Rencontre avec Stéphane Guignon
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Depuis quand écrivez-vous ?
Oh, depuis quinze ans. Mais je ne me considère pas du tout comme un écrivain. J'ai eu la chance d'être édité une fois, c'est tout. Et il ne faut pas croire que la deuxième publication est un acquis. Pour l'instant, je profite de la joie de voir mon livre exister. Après on verra bien.
De la chance de vous trouver au Diable Vauvert ?
Absolument, je m'entends bien avec les gens qui y travaillent. J'aime la diversité des livres qui y sont publiés. Parmi ceux que j'ai lu, cicatrices, de Toni Davidson que je recommande vivement. Extraordinaire construction, vraiment flippant, ce livre, qui ne recourt à aucun des mécanismes classiques censés inspirer la peur.
Après cinquante-trois refus essuyés, c'était un choc que de recevoir ce coup de fil d'Anne Guérand, du Diable. C'était aussi une jouissance, lorsque je savais que & serait édité, que d'aller chercher chez les autres éditeurs mon manuscrit refusé. Je me sentais soulagé malgré tout dans ces instants-là !
Quand vous êtes-vous intéressé à la littérature ?
J'ai été élevé au milieu de trois mille livres. Mais je n'ai véritablement commencé à lire que vers l'âge de dix-neuf. Et j'ai alors compris que je n'écrivais pas encore, que je croyais écrire. J'ai eu des révélations. Les années suivantes, j'ai travaillé dans un tout autre domaine : la banque !
Vous vous situez comment, relativement aux autres courants de la littérature contemporaine ?
C'est une question que je ne me pose pas. Nulle part en fait. Je me sens loin d'un Nicolas Rey par exemple, ou d'un Beigbeder. Mais il est certain que j'ai été influencé par bon nombre d'auteurs, et pas que des auteurs littéraires au sens strict du terme : ceux de mon enfance, Brel, Brassens, Renaud, Coluche, Desproges, Allen; et plus tard, les révélations, Enki Bilal en bande dessinée, Blier au cinéma, Vian, Bukowski, Thiéfaine, Beckett…
Ces révélations ont un point commun, l'absurde. Ne pas aborder la réalité de front, passer par l'absurde pour montrer la réalité. J'aime que l'on ressuscite un personnage tué plus tôt, parce que ce personnage a encore envie de dire quelque chose. La logique ne m'intéresse pas beaucoup.
Pourquoi n'aimez-vous pas la vérité " toute nue " ?
A chacun sa vérité, dixit Pirandello. La vérité toute nue, c'est la réalité. Et je ne l'aime pas dans un roman ou dans un film en tous cas. Si l'on veut de la vérité toute nue, de la réalité, pas la peine d'aller au cinéma, il suffit de sortir dans la rue.
Vous êtes un peu mytho ? Avec les autres, avec vous-même ?
Non, j'ai simplement conscience que tout passe par un filtre de subjectivité. C'est pour cela que je mets en garde mon lecteur dans l'avertissement : " en revanche, à aucun moment, la vérité n'y est, montrée toute nue. "
Vous dites aussi qu'il n'y aura que très peu de sexe. C'est pour nous décourager ?
Il y en a quand même. "Six ou sept scènes de sexes." Ce livre reflète qui je peux être à certains moment, qui je pourrais être, et pourtant ce n'est pas moi. Ce n'est pas ma petite histoire.
Seriez-vous prêt à enculer une mouche, comme votre héros ?
Oh, si elle est mignonne et qu'elle le demande gentiment, pourquoi pas.
Cette scène m'a fait hurler de rire...
Alors tant mieux. Lorsque le Diable Vauvert a décidé d'éditer le roman, j'ai voulu supprimer cette scène. Trop au début du roman, je ne voulais pas que cela le connote, et que certains lecteurs s'y arrêtent, pensant qu'il ne s'agirait que de cela par la suite. J'en ai fait part à mes éditeurs, et ils ont hurlé, arguant que c'était là une scène drôle.
Vous laissez la part belle au femmes, dans cette histoire. Toutes des wonderwomans indispensables à la vie du héros-looser...
Marion Mazauric a trouvé elle-aussi que c'était un roman qui mettait la femme à l'honneur. Ce n'est pourtant pas ce à quoi j'ai pensé en l'écrivant. Je voulais simplement décrire quatre types de femmes, primordiales dans la vie de cet homme : sa mère, son épouse, sa maîtresse, sa sœur-meilleur pote. Elles n'ont rien de superwoumanes, elles sont toutes pleines de défauts et de failles. Mais c'est ce qui les rend attachantes, non ?
D'ailleurs, votre livre est l'un de seuls sur lesquels paraît une diablesse au lieu d'un petit diable pour le logo de la maison.
J'en suis très content, de ce succube sur la couverture. Je crois que toutes les femmes du roman ont leur particularité. Claire et Julie n'ont rien à voir par exemple. Claire est ébéniste, un boulot qui ne lui rapporte rien mais qui constitue à faire quelque chose, du tangible. Et Julie ne produit que du vent, ce qui lui rapporte gros et qui est valorisé par la société entière
Parlez-nous de « la mère », de son « attachement politique plus par habitude que par conviction » …
Ce n’est qu’un outil pour exprimer mon mépris vis-à-vis des gens qui font des théories sur ce qu’ils ne maîtrisent pas. J’ai autant de mépris pour les gens qui ne lisent qu’un seul livre religieux que pour les gens qui parlent de religion et qui n’ont pas lu le livre en question. Que ce soit la Bible, le capital, Mein Kampf ou peu importe. Il n’y a rien de plus intolérable qu’un mec qui te raconte ce que c’est que l’Islam sans avoir lu le Coran. Qui te sort sa théorie sur l’héroïne sans même toucher aux cigarettes.
Sur le plan politique, « elle ne sniffe plus la ligne du parti ». Le parti communiste ne représente plus cette force et cette puissance qu’il a pu être au temps de Marchais. Il ne surprend plus. On est loin des rêves de Karl Marx d’égalité entre les hommes. Ou de détention de l’outil de production. Quarante ans de manifs et de lutte syndicale pour s’apercevoir que ça mène pas à grand chose… Qu’on est trahi par les syndicats. Par les patrons. On est trahi dès que l’on rentre dans un système en fait.
Vous dénoncez quelque part le désengagement de la population ?
Les seuls responsables sont les partis. Le PC s’étiole énormément, c’est un bon indicateur.
Concerné par ce que nous vivons sur le plan politique en France en ce moment ?
Bien sûr, comme beaucoup. Mais on en vient à voter blanc tant on a la désagréable impression de ne pas être entendu. Et on finit par ne plus voter du tout. Ce qui est terrible, finalement. Les citoyens sont tellement peu consultés, et en viennent à s'en fiche faute de résultats concrets, de changement.
La fin de votre livre est presque prophétique : une société en débâcle, troisième conflit mondial dans un état devenu totalitaire.
Pas une prophétie, une vision à la rigueur, mais j'ai fait attention de ne pas l'ancrer dans un espace temps trop reconnaissable. Le seul moment où l'on sait qu'il s'agit de Paris, c'est lorsque je parle du Salon du livre et de la porte de Versailles
Pourquoi ce titre bizarre ? Ca peut porter préjudice, un truc pareil, on ne sait pas vraiment comment on doit le nommer...
J'ai entendu des gens qui disaient « et » ce qui me semble logique puisque c'est ainsi que l'on prononce ce sigle (pensez à « C&A; »). D'autres disent " esperluette " puisque c'est l'appellation de ce sigle. D'autres, habitués à travailler sur clavier, disent SHIFT 1; d'autres encore, moins inspirés, le "Stéphane Guignon". C'est Marion Mazauric qui a suggéré ce titre. Il correspondait bien à l'esprit du roman, puisque c'est le nom d'une des héroïnes qui « fait le lien » entre toutes les femmes du personnage principal, entre toutes les dimensions importantes de sa vie. Un lien universel, quoi ! Et puis cela semblait audacieux de n'inscrire que cela sur la couverture du livre, plus original, intriguant.
Parlez-nous un peu plus d’Esperluette : que représente elle ?
Elle représente ces femmes qui cherchent à faire valoir leur égalité avec les hommes. Non pas à travers le travail ou le pouvoir, comme le fait Julie, mais d’avantages à travers une mentalité. Ce n’est pas par ce que c’est une femme qu’il faut la prendre pour une conne. Qu’elle est plus faible et qu’elle a pas des façons libres de s’exprimer ou de s’assumer. Je la voulais donc débarrassée d’un certain nombre de minauderies et de clichés. Qu’elle soit monolithique et brut de décoffrage.
Mais il y a une autre raison, peut être un peu plus honnête. Le livre est écrit à « je ». Or je suis à la fois le personnage et Esperluette. Je voulais donc qu’Esperluette aie des raisons de séduire le personnage…
Trois personnages sur cinq ne travaillent pas. Le Je se fait entretenir. Pourquoi cette omniprésence du fric ?
Ca me fait plaisir qu’on le sente, en sous-entendu. C’est le problème essentiel de nos sociétés. Ceux qui n’ont pas d’argent dorment dehors. Et puis ils meurent si l’hiver est trop rude. Le pognon est devenu l’inquiétude principale de notre société qui fait tout pour qu’on ne puisse pas se passer de lui. Et le seul moyen légal de gagner honnêtement sa vie, c’est de travailler. Le travail est une marche forcée déguisée.
Cette attitude des héros relativement au travail n’est elle pas un peu facile, alors qu’ils sont parfois eux-même rentiers ?
Si, mais on se l’avoue, et mon héros met lui-même le nez dans cette contradiction. Il veut vivre de n’importe quelle façon ; mais pas comme un bourgeois, alors que la façon la plus simple qui s’offre à lui pour échapper au travail est de suivre cette femme rentière. Et donc de vivre comme un prolo bourgeois.
Une critique de la bourgeoisie ?
Je définis la bourgeoisie comme un monde installé. Il y a des gens qui gagnent très peu d’argent qui ont des attitudes de bourgeois. On ne peut pas définir les bourgeois comme une catégorie sociale. C’est d’avantage une attitude. « c’est comme les cochons… » dit Brel. Ils sont installés, ils sont figés. Or tout ce qui est figé meurt par définition. Au contraire, on peut gagner beaucoup d’argent, mais remettre sa vie en cause régulièrement. Le bourgeois ne se pose pas de question, ne prends pas de risque. Il a trouvé une solution, ne veut pas chercher autre chose, et pense avoir touché le bonheur absolu. Le confort est un piège dont personne n’est à l’abri. Or la vie doit être l’opposé du confort. En amour par exemple, si on se retrouve dans une situation de confort, c’est que la rupture n’est pas loin. Il faut que ça bouge. Il faut des risques, des angoisses, des peurs, des reprises, des emballements. Que ce soit animé. Il n’y a rien de pire de se réveiller au plumard à coté de quelqu’un et de trouver ça normal.
Je considère que rien n’est acquis. Ce n’est pas par ce que j’ai été publié une fois que j’ai la naïveté de croire que je le serais encore automatiquement.
Préparez-vous quelque chose d’autre ?
Non, mais j’avais déjà commencé à constituer un recueil de nouvelles avant même que le Diable ne me contacte pour l’édition. Je m’y suis re-consacré depuis quelques semaines et souhaite leur présenter pour la fin de l’année. Je prépare également un récit long pour plus tard…
Nicolas Tretiakow
Zone Littéraire correspondant
Et
Stéphane Guignon
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Oh, depuis quinze ans. Mais je ne me considère pas du tout comme un écrivain. J'ai eu la chance d'être édité une fois, c'est tout. Et il ne faut pas croire que la deuxième publication est un acquis. Pour l'instant, je profite de la joie de voir mon livre exister. Après on verra bien.
De la chance de vous trouver au Diable Vauvert ?
Absolument, je m'entends bien avec les gens qui y travaillent. J'aime la diversité des livres qui y sont publiés. Parmi ceux que j'ai lu, cicatrices, de Toni Davidson que je recommande vivement. Extraordinaire construction, vraiment flippant, ce livre, qui ne recourt à aucun des mécanismes classiques censés inspirer la peur.
Après cinquante-trois refus essuyés, c'était un choc que de recevoir ce coup de fil d'Anne Guérand, du Diable. C'était aussi une jouissance, lorsque je savais que & serait édité, que d'aller chercher chez les autres éditeurs mon manuscrit refusé. Je me sentais soulagé malgré tout dans ces instants-là !
Quand vous êtes-vous intéressé à la littérature ?
J'ai été élevé au milieu de trois mille livres. Mais je n'ai véritablement commencé à lire que vers l'âge de dix-neuf. Et j'ai alors compris que je n'écrivais pas encore, que je croyais écrire. J'ai eu des révélations. Les années suivantes, j'ai travaillé dans un tout autre domaine : la banque !
Vous vous situez comment, relativement aux autres courants de la littérature contemporaine ?
C'est une question que je ne me pose pas. Nulle part en fait. Je me sens loin d'un Nicolas Rey par exemple, ou d'un Beigbeder. Mais il est certain que j'ai été influencé par bon nombre d'auteurs, et pas que des auteurs littéraires au sens strict du terme : ceux de mon enfance, Brel, Brassens, Renaud, Coluche, Desproges, Allen; et plus tard, les révélations, Enki Bilal en bande dessinée, Blier au cinéma, Vian, Bukowski, Thiéfaine, Beckett…
Ces révélations ont un point commun, l'absurde. Ne pas aborder la réalité de front, passer par l'absurde pour montrer la réalité. J'aime que l'on ressuscite un personnage tué plus tôt, parce que ce personnage a encore envie de dire quelque chose. La logique ne m'intéresse pas beaucoup.
Pourquoi n'aimez-vous pas la vérité " toute nue " ?
A chacun sa vérité, dixit Pirandello. La vérité toute nue, c'est la réalité. Et je ne l'aime pas dans un roman ou dans un film en tous cas. Si l'on veut de la vérité toute nue, de la réalité, pas la peine d'aller au cinéma, il suffit de sortir dans la rue.
Vous êtes un peu mytho ? Avec les autres, avec vous-même ?
Non, j'ai simplement conscience que tout passe par un filtre de subjectivité. C'est pour cela que je mets en garde mon lecteur dans l'avertissement : " en revanche, à aucun moment, la vérité n'y est, montrée toute nue. "
Vous dites aussi qu'il n'y aura que très peu de sexe. C'est pour nous décourager ?
Il y en a quand même. "Six ou sept scènes de sexes." Ce livre reflète qui je peux être à certains moment, qui je pourrais être, et pourtant ce n'est pas moi. Ce n'est pas ma petite histoire.
Seriez-vous prêt à enculer une mouche, comme votre héros ?
Oh, si elle est mignonne et qu'elle le demande gentiment, pourquoi pas.
Cette scène m'a fait hurler de rire...
Alors tant mieux. Lorsque le Diable Vauvert a décidé d'éditer le roman, j'ai voulu supprimer cette scène. Trop au début du roman, je ne voulais pas que cela le connote, et que certains lecteurs s'y arrêtent, pensant qu'il ne s'agirait que de cela par la suite. J'en ai fait part à mes éditeurs, et ils ont hurlé, arguant que c'était là une scène drôle.
Vous laissez la part belle au femmes, dans cette histoire. Toutes des wonderwomans indispensables à la vie du héros-looser...
Marion Mazauric a trouvé elle-aussi que c'était un roman qui mettait la femme à l'honneur. Ce n'est pourtant pas ce à quoi j'ai pensé en l'écrivant. Je voulais simplement décrire quatre types de femmes, primordiales dans la vie de cet homme : sa mère, son épouse, sa maîtresse, sa sœur-meilleur pote. Elles n'ont rien de superwoumanes, elles sont toutes pleines de défauts et de failles. Mais c'est ce qui les rend attachantes, non ?
D'ailleurs, votre livre est l'un de seuls sur lesquels paraît une diablesse au lieu d'un petit diable pour le logo de la maison.
J'en suis très content, de ce succube sur la couverture. Je crois que toutes les femmes du roman ont leur particularité. Claire et Julie n'ont rien à voir par exemple. Claire est ébéniste, un boulot qui ne lui rapporte rien mais qui constitue à faire quelque chose, du tangible. Et Julie ne produit que du vent, ce qui lui rapporte gros et qui est valorisé par la société entière
Parlez-nous de « la mère », de son « attachement politique plus par habitude que par conviction » …
Ce n’est qu’un outil pour exprimer mon mépris vis-à-vis des gens qui font des théories sur ce qu’ils ne maîtrisent pas. J’ai autant de mépris pour les gens qui ne lisent qu’un seul livre religieux que pour les gens qui parlent de religion et qui n’ont pas lu le livre en question. Que ce soit la Bible, le capital, Mein Kampf ou peu importe. Il n’y a rien de plus intolérable qu’un mec qui te raconte ce que c’est que l’Islam sans avoir lu le Coran. Qui te sort sa théorie sur l’héroïne sans même toucher aux cigarettes.
Sur le plan politique, « elle ne sniffe plus la ligne du parti ». Le parti communiste ne représente plus cette force et cette puissance qu’il a pu être au temps de Marchais. Il ne surprend plus. On est loin des rêves de Karl Marx d’égalité entre les hommes. Ou de détention de l’outil de production. Quarante ans de manifs et de lutte syndicale pour s’apercevoir que ça mène pas à grand chose… Qu’on est trahi par les syndicats. Par les patrons. On est trahi dès que l’on rentre dans un système en fait.
Vous dénoncez quelque part le désengagement de la population ?
Les seuls responsables sont les partis. Le PC s’étiole énormément, c’est un bon indicateur.
Concerné par ce que nous vivons sur le plan politique en France en ce moment ?
Bien sûr, comme beaucoup. Mais on en vient à voter blanc tant on a la désagréable impression de ne pas être entendu. Et on finit par ne plus voter du tout. Ce qui est terrible, finalement. Les citoyens sont tellement peu consultés, et en viennent à s'en fiche faute de résultats concrets, de changement.
La fin de votre livre est presque prophétique : une société en débâcle, troisième conflit mondial dans un état devenu totalitaire.
Pas une prophétie, une vision à la rigueur, mais j'ai fait attention de ne pas l'ancrer dans un espace temps trop reconnaissable. Le seul moment où l'on sait qu'il s'agit de Paris, c'est lorsque je parle du Salon du livre et de la porte de Versailles
Pourquoi ce titre bizarre ? Ca peut porter préjudice, un truc pareil, on ne sait pas vraiment comment on doit le nommer...
J'ai entendu des gens qui disaient « et » ce qui me semble logique puisque c'est ainsi que l'on prononce ce sigle (pensez à « C&A; »). D'autres disent " esperluette " puisque c'est l'appellation de ce sigle. D'autres, habitués à travailler sur clavier, disent SHIFT 1; d'autres encore, moins inspirés, le "Stéphane Guignon". C'est Marion Mazauric qui a suggéré ce titre. Il correspondait bien à l'esprit du roman, puisque c'est le nom d'une des héroïnes qui « fait le lien » entre toutes les femmes du personnage principal, entre toutes les dimensions importantes de sa vie. Un lien universel, quoi ! Et puis cela semblait audacieux de n'inscrire que cela sur la couverture du livre, plus original, intriguant.
Parlez-nous un peu plus d’Esperluette : que représente elle ?
Elle représente ces femmes qui cherchent à faire valoir leur égalité avec les hommes. Non pas à travers le travail ou le pouvoir, comme le fait Julie, mais d’avantages à travers une mentalité. Ce n’est pas par ce que c’est une femme qu’il faut la prendre pour une conne. Qu’elle est plus faible et qu’elle a pas des façons libres de s’exprimer ou de s’assumer. Je la voulais donc débarrassée d’un certain nombre de minauderies et de clichés. Qu’elle soit monolithique et brut de décoffrage.
Mais il y a une autre raison, peut être un peu plus honnête. Le livre est écrit à « je ». Or je suis à la fois le personnage et Esperluette. Je voulais donc qu’Esperluette aie des raisons de séduire le personnage…
Trois personnages sur cinq ne travaillent pas. Le Je se fait entretenir. Pourquoi cette omniprésence du fric ?
Ca me fait plaisir qu’on le sente, en sous-entendu. C’est le problème essentiel de nos sociétés. Ceux qui n’ont pas d’argent dorment dehors. Et puis ils meurent si l’hiver est trop rude. Le pognon est devenu l’inquiétude principale de notre société qui fait tout pour qu’on ne puisse pas se passer de lui. Et le seul moyen légal de gagner honnêtement sa vie, c’est de travailler. Le travail est une marche forcée déguisée.
Cette attitude des héros relativement au travail n’est elle pas un peu facile, alors qu’ils sont parfois eux-même rentiers ?
Si, mais on se l’avoue, et mon héros met lui-même le nez dans cette contradiction. Il veut vivre de n’importe quelle façon ; mais pas comme un bourgeois, alors que la façon la plus simple qui s’offre à lui pour échapper au travail est de suivre cette femme rentière. Et donc de vivre comme un prolo bourgeois.
Une critique de la bourgeoisie ?
Je définis la bourgeoisie comme un monde installé. Il y a des gens qui gagnent très peu d’argent qui ont des attitudes de bourgeois. On ne peut pas définir les bourgeois comme une catégorie sociale. C’est d’avantage une attitude. « c’est comme les cochons… » dit Brel. Ils sont installés, ils sont figés. Or tout ce qui est figé meurt par définition. Au contraire, on peut gagner beaucoup d’argent, mais remettre sa vie en cause régulièrement. Le bourgeois ne se pose pas de question, ne prends pas de risque. Il a trouvé une solution, ne veut pas chercher autre chose, et pense avoir touché le bonheur absolu. Le confort est un piège dont personne n’est à l’abri. Or la vie doit être l’opposé du confort. En amour par exemple, si on se retrouve dans une situation de confort, c’est que la rupture n’est pas loin. Il faut que ça bouge. Il faut des risques, des angoisses, des peurs, des reprises, des emballements. Que ce soit animé. Il n’y a rien de pire de se réveiller au plumard à coté de quelqu’un et de trouver ça normal.
Je considère que rien n’est acquis. Ce n’est pas par ce que j’ai été publié une fois que j’ai la naïveté de croire que je le serais encore automatiquement.
Préparez-vous quelque chose d’autre ?
Non, mais j’avais déjà commencé à constituer un recueil de nouvelles avant même que le Diable ne me contacte pour l’édition. Je m’y suis re-consacré depuis quelques semaines et souhaite leur présenter pour la fin de l’année. Je prépare également un récit long pour plus tard…
Nicolas Tretiakow
Zone Littéraire correspondant
Et
Stéphane Guignon
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Last modified onlundi, 04 mai 2009 22:04
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