Interview de Basile Panurgias
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“Are you in Paris or in London ?” L'oreille indiscrète dirait que son interlocutrice travaille pour Vanity Fair. D’une main enduite de plâtre, Basile Panurgias raccroche. Il rappellera dans une heure, quand il regagnera son appartement en (perpétuels) travaux. Place de la Bastille, l’auteur d’Amoureux & Vendus, roadbook africain réussi, répond à quelques questions à propos de son sixième roman. Entretien avec le plus international de nos jeunes romanciers.
L’idée de ce roman vient d’un de vos séjours en Afrique. Vous considérez-vous comme un écrivain du voyage ?
C’est avant tout l’histoire d’une relation entre quatre personnages et demi dans un contexte exotique. Je suis parti en Ethiopie en 2000, accompagné d’un ami architecte qui a signé la couverture. Je tenais un carnet de voyage où je consignais des notes, des impressions sur des endroits, des noms, et je n’ai commencé Amoureux et Vendus que deux ans après. Je laisse agir le filtre du temps, je fais ma sélection mais ce n’est ni un livre sur l’Afrique, ni sur le tourisme - la distinction entre le tourisme et le voyage étant pour moi une question de prise de risques. Je ne suis pas un Ruffin, je ne me suis servi que d’un cadre où la lumière était intéressante.
En quoi cette lumière apporte une valeur ajoutée à votre roman ?
C’est assez abstrait, mais les personnages de Zac et Andreï sont dans la longueur, à l’inverse de Ricky et Louise, plus tassés. Ces figures étirées correspondent d’une certaine façon au maniérisme, à ce que l’on peut trouver dans la peinture d’El Greco.
L’histoire commence par une vente aux enchères en Angleterre, où Zac se fait acheter par Ricky. La cocasserie de cette situation est-elle une forme d’ironie par rapport à la traite des Noirs ?
Cette vente aux enchères n’est pas tout à fait fictive. J’ai assisté chez Woody’s, par exemple, à des ventes caritatives de ce type qui se déroulent dans l’esprit d’une tradition très anglicane et fermée. On peut y trouver, effectivement, une certaine forme d’ironie, et je m’oppose très sincèrement à la condescendance occidentale vis-à-vis de l’Afrique. C’était là une matière romanesque intéressante, la traite de luxe des Blancs, mais aussi le point de départ d’une confrontation entre plusieurs univers.
Quels éléments avez-vous souhaité confronter ?
Les clashs ont lieu à plusieurs niveaux. D’abord, il y a celui entre Zac et Ricky, deux personnes a priori très différentes mais qui se révèlent, petit à petit, très complémentaires. Ensuite, il y a celui entre un couple, Adreï et Louise, et deux célibataires. On peut encore parler d’un clash entre l’Occident bavard et l’Afrique silencieuse.
Cette opposition culturelle est-elle la version africaine d’un propos typiquement Houellebecquien ?
Encore une fois, ce n’est pas un livre sur le tourisme, où l’on vous promet de l’exotisme. Cette histoire ne parle pas de commerce mais s’inscrit dans une tradition plutôt néocoloniale sans apologie de Zac et Ricky pour une sexualité telle que Houellebecq la décrit dans Plateforme. Zac a une certaine forme de naïveté et le charnel y transcende le voyage.
A l’inverse de Houellebecq encore, vous vous impliquez très peu dans vos personnages...
Se regarder le nombril en Afrique, c’est assez indécent, mais bon, pourquoi pas. La littérature, après tout, n’est pas une question de morale. Ce n’est pas de l’autofiction, je ne fais pas de délire psychologique sur ma personne même si j’écris pour moi. Ce qui m’intéresse, c’est la force du roman qui trouve son équilibre entre les liens de ses personnages et non ce qui lie le lecteur à l’écrivain.
Cette attitude de cavalier seul est assez étonnante quand on sait le nombre de vos amis, contacts, connaissances ou simples mondanités ?
Tout m’intéresse dans le voyage, y compris les points d’attache que je peux retrouver même si voyager seul est tout aussi riche. A Paris, je vois moins de gens que peuvent en voir ceux qui bossent dans la communication. On peut croire beaucoup de choses... Dans la journée, je me sais seul. J’écris.
Quand vous viviez à New-York, vous fréquentiez une certaine bande de New-Yorkais de prestige : Brett Easton Ellis, Jay McInerney... Quelques années après, qu’en retenez-vous ?
Les méthodes anglo-saxonnes font que rien n’est jamais acquis. J’ai pu suivre les combats entre Brett Easton Ellis et son agent pendant qu’il écrivait Glamorama. Une difficulté qui en a d’ailleurs fait un excellent livre - le meilleur de Brett. Inerney, lui, a fait beaucoup de compromis et la qualité de ses textes baisse... L’écrivain doit avoir un niveau d’exigence très élevé. J’ai beaucoup appris de Korte Felske : la littérature doit faire partie intégrante de la vie des gens. Quelqu’un comme Beigbeder s’en est inspiré, mais il ne faut pas oublier de travailler. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes auteurs se réclament de ces auteurs anglophones, mais citer des noms de marques, comme Ellis, est une chose dépassée depuis longtemps.
Selon vous, vers quoi la littérature devrait-elle tendre ?
Je pense qu’il existe une résurgence palpable de spiritualité et de mysticisme. On ne doit plus chercher aux Etats-Unis une justification culturelle. C’est pour cela d’ailleurs que je me suis tourné vers l’Afrique, là où quelque chose n’a pas encore été traité. Les clichés que l’on peut en avoir, ceux de l’Afrique “bolobolo” explique en partie la négligence que l’on a pu avoir envers le Rwanda. Ce qui bouge ne vient jamais d’où on l’attend.
Amoureux & Vendus, Basile Panurgias
Fayard, 216 pages, 15 €
Ariel Kenig
Amoureux & Vendus
Basile Panurgias
Ed. Fayard
216 p / 15 €
ISBN: 221361640X
L’idée de ce roman vient d’un de vos séjours en Afrique. Vous considérez-vous comme un écrivain du voyage ?
C’est avant tout l’histoire d’une relation entre quatre personnages et demi dans un contexte exotique. Je suis parti en Ethiopie en 2000, accompagné d’un ami architecte qui a signé la couverture. Je tenais un carnet de voyage où je consignais des notes, des impressions sur des endroits, des noms, et je n’ai commencé Amoureux et Vendus que deux ans après. Je laisse agir le filtre du temps, je fais ma sélection mais ce n’est ni un livre sur l’Afrique, ni sur le tourisme - la distinction entre le tourisme et le voyage étant pour moi une question de prise de risques. Je ne suis pas un Ruffin, je ne me suis servi que d’un cadre où la lumière était intéressante.
En quoi cette lumière apporte une valeur ajoutée à votre roman ?
C’est assez abstrait, mais les personnages de Zac et Andreï sont dans la longueur, à l’inverse de Ricky et Louise, plus tassés. Ces figures étirées correspondent d’une certaine façon au maniérisme, à ce que l’on peut trouver dans la peinture d’El Greco.
L’histoire commence par une vente aux enchères en Angleterre, où Zac se fait acheter par Ricky. La cocasserie de cette situation est-elle une forme d’ironie par rapport à la traite des Noirs ?
Cette vente aux enchères n’est pas tout à fait fictive. J’ai assisté chez Woody’s, par exemple, à des ventes caritatives de ce type qui se déroulent dans l’esprit d’une tradition très anglicane et fermée. On peut y trouver, effectivement, une certaine forme d’ironie, et je m’oppose très sincèrement à la condescendance occidentale vis-à-vis de l’Afrique. C’était là une matière romanesque intéressante, la traite de luxe des Blancs, mais aussi le point de départ d’une confrontation entre plusieurs univers.
Quels éléments avez-vous souhaité confronter ?
Les clashs ont lieu à plusieurs niveaux. D’abord, il y a celui entre Zac et Ricky, deux personnes a priori très différentes mais qui se révèlent, petit à petit, très complémentaires. Ensuite, il y a celui entre un couple, Adreï et Louise, et deux célibataires. On peut encore parler d’un clash entre l’Occident bavard et l’Afrique silencieuse.
Cette opposition culturelle est-elle la version africaine d’un propos typiquement Houellebecquien ?
Encore une fois, ce n’est pas un livre sur le tourisme, où l’on vous promet de l’exotisme. Cette histoire ne parle pas de commerce mais s’inscrit dans une tradition plutôt néocoloniale sans apologie de Zac et Ricky pour une sexualité telle que Houellebecq la décrit dans Plateforme. Zac a une certaine forme de naïveté et le charnel y transcende le voyage.
A l’inverse de Houellebecq encore, vous vous impliquez très peu dans vos personnages...
Se regarder le nombril en Afrique, c’est assez indécent, mais bon, pourquoi pas. La littérature, après tout, n’est pas une question de morale. Ce n’est pas de l’autofiction, je ne fais pas de délire psychologique sur ma personne même si j’écris pour moi. Ce qui m’intéresse, c’est la force du roman qui trouve son équilibre entre les liens de ses personnages et non ce qui lie le lecteur à l’écrivain.
Cette attitude de cavalier seul est assez étonnante quand on sait le nombre de vos amis, contacts, connaissances ou simples mondanités ?
Tout m’intéresse dans le voyage, y compris les points d’attache que je peux retrouver même si voyager seul est tout aussi riche. A Paris, je vois moins de gens que peuvent en voir ceux qui bossent dans la communication. On peut croire beaucoup de choses... Dans la journée, je me sais seul. J’écris.
Quand vous viviez à New-York, vous fréquentiez une certaine bande de New-Yorkais de prestige : Brett Easton Ellis, Jay McInerney... Quelques années après, qu’en retenez-vous ?
Les méthodes anglo-saxonnes font que rien n’est jamais acquis. J’ai pu suivre les combats entre Brett Easton Ellis et son agent pendant qu’il écrivait Glamorama. Une difficulté qui en a d’ailleurs fait un excellent livre - le meilleur de Brett. Inerney, lui, a fait beaucoup de compromis et la qualité de ses textes baisse... L’écrivain doit avoir un niveau d’exigence très élevé. J’ai beaucoup appris de Korte Felske : la littérature doit faire partie intégrante de la vie des gens. Quelqu’un comme Beigbeder s’en est inspiré, mais il ne faut pas oublier de travailler. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes auteurs se réclament de ces auteurs anglophones, mais citer des noms de marques, comme Ellis, est une chose dépassée depuis longtemps.
Selon vous, vers quoi la littérature devrait-elle tendre ?
Je pense qu’il existe une résurgence palpable de spiritualité et de mysticisme. On ne doit plus chercher aux Etats-Unis une justification culturelle. C’est pour cela d’ailleurs que je me suis tourné vers l’Afrique, là où quelque chose n’a pas encore été traité. Les clichés que l’on peut en avoir, ceux de l’Afrique “bolobolo” explique en partie la négligence que l’on a pu avoir envers le Rwanda. Ce qui bouge ne vient jamais d’où on l’attend.
Amoureux & Vendus, Basile Panurgias
Fayard, 216 pages, 15 €
Ariel Kenig
Amoureux & Vendus
Basile Panurgias
Ed. Fayard
216 p / 15 €
ISBN: 221361640X
Last modified ondimanche, 17 mai 2009 11:59
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