Entretien avec Paul Marchand
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Qu'est-ce qui vous a poussé à raconter un inceste en vous posant en simple rapporteur d'une histoire ?
Les deux premiers textes que j'avais rédigés (Sympathie pour le diable chez Florent Massot, et Ceux qui vont mourir chez Grasset, ndlr) portaient sur ma vie. Je voulais écrire quelque chose pour voir si j'étais un écrivain ou pas. Et quand j'ai sorti Ceux qui vont mourir il y a deux ans, j'ai reçu la lettre d'une femme. Je l'ai rencontrée, et elle a commencé à me raconter son histoire, je l'ai laissée parler. Au début, je l'ai poussée à rédiger ça elle-même : elle ne voulait pas. Jusqu'au jour où elle m'a dit : "Vous n'avez qu'à le faire vous-même". Son histoire était tellement hallucinante, tellement belle, exceptionnelle et douce, qu'après quelques vérifications journalistiques, je me suis dit que j'allais le faire. C'est une bonne transition avant de faire un livre par moi-même, là où je saurai si j'ai l'imagination nécessaire.
Pour vous, un écrivain doit-il nécessairement faire preuve d'imagination ?
Il me semble, oui, ou alors on rentre dans le truc où on raconte sa vie. Mais c'est d'un narcissisme ! Ecrire sur sa vie quand elle n'a rien d'exceptionnel, c'est très chiant. Qu'on se serve de deux ou trois éléments de sa propre vie pour bâtir une essence, oui, mais écrire systématiquement sa propre vie me paraît d'un ridicule ! Je serai sûr d'être écrivain le jour où je tiendrai des personnages. Plus question de parler des pays en guerre dans lesquels je travaillais avant, parce que je n'ai plus à rien dire dessus.
Vous avez vidé votre sac ?
Je pourrais délier mais ce serait absurde. Pour l'instant, je suis en train de penser à un prochain roman. J'ai déjà un thème. J'aimerais traiter de la vanité, de l'orgueil parce que j'ai vu beaucoup, beaucoup de cadavres, et que la finalité, c'est ça : on va tous se décomposer, on va tous puer. Vouloir autant de choses, l'être et le paraître pour finir en merde, c'est quand même très exceptionnel !
Désormais, votre regard sur l'inceste a-t-il changé ?
Dès le début, j'avais décidé de ne pas parler sur le fond. Etant elle-même magistrate quand elle a commencé dans l'instruction, elle m'a dit "J'ai vu ce qu'on appelle des incestes, et ce ne sont pas des incestes, mais des viols collectifs : une fois le père et une fois l'homme". Elle fait bien la distinction. Après, quel est le problème si ce sont deux adultes consentants qui s'aiment ? Si vous me posez la question de deux personnes majeures qui ont grandi ensemble, je vous dirai que ça ne me pose aucun problème pour la simple raison que je ne veux pas rentrer dans les histoires d'amour entre des personnes qui sont adultes et respectables. Ce qu'elle me disait, si un jour une limande tombait amoureuse d'une bicyclette , je trouverai ça beau. La formulation m'avait surpris, mais c'est vrai.
Votre passé de grand reporter vous inspire-t-il une certaine nostalgie des écrivains-journalistes à la Camus ?
Non. C'est une profession pour laquelle j'ai le plus profond mépris, pleine de connards et d'incultes. 90 % de ceux qui vont, soi-disant sur les conflits sont des couillons. N'importe qui peut raconter n'importe quoi. Je suis resté huit ans sur Beyrouth, et je n'ai jamais su qui avait tort ou qui avait raison, alors que des journalistes font des articles avant même de partir. Ceci dit, c'est un passé que je ne renie pas. Je veux simplement que ce ne soit plus à l'arrière de mes livres pour que ce ne soit plus carictural.
La mort de Patrick Bourrat ne vous a pas touché ?
Ce sont les gens de TF1 qui l'encensent. Une chaîne qui est tout de même le paroxysme de la médiocrité. Bourrat était une sorte de fumiste, comme d'autres. Pendant le Kosovo, il a manqué d'être viré parce qu'il était une sorte de petit escroc. Ça, vous pouvez le retranscrire, ça ne me pose pas de problème parce c'est vrai. Il avait facturé en note de frais la location d'un hélicoptère de l'armée française ! C'est dramatique : un homme est mort, mais j'en ai rien à foutre. C'était un brave garçon tellement con qu'il en est mort. Je n'ai pas de respect pour ce personnage-là et très peu de journalistes en ont. Il n'a jamais mis les pieds en Tchétchénie alors qu'il était correspondant à Moscou, et ça, c'est scandaleux. Le traitement romanesque de TF1 correspond bien à leur habitude de jouer sur l'émotion.
Votre titre, inspiré d'une chanson de Brel, vient-il en clin d'oeil aux vingt-cinquième anniversaire de sa mort ?
Non. Je n'avais pas de titre et la fille restait figée sur ces quatre vers là : Mais ces deux déchirés / Superbes de chagrin / Abandonnent aux chiens / L'exploit de les juger. Elle s'identifiait à ce texte qu'il avait écrit aux Marquises, pour son dernier album. Ceci dit, Brel est un chanteur que j'écoute toujours.
Le personnage de Benoît ressemble à la première personne de Ceux qui vont mourir avec ce même détachement par rapport à la vie ...
Je ne sais pas. Tous ceux qui se flinguent ne sont pas des désespérés. J'ai tenté de me mettre à sa place en imaginant que cette histoire fût révélée, et j'imagine combien ça a pu être dur. Benoît s'est retrouvé devant un dilemne assez simple : soit sa fille biologique déclarait qu'elle aimait cet homme et, dans ce cas, il était foutu, soit il se flinguait. Après, est-ce qu'on tient à la vie ou pas ? Tout ce que je sais, c'est que la mort m'a relié à cette fille. Aujourd'hui, je sais qu'elle pense avoir tué quelqu'un.
J'abandonne aux chiens l'exploit de nous juger, Paul M. Marchand
Grasset
216 pages, 14,90 €
Ariel Kenig
J'abandonne aux chiens l'exploit de nous juger
Paul M. Marchand
Ed. Grasset
216 p / 14 €
ISBN: 2246625912
Les deux premiers textes que j'avais rédigés (Sympathie pour le diable chez Florent Massot, et Ceux qui vont mourir chez Grasset, ndlr) portaient sur ma vie. Je voulais écrire quelque chose pour voir si j'étais un écrivain ou pas. Et quand j'ai sorti Ceux qui vont mourir il y a deux ans, j'ai reçu la lettre d'une femme. Je l'ai rencontrée, et elle a commencé à me raconter son histoire, je l'ai laissée parler. Au début, je l'ai poussée à rédiger ça elle-même : elle ne voulait pas. Jusqu'au jour où elle m'a dit : "Vous n'avez qu'à le faire vous-même". Son histoire était tellement hallucinante, tellement belle, exceptionnelle et douce, qu'après quelques vérifications journalistiques, je me suis dit que j'allais le faire. C'est une bonne transition avant de faire un livre par moi-même, là où je saurai si j'ai l'imagination nécessaire.
Pour vous, un écrivain doit-il nécessairement faire preuve d'imagination ?
Il me semble, oui, ou alors on rentre dans le truc où on raconte sa vie. Mais c'est d'un narcissisme ! Ecrire sur sa vie quand elle n'a rien d'exceptionnel, c'est très chiant. Qu'on se serve de deux ou trois éléments de sa propre vie pour bâtir une essence, oui, mais écrire systématiquement sa propre vie me paraît d'un ridicule ! Je serai sûr d'être écrivain le jour où je tiendrai des personnages. Plus question de parler des pays en guerre dans lesquels je travaillais avant, parce que je n'ai plus à rien dire dessus.
Vous avez vidé votre sac ?
Je pourrais délier mais ce serait absurde. Pour l'instant, je suis en train de penser à un prochain roman. J'ai déjà un thème. J'aimerais traiter de la vanité, de l'orgueil parce que j'ai vu beaucoup, beaucoup de cadavres, et que la finalité, c'est ça : on va tous se décomposer, on va tous puer. Vouloir autant de choses, l'être et le paraître pour finir en merde, c'est quand même très exceptionnel !
Désormais, votre regard sur l'inceste a-t-il changé ?
Dès le début, j'avais décidé de ne pas parler sur le fond. Etant elle-même magistrate quand elle a commencé dans l'instruction, elle m'a dit "J'ai vu ce qu'on appelle des incestes, et ce ne sont pas des incestes, mais des viols collectifs : une fois le père et une fois l'homme". Elle fait bien la distinction. Après, quel est le problème si ce sont deux adultes consentants qui s'aiment ? Si vous me posez la question de deux personnes majeures qui ont grandi ensemble, je vous dirai que ça ne me pose aucun problème pour la simple raison que je ne veux pas rentrer dans les histoires d'amour entre des personnes qui sont adultes et respectables. Ce qu'elle me disait, si un jour une limande tombait amoureuse d'une bicyclette , je trouverai ça beau. La formulation m'avait surpris, mais c'est vrai.
Votre passé de grand reporter vous inspire-t-il une certaine nostalgie des écrivains-journalistes à la Camus ?
Non. C'est une profession pour laquelle j'ai le plus profond mépris, pleine de connards et d'incultes. 90 % de ceux qui vont, soi-disant sur les conflits sont des couillons. N'importe qui peut raconter n'importe quoi. Je suis resté huit ans sur Beyrouth, et je n'ai jamais su qui avait tort ou qui avait raison, alors que des journalistes font des articles avant même de partir. Ceci dit, c'est un passé que je ne renie pas. Je veux simplement que ce ne soit plus à l'arrière de mes livres pour que ce ne soit plus carictural.
La mort de Patrick Bourrat ne vous a pas touché ?
Ce sont les gens de TF1 qui l'encensent. Une chaîne qui est tout de même le paroxysme de la médiocrité. Bourrat était une sorte de fumiste, comme d'autres. Pendant le Kosovo, il a manqué d'être viré parce qu'il était une sorte de petit escroc. Ça, vous pouvez le retranscrire, ça ne me pose pas de problème parce c'est vrai. Il avait facturé en note de frais la location d'un hélicoptère de l'armée française ! C'est dramatique : un homme est mort, mais j'en ai rien à foutre. C'était un brave garçon tellement con qu'il en est mort. Je n'ai pas de respect pour ce personnage-là et très peu de journalistes en ont. Il n'a jamais mis les pieds en Tchétchénie alors qu'il était correspondant à Moscou, et ça, c'est scandaleux. Le traitement romanesque de TF1 correspond bien à leur habitude de jouer sur l'émotion.
Votre titre, inspiré d'une chanson de Brel, vient-il en clin d'oeil aux vingt-cinquième anniversaire de sa mort ?
Non. Je n'avais pas de titre et la fille restait figée sur ces quatre vers là : Mais ces deux déchirés / Superbes de chagrin / Abandonnent aux chiens / L'exploit de les juger. Elle s'identifiait à ce texte qu'il avait écrit aux Marquises, pour son dernier album. Ceci dit, Brel est un chanteur que j'écoute toujours.
Le personnage de Benoît ressemble à la première personne de Ceux qui vont mourir avec ce même détachement par rapport à la vie ...
Je ne sais pas. Tous ceux qui se flinguent ne sont pas des désespérés. J'ai tenté de me mettre à sa place en imaginant que cette histoire fût révélée, et j'imagine combien ça a pu être dur. Benoît s'est retrouvé devant un dilemne assez simple : soit sa fille biologique déclarait qu'elle aimait cet homme et, dans ce cas, il était foutu, soit il se flinguait. Après, est-ce qu'on tient à la vie ou pas ? Tout ce que je sais, c'est que la mort m'a relié à cette fille. Aujourd'hui, je sais qu'elle pense avoir tué quelqu'un.
J'abandonne aux chiens l'exploit de nous juger, Paul M. Marchand
Grasset
216 pages, 14,90 €
Ariel Kenig
J'abandonne aux chiens l'exploit de nous juger
Paul M. Marchand
Ed. Grasset
216 p / 14 €
ISBN: 2246625912
Last modified onlundi, 11 mai 2009 21:42
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