Entretien avec Benoît Duteurtre
- font size decrease font size increase font size
Pourquoi avoir écrit ce livre ? D’ou vient-il ?
Ce livre est lié à plusieurs expériences, ou plutôt au rapprochement de plusieurs expériences. Il y a d’abord des éléments de mon adolescence au Havre, des souvenirs du port d'où les bateaux partaient vers New York. Plus tard, je suis allé à New York et j’y ai retrouvé certains échos : le port transatlantique, les paysages du Havre peints par Claude Monet au Metropolitan Museum. Il y avait pour moi comme un jeu de correspondances entre ces lieux. Mais c'est aussi un jeu de correspondance avec Paris, la ville ou l’on "monte" quand on est un jeune havrais, la ville de l'esprit "moderne" qui a longtemps inspiré New York. Mon livre est une rêverie et une fantaisie autour de ces lieux-là.
Tu parles beaucoup de la modernité…
Oui, j’ai une théorie sur la modernité. La modernité était à l’origine un phénomène d’affranchissement, de libération, de découvertes extraordinaires. Mais elle s’est transformée en un système oppressant et fermé sur lui-même. Et pas seulement dans l’art. Dans le domaine techniques par exemple. Au début, la voiture, l'avion offraient la possibilité de se déplacer davantage, de voyager, d’aller plus vite, etc. Aujourd'hui, cela n'est plus qu'un système de surproduction. Le monde est noyé par les voitures. L'indusrie du tourisme est devenue la négation même de l’idée de voyage… Il y a dans mon livre un regard sur cette banlieuisation générale et sur ce qu’est la France aujourd’hui. Un pays qui vit dans une espèce de cassure entre son discours culturel et sa réalité si banale.
N’est-ce pas un regard en réaction ?
Non. Je ne cesse d’expliquer que je n’aime qu’une chose dans l’esprit moderne, c’est l’esprit de liberté, de contestation, d’insolence. Ce que je n’aime pas, c’est la modernité érigée en système. C’est ce que j’attaque dans mon livre, la modernité incontestée et impérative.
Alors que réponds-tu à l’impératif irrationnel de Rimbaud : Il faut être absolument moderne ?
D'abord, j’ai toujours préféré Verlaine à Rimbaud… Rimbaud, c'est la référence obligée, ses poèmes sont placardés dans le métro, on lui consacre des sites et des t-shirts et en faisant cela, on se croit "absolument moderne". Les pseudo-artistes imitent continuellement ce qui a déjà été fait un siècle plus tôt en s’imaginant qu’ils font quelque chose de nouveau. On fait du Marcel Duchamp en étant persuadé que c’est « absolument moderne ». Pour moi, c’est absolument académique. Aujourd’hui, il me semble plus insolent, en littérature, d'oser un vrai récit des temps modernes que de jouer éternellement avec le langage et la déconstruction.
Que t’évoque le terme de vaudeville ?
J’aime assez cette tradition. D’ailleurs, j’ai écrit un livre sur l’Opérette pour montrer qu'Offenbach et ses successeurs ne sont pas des ringards, mais des insolents ! Ce n’est pas par hasard non plus si j’ai appelé mon premier roman L’amoureux malgré lui, en référence à Molière. Je me suis toujours senti proche de cette tradition qui regarde la société avec ironie, cruauté et allégresse, plutôt que d’une tradition plus noire et plus sérieuse. Tous les grands romanciers que j’aime ont une sorte de génie comique : Balzac, Maupassant, Proust ou Céline. L’art du roman et le regard ironique sont liés dans leur essence.
A cette dimension vaudevillesque, tu ajoutes aussi le fantastique. Est-ce qu’on peut vraiment parler du réel et de la modernité avec ces formes ?
Dans Le voyage en France, j’ai voulu pratiquer tous les degrés de narration, de l’autobiographie pure jusqu’au fantastique pur, en passant par l’auto fiction et le conte. Ce livre est presque construit comme une suite de nouvelles, ou du moins comme quelque chose d’intermédiaire entre le roman et la nouvelle. Je voulais que chaque chapitre soit autonome, mais que l'ensemble forme un récit cohérent dont la construction ressemble un peu à la forme de l’existence, sans véritable but, mais avec une diversité d'épisodes.
Tu as quelques mots durs pour la littérature narcissique et féminine…
Oui. Voilà encore une vieille resucée du siècle. On nous dit que c’est complètement nouveau, ce ton radical, cette veine exhibitionniste. Moi, je ne trouve pas ça nouveau du tout. Et même si c’était nouveau, il me semble que cette littérature ne conduit pas très loin. Ce goût de l’introspection, de la psychologie, ces confessions sexuelles sont d'une terrible monotonie... Effectivement, c'est une littérature en grande partie féminine, mais pas seulement. Il y a souvent derrière un discours de revendication extrêmement agressif envers les hommes. Aujourd’hui, selon les Catherine Breillat, ce serait aux femmes d’exprimer leur violence et aux hommes de s’excuser pour les souffrances du passé. Moi, je ne me sens pas coupable du passé, et je n'ai pas de compassion pour les souffre-douleur. Je n’aime pas ce pour quoi elles écrivent. J’ai une conception beaucoup plus ludique de l’art.
Et toi, alors, pourquoi écris-tu ?
Il y a une phrase de Beckett : « bon qu’à ça ».
C’est une façon un peu facile de résoudre la question, non ?
C’est vrai. J’écris parce que je crois à la possibilité du plaisir littéraire. Aujourd’hui, le monde de l'art est envahi par les discours, il se commente sans fin lui-même, avec beaucoup de sérieux. Il tourne autour de la question, comme pour oublier que les ressorts du plaisir littéraire restent toujours un peu les mêmes : le récit, les personnages, l'humour, l'intrigue... Personne n'a le courage de mettre la main dans cette pâte là — qui constitue pourtant le propre de l'art du roman et peut nous conduire à la jubilation.
Donc jubilation ?
Oui.
Et qu’est-ce que tu penses personnellement de ton roman ?
Ah ! Forcément, j’y suis attaché puisque c’est le dernier que j’ai écrit. En un sens, c’est mon plus vieux projet, un livre très important pour moi. Mais rien ne dit que les projets les plus ambitieux donnent forcément les meilleurs livres ! J'espère, mais ce n’est pas à moi de juger.
Florian Zeller
Benoït Duteurtre
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Ce livre est lié à plusieurs expériences, ou plutôt au rapprochement de plusieurs expériences. Il y a d’abord des éléments de mon adolescence au Havre, des souvenirs du port d'où les bateaux partaient vers New York. Plus tard, je suis allé à New York et j’y ai retrouvé certains échos : le port transatlantique, les paysages du Havre peints par Claude Monet au Metropolitan Museum. Il y avait pour moi comme un jeu de correspondances entre ces lieux. Mais c'est aussi un jeu de correspondance avec Paris, la ville ou l’on "monte" quand on est un jeune havrais, la ville de l'esprit "moderne" qui a longtemps inspiré New York. Mon livre est une rêverie et une fantaisie autour de ces lieux-là.
Tu parles beaucoup de la modernité…
Oui, j’ai une théorie sur la modernité. La modernité était à l’origine un phénomène d’affranchissement, de libération, de découvertes extraordinaires. Mais elle s’est transformée en un système oppressant et fermé sur lui-même. Et pas seulement dans l’art. Dans le domaine techniques par exemple. Au début, la voiture, l'avion offraient la possibilité de se déplacer davantage, de voyager, d’aller plus vite, etc. Aujourd'hui, cela n'est plus qu'un système de surproduction. Le monde est noyé par les voitures. L'indusrie du tourisme est devenue la négation même de l’idée de voyage… Il y a dans mon livre un regard sur cette banlieuisation générale et sur ce qu’est la France aujourd’hui. Un pays qui vit dans une espèce de cassure entre son discours culturel et sa réalité si banale.
N’est-ce pas un regard en réaction ?
Non. Je ne cesse d’expliquer que je n’aime qu’une chose dans l’esprit moderne, c’est l’esprit de liberté, de contestation, d’insolence. Ce que je n’aime pas, c’est la modernité érigée en système. C’est ce que j’attaque dans mon livre, la modernité incontestée et impérative.
Alors que réponds-tu à l’impératif irrationnel de Rimbaud : Il faut être absolument moderne ?
D'abord, j’ai toujours préféré Verlaine à Rimbaud… Rimbaud, c'est la référence obligée, ses poèmes sont placardés dans le métro, on lui consacre des sites et des t-shirts et en faisant cela, on se croit "absolument moderne". Les pseudo-artistes imitent continuellement ce qui a déjà été fait un siècle plus tôt en s’imaginant qu’ils font quelque chose de nouveau. On fait du Marcel Duchamp en étant persuadé que c’est « absolument moderne ». Pour moi, c’est absolument académique. Aujourd’hui, il me semble plus insolent, en littérature, d'oser un vrai récit des temps modernes que de jouer éternellement avec le langage et la déconstruction.
Que t’évoque le terme de vaudeville ?
J’aime assez cette tradition. D’ailleurs, j’ai écrit un livre sur l’Opérette pour montrer qu'Offenbach et ses successeurs ne sont pas des ringards, mais des insolents ! Ce n’est pas par hasard non plus si j’ai appelé mon premier roman L’amoureux malgré lui, en référence à Molière. Je me suis toujours senti proche de cette tradition qui regarde la société avec ironie, cruauté et allégresse, plutôt que d’une tradition plus noire et plus sérieuse. Tous les grands romanciers que j’aime ont une sorte de génie comique : Balzac, Maupassant, Proust ou Céline. L’art du roman et le regard ironique sont liés dans leur essence.
A cette dimension vaudevillesque, tu ajoutes aussi le fantastique. Est-ce qu’on peut vraiment parler du réel et de la modernité avec ces formes ?
Dans Le voyage en France, j’ai voulu pratiquer tous les degrés de narration, de l’autobiographie pure jusqu’au fantastique pur, en passant par l’auto fiction et le conte. Ce livre est presque construit comme une suite de nouvelles, ou du moins comme quelque chose d’intermédiaire entre le roman et la nouvelle. Je voulais que chaque chapitre soit autonome, mais que l'ensemble forme un récit cohérent dont la construction ressemble un peu à la forme de l’existence, sans véritable but, mais avec une diversité d'épisodes.
Tu as quelques mots durs pour la littérature narcissique et féminine…
Oui. Voilà encore une vieille resucée du siècle. On nous dit que c’est complètement nouveau, ce ton radical, cette veine exhibitionniste. Moi, je ne trouve pas ça nouveau du tout. Et même si c’était nouveau, il me semble que cette littérature ne conduit pas très loin. Ce goût de l’introspection, de la psychologie, ces confessions sexuelles sont d'une terrible monotonie... Effectivement, c'est une littérature en grande partie féminine, mais pas seulement. Il y a souvent derrière un discours de revendication extrêmement agressif envers les hommes. Aujourd’hui, selon les Catherine Breillat, ce serait aux femmes d’exprimer leur violence et aux hommes de s’excuser pour les souffrances du passé. Moi, je ne me sens pas coupable du passé, et je n'ai pas de compassion pour les souffre-douleur. Je n’aime pas ce pour quoi elles écrivent. J’ai une conception beaucoup plus ludique de l’art.
Et toi, alors, pourquoi écris-tu ?
Il y a une phrase de Beckett : « bon qu’à ça ».
C’est une façon un peu facile de résoudre la question, non ?
C’est vrai. J’écris parce que je crois à la possibilité du plaisir littéraire. Aujourd’hui, le monde de l'art est envahi par les discours, il se commente sans fin lui-même, avec beaucoup de sérieux. Il tourne autour de la question, comme pour oublier que les ressorts du plaisir littéraire restent toujours un peu les mêmes : le récit, les personnages, l'humour, l'intrigue... Personne n'a le courage de mettre la main dans cette pâte là — qui constitue pourtant le propre de l'art du roman et peut nous conduire à la jubilation.
Donc jubilation ?
Oui.
Et qu’est-ce que tu penses personnellement de ton roman ?
Ah ! Forcément, j’y suis attaché puisque c’est le dernier que j’ai écrit. En un sens, c’est mon plus vieux projet, un livre très important pour moi. Mais rien ne dit que les projets les plus ambitieux donnent forcément les meilleurs livres ! J'espère, mais ce n’est pas à moi de juger.
Florian Zeller
Benoït Duteurtre
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Last modified ondimanche, 03 mai 2009 23:05
Read 3107 times