c'est complètement l'inverse. La mer m'angoisse, me fait peur. J'ai pourtant un grand père maternel d'origine bretonne qui était pêcheur. Je suis beaucoup plus attiré par le désert, ou l'infini des étoiles. Pour moi, il n'y a rien de mieux que de s'allonger pour regarder le ciel nocturne et laisser libre cours à ses pensées. Je ne suis pas du tout effrayé par l'univers alors que fondamentalement, c'est plus angoissant ! L'océan me donne un peu le vertige, une sorte d'attirance répulsive, savoir que je peux tomber dedans et que c'est fini... Mes cauchemars sont toujours des noyades ou des chutes dans le vide. La mer est un élément que j'appréhende mal.
BG : C'est un élément qui t'échappe toujours...
CS : Tout à fait. Je préfère avoir l'impression d'un minimum de contrôle sur les choses.
Vous, Bernard, vous avez gardé des attaches à la Rochelle alors que vous, Claude...
CS : Ah si ! J'ai encore toute ma famille à Nantes mais ce n'est pas la même ville que la Rochelle. Nantes, c'est surtout une ville ouvrière où l'on construisait les bateaux, une ville de chantiers navals, une ville liée aux bruits de la sidérurgie et non aux bruits de l'océan. Pour entendre la mer il fallait aller au Croisic, éventuellement à Saint-Nazaire. Pour moi gamin, Nantes n'était pas la mer, c'était de la tôle, des bruits forts, de la soudure, des hommes en bleu... A mes yeux, la seule chose qui se rapprochait vraiment de l'océan étaient les lancements des bateaux : ça, ça faisait rêver...
Vous publiez chacun un recueil de nouvelles : c'est une des formes réputées les plus difficiles de la littérature...
BG : Tout à fait, nous l'avons choisie en connaissance de cause !
CS : Oui, vous avez raison d'ailleurs de le rappeler ! (Rires)
BG : Sérieusement, je considère la nouvelle comme un petit roman. Les histoires que je souhaite raconter tiennent très bien dans ce format. Je n'ai pas envie de digressions, j'ai envie que ce soit ramassé, concis, précis, musical, comme dans une partition. J'ai l'impression que si je démarre sur un roman, mes idées vont aller dans tous les sens, je vais vouloir raconter d'autres histoires, sans m'en tenir à la principale. A vrai dire, je pense plutôt que c'est le roman le plus difficile. Ceci étant, si vous tenez à dire que la nouvelle est la forme la plus dure, nous n'allons pas vous contredire ! (Rires)
CS : C'est même mieux !
BG : Vues les critiques qu'on se paye, on pense qu'on a vraiment réussi. On est probablement les meilleurs, non ? !
CS : Oui, oui, peu de gens s'attaquent aux nouvelles, encore moins avec autant de réussite, de talent...
BG : de maîtrise que nous !
CS : C'est rarissime ! (Rires)
Vous avez eu des précédents tout de même
CS : Ca fait longtemps qu'il n'y a pas eu de nouvelles de cette qualité !
BG : Citez moi des auteurs !
Maupassant...
CS : Mais il est mort !
BG : Ceci étant, on le reconnaît, on a copié Maupassant ! (Rires)
Sérieusement, Claude écrit des nouvelles très différentes mais chez vous Bernard, on retrouve toujours le même univers maritime, et cette régularité thématique m'évoque celle de Maupassant pour l'eau et la Normandie.
BG : C'est vrai, il y a la mer mais c'est surtout l'amour qui est au centre de mes récits.
C'est un point que vous partagez avec Claude
BG : Ce n'est pas très original, je sais mais c'est comme ça. Je ne vois pas de quoi on pourrait parler d'autre...
Justement, vous écrivez tous deux des histoires simples, des amours qui ne se finissent pas toujours bien, des actes manqués. Vous êtes plutôt imagination ou réel, question inspiration ?
CS : Moi ça part toujours d'une toute petite note. L'histoire de la carte blanche a vraiment eu lieu, Dis moi je t'aime est un récit que j'ai entendu... J'ai un point de départ vrai et puis je brode. Même ma dernière nouvelle, Pain d'épice et ferme la porte - je te remercie Bernard de dire que c'est un titre formidable ! - est inspirée d'un fait réel. Evidement, quand je relis, il y a des choses très personnelles mais je ne dirais jamais lesquelles !
BG : Moi je suis sûr que je les trouverai !
CS : De toute façon, il y a toujours de l'auteur dans ce qu'il écrit.
BG : Bien sûr. Même parfois, en voulant inventer, quand on est dans l'imaginaire, on se rend compte qu'apparaissent des fragments de nous. On ne peut pas aller chercher totalement dans l'abstrait, ça ne peut venir parfois que d'une expérience, du vécu, de ce qu'on nous a raconté, mais aussi parce que c'est plus fort que nous, que ça va chercher là, en nous.
CS : J'ai construit ma nouvelle Une seule histoire d'amour sur le souvenir d'avoir vu à Tokyo dans un bar un couple qui se regardait yeux dans les yeux mais qui n'a pas dit un mot pendant deux heures. J'ai imaginé alors cette histoire de deux êtres qui se demandent pourquoi ils ne sont pas allés au bout de leur seule histoire d'amour commune. Même en dehors de la réalité, ces récits sont le reflet des interrogations qu'on a dans la tête. Moi, je suis très sensible aux rendez-vous manqués.
BG : Mais nous pillons beaucoup, chez les autres et dans la vie.
Et dans votre conception de l'existence, vous êtes plutôt hasard ou destin ?
BG : Je pense qu'on peut ne pas toujours prendre le bon cap. Mes nouvelles sont la nostalgie de ce qui aurait pu être, de ce qui ne s'est pas produit, par ratage, par erreur. Destin ou hasard, je n'ai pas de réponse. Sauf peut-être que le hasard on le construit. Le destin pourrait me faire peur parce qu'il sous-entend que tout serait déjà décidé.
CS : Oui, on organise le hasard. Croire au destin signifierait qu'on a de prise sur rien.
BG : Sauf si on décide que la destinée est une conséquence de nos actes et de ce qu'on est. Tant que ça reste de l'inconnu et de l'inattendu, ça me va. Ca me permet de continuer à écrire et de raconter des histoires.
CS : C'est un peu comme ça d'ailleurs que tu mènes ton chemin : les documentaires, les films, le théâtre, les lectures, un livre, des voyages. Si tu avais un destin, tu te mettrais sur le listing d'un producteur ou d'un réalisateur et tu attendrais que ça tombe...
BG : D'un autre côté, on pourrait aussi dire que mon destin est de raconter des histoires, d'aller grappiller à droite à gauche et de raconter ces choses telle que je peux les rêver. J'adore les contes, les légendes, ils n'ont pas de réalité. Moi, je trouve délicieux de mentir. Il y a bien sûr des vérités essentielles mais il en existe d'autres qui n'ont pas d'importance. Ma dernière nouvelle, Jeanne , parle de ça : mes deux personnages se mentent mutuellement mais se disent les choses de manière tellement inouïe que c'est plus vrai que la vérité.
CS : C'est peut-être aussi ton goût du jeu. Même quand tu es sur une scène, que tu interprètes un personnage, j'ai toujours ce sentiment d'une malice permanente dans ta façon de te le réapproprier. Une sorte de distance, de cynisme. Tu joues sur une apparence physique et puis tu casses l'image. Tu aimes bien faire ça...
BG : Mais c'est probablement par ce que je pense que la vie est ainsi. Si on était tout le temps ouvert, coeur sur le table... il n'y a rien de pire pour moi. J'ai besoin qu'on fertilise l'imaginaire par le mystère. Le réalisme est l'apanage de beaucoup d'intellectuels mais je ne le partage pas. J'aimerais bien écrire sur le mensonge, sur la profession de mentir pour le bonheur.
CS : Cela me fait penser à ce mot que j'aime beaucoup de Kazan dans L'Arrangement : on ment pour arranger les choses.
BG : C'est bien dans ce sens que je l'entends. On ment pour ne pas faire de mal et parce que c'est plus simple aussi. Moi je mens souvent parce que je n'ai pas envie d'expliquer.
CS : Et puis sinon, c'est sinistre la vie ! Plutôt que de voir les choses telles qu'elles sont, c'est bien de se les raconter autrement, elles prennent une autre ampleur. Je me dis souvent que les gens qui déclarent « moi je dis toujours la vérité » doivent s'ennuyer !
BG : Ceci étant, on peut être franc, c'est-à-dire ne pas vouloir mentir salement, être lucide dans le mensonge. Mais le délicieux mensonge dont nous parlons est un art dont il faut user sans modération...
Dernière question, concernant La maison le long du rail pour Claude et Indochine pour Bernard, deux récits évoquant la relation père/fils, le mystère qu'ils peuvent parfois représenter l'un pour l'autre. C'est quelque chose que vous avez ressenti ?
CS : Pas moi non. C'est lamentable à dire mais j'ai eu une enfance très heureuse. J'ai des parents qui, même s'ils n'ont pas fait d'études, sont très intelligents, font preuve d'une grande tolérance. Ce n'était pas le grand luxe mais je n'ai que de bons souvenirs. La télévision leur a toujours semblé un peu invraisemblable : ils rêvaient que je sois instituteur. J'ai d'ailleurs passé le concours que j'ai fait exprès de rater ! Nous avons vraiment un bon rapport. Du coup, je ne me sens pas à l'aise dans les débats en ce moment quand je vois le nombre de livres où les gens racontent les traumatismes de leurs vies...
BG : C'est parce que tu n'as pas eu de manque. Si tu avais perdu ton père jeune, tu auras l'impression d'un manque de gestes ou de paroles à devoir combler. Moi aussi, j'ai eu une belle enfance, mais j'ai souffert de l'absence de mon père parti en Indochine, en Algérie, et qui a disparu très tôt. Le vrai manque est celui de ce qu'on aurait du se dire, de ce que je devinais chez lui et qu'il n'a jamais osé énoncer car, dans son milieu, on ne parlait pas de sentiments. Cependant, c'est l'univers d'un homme qui est votre père et où on a quand même envie de construire : alors, on peut décider de l'écrire. De fait, les filiations, la famille, sont des thèmes récurrents en littérature. Dans un texte, on ne peut pas exclure le lien avec soi.
Maïa Gabily
Giraudeau et Sérillon
Ed.
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Last modified onjeudi, 04 juin 2009 21:55
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