Bye Bye Poupées
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Un ami commun, journaliste, insiste pour qu’elles se rencontrent. Le rendez-vous a lieu. A l’époque, Virginie Despentes et Nora Hamdi accumulent les petits boulots. Au centre de tri postal, près du Louvres, Virginie bosse la nuit et rentre à pied – pas l’énergie d’attendre le premier métro. Et Nora, serveuse dans une crêperie, en connaît déjà un rayon sur la nuit pour avoir travaillé comme vestiaire en boîte, à 17 ans. Filles des années 80, leur voix est joyeuse, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer ces années où, artistiquement, « tout s’est passé ». Les genres musicaux se décloisonnent. En 89-90, Nora, plus « funky rap », sort où « tout le monde sort, pour aller voir du monde, participer au rassemblement » tandis que Virginie, puisqu’il faut parler musique, déclare qu’elle « n’aurait jamais pu vivre sans. C’est mon lien avec la vie. La musique a participé à ma construction sociale, de l’adolescence à l’âge adulte. »
La musique semblait avoir tout pris. Comment en êtes-vous arrivées à l’écriture ?
Nora Hamdi : L’écriture a été une mise en danger. Elle est venue spontanément. J’avais envie d’y accéder. J’ai commencé par jeter une couleur, comme en peinture.
Virginie Despentes : Pour la musique ou l’écriture, c’est toujours la même question : collaborer ou non. Nora, elle, parle de sujets dont on ne parle pas traditionnellement. Et parce qu’elle n’avait pas accès à la parole écrite, d'emblée, écrire était déjà une transgression. Aujourd’hui, elle assume, mais c’est vraiment récent.
En regardant vos personnages féminins évoluer, de livres en livres, on se dit qu’il leur restera toujours une dose de violence. Est-ce délibéré ? Est-ce obligé ?
N.H. : La violence envers les femmes fait partie des premières images qui j’ai connues. Que les femmes doivent être violentes, non ! Mais c’est le constat. C’est d’après ce que je vois, ce que j’entends.
V.D. : Il n’y a pas de nécessité dramatique là-dedans. Les femmes, ça ramasse. Toujours. Elles se font baisées, attaquées. Même dans les classes qu’on croirait protégées, les femmes en prennent plein la gueule. C’est simplement difficile de raconter autre chose. Même si dans les années 80 on a cru que ç’allait être cool.
N.H. : Il n’y a vraiment pas de frontière sociale dans la violence. Tu vas dans le show-biz et tu trouveras des vieux se choper des filles de 15 ans.
V.D. : Il n'y a pas de frontières. Mais quand t’es pauvre, le truc, c’est que tu ramasses deux fois plus. Dans les milieux aisés, t’as au moins une chance de te faufiler.
Parmi celles qui se sont "faufilées", quelle femme vous vient à l’esprit ? Y en a-t-il précisément, que vous admirez ?
N.H. : Simone Weil, évidemment. Puis j’ai été très marquée par les premiers écrits de Duras. Voilà une fille qui ne pleure pas…
V.D. : En général, je suis frappée par les romancières, quand elles n’ont pas le choix, qu’elles sont trop démunies. D’ailleurs, quand tu regardes, si elles réussissent et qu’elles sont mariées, 9 fois sur 10 elles divorcent. Christine Angot, par exemple, elle te fait trop comprendre qu’elle n’a pas le choix. Elle continue d’être là où on ne lui a pas demandé d'être. Dans son dernier bouquin, Une partie du cœur, il y a des fulgurances incroyables.
N.H. : J’ai bien envie de le lire…
Christine Angot a ce point commun avec vous, c’est qu’on a souvent pris ses livres pour du témoignage…
N.H. : Oui. On a tendance à boycotter tout ce qui n’est pas du témoignage, ou bien à ramener la littérature à quelque chose qu’elle n’est pas. Quand le livre est fait, les médias y voient que ce qu’ils veulent y voir et c’est clair que j’ai pas envie de passer dans Ça se discute, même si ça fait vendre.
Vous arrêtez la drogue, vous refusez les compromis… Vous cherchez la pureté ?
N.H. : Oui, non… la question n’est pas de chercher la pureté, mais de savoir ce que l’on veut en faire. Voilà, finalement les questions que je me pose, c’est plus de savoir où j’avance, dans quoi je me projette ou qu’est-ce que je peux avoir en moi de sympathique !
V.D. : Le fait que j’aie arrêté la drogue n’a pas de rapport avec la pureté. Si je l’ai fait, c’est pour l’écriture. Je veux aller plus loin. La drogue englue la pensée. Et en plus, quand tu vieillis… Quand tu regardes nos vieux, ils font pas leur boulot. On manque de quinquas, de sexagénaires. Je veux vieillir et continuer à chercher. La pureté, je sais pas. Je saurais plus tard ce que je fais maintenant. Mais franchement, un type comme Sollers, c'est nul. Il avait autre chose à délivrer au monde.
N.H. : ...faudrait que je fasse de la philo. Faut que tu me traînes avec Medhi [Belhaj Kacem, écrivain-philosophe, ami de Virginie].
V.D. : Ouais ! Quelques cours sur la pornographie… Tu feras la fille qui pose des questions.
N.H. : Ah oui, ça, c’est une de nos différences. Virginie a complètement intégré le sujet alors que j’ai du mal à regarder un film porno. C’est pas une question de corps mais plutôt de ce qu’il y a derrière. Alors que Baise-moi, je considère ça comme un vrai film.
Vous confrontez souvent vos points de vue là-dessus ?
V.D. : On en parle.
N.H. : Si j’ai été attirée par toi, c’est pour ça, aussi. Avec toi j’y accède naturellement. Il n’y a aucun voyeurisme… mais beaucoup de compréhension.
V.D. : Ça m’intéresse d’en parler avec elle. Je sais pas, elle a comme un bon sens qui me ramène à des questions que je ne me serais pas posées.
Une dernière question sur les lieux que vos romans investissent (Nancy, pour Bye Bye Blondie ou la banlieue pour Des poupées et des anges). Ils font partie, souvent, des périphéries alors que vous habitez toutes deux Paris, comme si vous ne pouviez pas vous défaire des endroits où vous avez grandies...
N.H. : J'habitais une maison derrière une cité, vers Choisy, Pantin. Ce sont des lieux de solitude. Des sortes de vide qu'on n'oublie pas. On avance avec son histoire, c'est tout. Et ça permet d'aborder des personnages dont on n'a pas l'habitude. Dans Plaqué Or, mon prochain roman, je parle d'une banlieusarde qui n'accède pas à la sexualité avec plaisir. Elle se cherche. Elle ne comprend pas la perception que l'on a d'elle.
V.D. : ... c'est un archétype que l'on ne connaît pas encore. Mais sinon, en province, c'est vrai que la vie de groupe est plus épanouie. Les gens ont des apparts, du temps, des voitures pour se voir. C'est plus chaleureux. Paris est plus violent. Il n'y a rien à partager donc les gens partagent moins. Depuis que j'habite ici je n'héberge plus personne tout simplement parce que mon appart est trop petit. Mais bon, en même temps, c'est la plus belle ville du monde. Je ne peux plus en partir. Alors j'hurle moins de ma fenêtre.
N.H. : Je suis trop contente que t'habites le quartier...
V.D. : C'est toi qui m'a fait découvrir le Marais ! En fait, au début je croyais que c'était un quartier de tapettes... Je te remercierai jamais assez.
C'est bien, un nouvel appart, ça donne envie de faire un enfant.
N.H. : Ah ouais.
V.D. : Angot m'a vachement donné envie.
Propos recueillis par Charles Patin O'Coohoon et Ariel Kenig.
Derniers livres parus :
Bye Bye Blondie, Virginie Despentes (Grasset)
Des poupées et des anges, Nora Hamdi (Diable Vauvert).
A paraître en mars 2005 :
Plaqué Or, Nora Hamdi (Diable Vauvert)
Collaborations :
Trois étoiles (bande dessinée, Diable Vauvert)
Mordre au travers, Virginie Despentes (nouvelles) - illustration Nora Hamdi (Librio)
Zone Littéraire correspondant
Bye Bye Poupées
Virginie Despentes et Nora Hamdi
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
La musique semblait avoir tout pris. Comment en êtes-vous arrivées à l’écriture ?
Nora Hamdi : L’écriture a été une mise en danger. Elle est venue spontanément. J’avais envie d’y accéder. J’ai commencé par jeter une couleur, comme en peinture.
Virginie Despentes : Pour la musique ou l’écriture, c’est toujours la même question : collaborer ou non. Nora, elle, parle de sujets dont on ne parle pas traditionnellement. Et parce qu’elle n’avait pas accès à la parole écrite, d'emblée, écrire était déjà une transgression. Aujourd’hui, elle assume, mais c’est vraiment récent.
En regardant vos personnages féminins évoluer, de livres en livres, on se dit qu’il leur restera toujours une dose de violence. Est-ce délibéré ? Est-ce obligé ?
N.H. : La violence envers les femmes fait partie des premières images qui j’ai connues. Que les femmes doivent être violentes, non ! Mais c’est le constat. C’est d’après ce que je vois, ce que j’entends.
V.D. : Il n’y a pas de nécessité dramatique là-dedans. Les femmes, ça ramasse. Toujours. Elles se font baisées, attaquées. Même dans les classes qu’on croirait protégées, les femmes en prennent plein la gueule. C’est simplement difficile de raconter autre chose. Même si dans les années 80 on a cru que ç’allait être cool.
N.H. : Il n’y a vraiment pas de frontière sociale dans la violence. Tu vas dans le show-biz et tu trouveras des vieux se choper des filles de 15 ans.
V.D. : Il n'y a pas de frontières. Mais quand t’es pauvre, le truc, c’est que tu ramasses deux fois plus. Dans les milieux aisés, t’as au moins une chance de te faufiler.
Parmi celles qui se sont "faufilées", quelle femme vous vient à l’esprit ? Y en a-t-il précisément, que vous admirez ?
N.H. : Simone Weil, évidemment. Puis j’ai été très marquée par les premiers écrits de Duras. Voilà une fille qui ne pleure pas…
V.D. : En général, je suis frappée par les romancières, quand elles n’ont pas le choix, qu’elles sont trop démunies. D’ailleurs, quand tu regardes, si elles réussissent et qu’elles sont mariées, 9 fois sur 10 elles divorcent. Christine Angot, par exemple, elle te fait trop comprendre qu’elle n’a pas le choix. Elle continue d’être là où on ne lui a pas demandé d'être. Dans son dernier bouquin, Une partie du cœur, il y a des fulgurances incroyables.
N.H. : J’ai bien envie de le lire…
Christine Angot a ce point commun avec vous, c’est qu’on a souvent pris ses livres pour du témoignage…
N.H. : Oui. On a tendance à boycotter tout ce qui n’est pas du témoignage, ou bien à ramener la littérature à quelque chose qu’elle n’est pas. Quand le livre est fait, les médias y voient que ce qu’ils veulent y voir et c’est clair que j’ai pas envie de passer dans Ça se discute, même si ça fait vendre.
Vous arrêtez la drogue, vous refusez les compromis… Vous cherchez la pureté ?
N.H. : Oui, non… la question n’est pas de chercher la pureté, mais de savoir ce que l’on veut en faire. Voilà, finalement les questions que je me pose, c’est plus de savoir où j’avance, dans quoi je me projette ou qu’est-ce que je peux avoir en moi de sympathique !
V.D. : Le fait que j’aie arrêté la drogue n’a pas de rapport avec la pureté. Si je l’ai fait, c’est pour l’écriture. Je veux aller plus loin. La drogue englue la pensée. Et en plus, quand tu vieillis… Quand tu regardes nos vieux, ils font pas leur boulot. On manque de quinquas, de sexagénaires. Je veux vieillir et continuer à chercher. La pureté, je sais pas. Je saurais plus tard ce que je fais maintenant. Mais franchement, un type comme Sollers, c'est nul. Il avait autre chose à délivrer au monde.
N.H. : ...faudrait que je fasse de la philo. Faut que tu me traînes avec Medhi [Belhaj Kacem, écrivain-philosophe, ami de Virginie].
V.D. : Ouais ! Quelques cours sur la pornographie… Tu feras la fille qui pose des questions.
N.H. : Ah oui, ça, c’est une de nos différences. Virginie a complètement intégré le sujet alors que j’ai du mal à regarder un film porno. C’est pas une question de corps mais plutôt de ce qu’il y a derrière. Alors que Baise-moi, je considère ça comme un vrai film.
Vous confrontez souvent vos points de vue là-dessus ?
V.D. : On en parle.
N.H. : Si j’ai été attirée par toi, c’est pour ça, aussi. Avec toi j’y accède naturellement. Il n’y a aucun voyeurisme… mais beaucoup de compréhension.
V.D. : Ça m’intéresse d’en parler avec elle. Je sais pas, elle a comme un bon sens qui me ramène à des questions que je ne me serais pas posées.
Une dernière question sur les lieux que vos romans investissent (Nancy, pour Bye Bye Blondie ou la banlieue pour Des poupées et des anges). Ils font partie, souvent, des périphéries alors que vous habitez toutes deux Paris, comme si vous ne pouviez pas vous défaire des endroits où vous avez grandies...
N.H. : J'habitais une maison derrière une cité, vers Choisy, Pantin. Ce sont des lieux de solitude. Des sortes de vide qu'on n'oublie pas. On avance avec son histoire, c'est tout. Et ça permet d'aborder des personnages dont on n'a pas l'habitude. Dans Plaqué Or, mon prochain roman, je parle d'une banlieusarde qui n'accède pas à la sexualité avec plaisir. Elle se cherche. Elle ne comprend pas la perception que l'on a d'elle.
V.D. : ... c'est un archétype que l'on ne connaît pas encore. Mais sinon, en province, c'est vrai que la vie de groupe est plus épanouie. Les gens ont des apparts, du temps, des voitures pour se voir. C'est plus chaleureux. Paris est plus violent. Il n'y a rien à partager donc les gens partagent moins. Depuis que j'habite ici je n'héberge plus personne tout simplement parce que mon appart est trop petit. Mais bon, en même temps, c'est la plus belle ville du monde. Je ne peux plus en partir. Alors j'hurle moins de ma fenêtre.
N.H. : Je suis trop contente que t'habites le quartier...
V.D. : C'est toi qui m'a fait découvrir le Marais ! En fait, au début je croyais que c'était un quartier de tapettes... Je te remercierai jamais assez.
C'est bien, un nouvel appart, ça donne envie de faire un enfant.
N.H. : Ah ouais.
V.D. : Angot m'a vachement donné envie.
Propos recueillis par Charles Patin O'Coohoon et Ariel Kenig.
Derniers livres parus :
Bye Bye Blondie, Virginie Despentes (Grasset)
Des poupées et des anges, Nora Hamdi (Diable Vauvert).
A paraître en mars 2005 :
Plaqué Or, Nora Hamdi (Diable Vauvert)
Collaborations :
Trois étoiles (bande dessinée, Diable Vauvert)
Mordre au travers, Virginie Despentes (nouvelles) - illustration Nora Hamdi (Librio)
Zone Littéraire correspondant
Bye Bye Poupées
Virginie Despentes et Nora Hamdi
Ed.
0 p / 0 €
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Last modified onlundi, 26 avril 2010 18:55
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