Entretien avec Christophe Donner
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Non, Christophe Donner, votre livre L’Empire de la Morale, prix de Flore 2001, n’est pas " une caricature sans intérêt " (Christine Angot). Que peut-on demander d’autre à un livre que de questionner !
Je me suis rendu compte avec les réactions que le communisme et la politique ont rarement servies de matériau romanesque. Les critiques que j’ai reçues n’ont pris aucune distance par rapport à ce que j’ai dit sur Lénine et le communisme. Alors que c’est tout aussi délirant que ce que j’ai pu dire sur la morale et sur la neurologie. Pas plus pas moins. À un moment j’ai perdu mon sang froid. Je pensais avoir bien expliqué la chose, la différence et le pourquoi de cette perte de calme face au communisme. On ne reprocherait pas à un fils de nazi de perdre son sang froid. Il y a toujours eu cette espèce de prégnance du socialisme, l’impunité donnée aux communistes par rapport aux autres terrorismes. Tant qu’on n’aura pas mis le communisme sur le même plan, je serai toujours taxé de virulence. Chez les socialistes, il y a ce vieux passé, le monopole du cœur comme disait l’autre, et le monopole de la fraternité. Toutes ces choses qui reconstituent un tissu social et moral entre les gens. Les communistes
entre eux sont humains, ils reconstituent malgré le communiste une famille, une hiérarchie un ordre.
Que pensez-vous de ceux qui vous reprochent vos positions ?
Quand on me répond sur ce sujet, je me rends compte qu’ils ont juste un handicap par rapport à moi : j’y suis allé. Et c’est quelque chose qui n’est plus de l’ordre de la théorie mais de l’ordre de la morale humaine. Il y a ce choc, quand on voyage en Russie. Je ne l’ai peut-être pas assez décrit. Je ne réclame pas l’impunité par rapport à ma virulence. Il y a mes
excès certainement, mais il faut comprendre que je suis né communiste. Lénine, c’était la figure emblématique intellectuelle. Il ne suffit pas de comprendre. Il faut aussi voir et compter les ruines. La Russie, c’est l’Allemagne après la destruction.
Et des critiques littéraires ?
Il y a eu pour une fois beaucoup d’articles sur moi et j’ai l’impression de toujours dire la même chose. La critique demanderait un peu de sang neuf dans la forme et la manière d’aborder un livre. Ce qui me touche dans une critique, c’est sentir l’émotion de quelqu’un. Il faut que cet émotionné supposé qu’est le critique y mette un peu du sien. Qu’il y est quelque chose de repérable, de l’ordre de l’écriture. Qui est toujours quelque chose d’excessif.
À chaque sortie, vous êtes sollicité pour la promotion. À la fin, croit-on toujours à ce qu’on dit, ce qu’on a écrit, ce qu’on pense ?
Le livre, on en a fait un objet. On le regarde comme un truc étranger. À partir du moment où il y a la sanction de l’édition, on se détache de lui. J’ai le réflexe naturel de parler de moi à la troisième personne. " Je " est un autre. C’est un truc qui s’est mis à avoir sa vie littéraire propre. On est dans un état de virtualité. Très étrange, très décalé. Je ne me reconnais pas trop dans l’image qu’on me renvoie. J’ai toujours l’impression de terroriser les autres.
On s’attend à un monstre, un type violent et cela ne me ressemble pas du tout. Que l’écriture fasse mal, c’est une chose. Mais que je sois méchant, ç’en est encore une autre. Il y a une confusion dans la description qu’on fait de moi et l’écriture. C’est l’écriture qui est impitoyable. L’important est de savoir si j’apporte quelque chose.
Qui êtes-vous donc ?
Ce sont des définitions qui varient d’un jour à l’autre... Je cherche à savoir ce qu’est cette
recherche. J’ai la prétention de croire que c’est quelque chose de valable. Les moments de
découragements, c’est savoir si il faut encore chercher.
Existe-t-il un bonheur de mal vivre ?
Un délice. La souffrance est l’endroit où l’on se sent le mieux vivre. Se sentir vivre n’est pas un bonheur mais une question morale. Je ne pense pas que la morale est ce qu’il y a, faute de mieux. Peu importe que je souffre, que je sois malheureux, il y a autre chose au-dessus de tout ça, qui transcende cela et qui est forcément moral. C’est au-delà de l’agréable.
La vérité est-elle toujours totalitaire ?
Bien sûr. C’est un instrument, une pulsion, un fantasme qui est dirigé vers le réel. Je sais que
cela existe en tant qu’ancien " halluciné. " C’est ce vers quoi je tends. C’est ce dont les autres peuvent profiter à travers ce que j’ai pu dire : un réel dévoilé et reconnu. Ce que les écrivains ont de mieux : nous mettre dans un réel incontestable. Des crapules infinies comme Céline nous mettent en face du réel. C’est le réel qui compte dans le mauvais procès qu’on me fait. Quand les écrivains arrivent à toucher quelque chose de réel, ils sont précieux.
Une lecture à conseiller ?
Je ne lis pas beaucoup de romans. La dernière chose qui m’intéresse, les chroniques hippiques pendant la drôle de guerre. C’est une écriture magnifique. Je trouve très intéressante, avec soixante ans d’écart, la futilité apparente des courses et la guerre qui se prépare. Je m’y retrouve parce qu’il y a dans les chroniques de ce type, dans le récit, une expression qui me touche profondément. Elles parlent des gens qui vont à Vincennes, aux champs de courses, tout en évoquant les longues théories qui s’y retrouvent. Je me rends compte qu’on a perdu récemment la signification du mot théorie : ce sont des processions, des gens qui se rendent chez l’oracle. Ils utilisent très naturellement ce terme. Je pense que dans les années 40, on pouvait lire dans un journal de sports des longues théoriques qui se dirigent vers les terrains de courses. Une très belle image.
Delphine Deren.
Zone Littéraire correspondant
L'empire de la morale
Christophe Donner
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Je me suis rendu compte avec les réactions que le communisme et la politique ont rarement servies de matériau romanesque. Les critiques que j’ai reçues n’ont pris aucune distance par rapport à ce que j’ai dit sur Lénine et le communisme. Alors que c’est tout aussi délirant que ce que j’ai pu dire sur la morale et sur la neurologie. Pas plus pas moins. À un moment j’ai perdu mon sang froid. Je pensais avoir bien expliqué la chose, la différence et le pourquoi de cette perte de calme face au communisme. On ne reprocherait pas à un fils de nazi de perdre son sang froid. Il y a toujours eu cette espèce de prégnance du socialisme, l’impunité donnée aux communistes par rapport aux autres terrorismes. Tant qu’on n’aura pas mis le communisme sur le même plan, je serai toujours taxé de virulence. Chez les socialistes, il y a ce vieux passé, le monopole du cœur comme disait l’autre, et le monopole de la fraternité. Toutes ces choses qui reconstituent un tissu social et moral entre les gens. Les communistes
entre eux sont humains, ils reconstituent malgré le communiste une famille, une hiérarchie un ordre.
Que pensez-vous de ceux qui vous reprochent vos positions ?
Quand on me répond sur ce sujet, je me rends compte qu’ils ont juste un handicap par rapport à moi : j’y suis allé. Et c’est quelque chose qui n’est plus de l’ordre de la théorie mais de l’ordre de la morale humaine. Il y a ce choc, quand on voyage en Russie. Je ne l’ai peut-être pas assez décrit. Je ne réclame pas l’impunité par rapport à ma virulence. Il y a mes
excès certainement, mais il faut comprendre que je suis né communiste. Lénine, c’était la figure emblématique intellectuelle. Il ne suffit pas de comprendre. Il faut aussi voir et compter les ruines. La Russie, c’est l’Allemagne après la destruction.
Et des critiques littéraires ?
Il y a eu pour une fois beaucoup d’articles sur moi et j’ai l’impression de toujours dire la même chose. La critique demanderait un peu de sang neuf dans la forme et la manière d’aborder un livre. Ce qui me touche dans une critique, c’est sentir l’émotion de quelqu’un. Il faut que cet émotionné supposé qu’est le critique y mette un peu du sien. Qu’il y est quelque chose de repérable, de l’ordre de l’écriture. Qui est toujours quelque chose d’excessif.
À chaque sortie, vous êtes sollicité pour la promotion. À la fin, croit-on toujours à ce qu’on dit, ce qu’on a écrit, ce qu’on pense ?
Le livre, on en a fait un objet. On le regarde comme un truc étranger. À partir du moment où il y a la sanction de l’édition, on se détache de lui. J’ai le réflexe naturel de parler de moi à la troisième personne. " Je " est un autre. C’est un truc qui s’est mis à avoir sa vie littéraire propre. On est dans un état de virtualité. Très étrange, très décalé. Je ne me reconnais pas trop dans l’image qu’on me renvoie. J’ai toujours l’impression de terroriser les autres.
On s’attend à un monstre, un type violent et cela ne me ressemble pas du tout. Que l’écriture fasse mal, c’est une chose. Mais que je sois méchant, ç’en est encore une autre. Il y a une confusion dans la description qu’on fait de moi et l’écriture. C’est l’écriture qui est impitoyable. L’important est de savoir si j’apporte quelque chose.
Qui êtes-vous donc ?
Ce sont des définitions qui varient d’un jour à l’autre... Je cherche à savoir ce qu’est cette
recherche. J’ai la prétention de croire que c’est quelque chose de valable. Les moments de
découragements, c’est savoir si il faut encore chercher.
Existe-t-il un bonheur de mal vivre ?
Un délice. La souffrance est l’endroit où l’on se sent le mieux vivre. Se sentir vivre n’est pas un bonheur mais une question morale. Je ne pense pas que la morale est ce qu’il y a, faute de mieux. Peu importe que je souffre, que je sois malheureux, il y a autre chose au-dessus de tout ça, qui transcende cela et qui est forcément moral. C’est au-delà de l’agréable.
La vérité est-elle toujours totalitaire ?
Bien sûr. C’est un instrument, une pulsion, un fantasme qui est dirigé vers le réel. Je sais que
cela existe en tant qu’ancien " halluciné. " C’est ce vers quoi je tends. C’est ce dont les autres peuvent profiter à travers ce que j’ai pu dire : un réel dévoilé et reconnu. Ce que les écrivains ont de mieux : nous mettre dans un réel incontestable. Des crapules infinies comme Céline nous mettent en face du réel. C’est le réel qui compte dans le mauvais procès qu’on me fait. Quand les écrivains arrivent à toucher quelque chose de réel, ils sont précieux.
Une lecture à conseiller ?
Je ne lis pas beaucoup de romans. La dernière chose qui m’intéresse, les chroniques hippiques pendant la drôle de guerre. C’est une écriture magnifique. Je trouve très intéressante, avec soixante ans d’écart, la futilité apparente des courses et la guerre qui se prépare. Je m’y retrouve parce qu’il y a dans les chroniques de ce type, dans le récit, une expression qui me touche profondément. Elles parlent des gens qui vont à Vincennes, aux champs de courses, tout en évoquant les longues théories qui s’y retrouvent. Je me rends compte qu’on a perdu récemment la signification du mot théorie : ce sont des processions, des gens qui se rendent chez l’oracle. Ils utilisent très naturellement ce terme. Je pense que dans les années 40, on pouvait lire dans un journal de sports des longues théoriques qui se dirigent vers les terrains de courses. Une très belle image.
Delphine Deren.
Zone Littéraire correspondant
L'empire de la morale
Christophe Donner
Ed.
0 p / 0 €
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Last modified onlundi, 04 mai 2009 22:03
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