Interview de Pierre Clavillier

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A 38 ans, Pierre Clavillier, poète, écrivain et essayiste a pris la tête des éditions de la Barbacane en juin 2003. Aussi et surtout une revue de création littéraire contemporaine, cette petite structure existe en marge de l’institution éditoriale parisienne. De confection artisanale, elle allie qualité de présentation et exigence d’écriture sans être élitiste et hermétique.

<B>Que sont les éditions de la Barbacane ?</B>

La Barbacane est née au pied du château de Bonaguil en 1963, à l’initiative de Max Pons : un poète, conteur, écrivain et grand lecteur. Au départ c’était uniquement une revue littéraire. Dans son premier numéro, elle affichait des auteurs comme Jean Follain ou Jean Cocteau, tout juste décédé, qui laissait quelques inédits. Elle est devenue quelques années plus tard une maison d’éditions publiant essentiellement des poètes vivants dont Pierre Albert-Birot. Aujourd’hui, ce compagnon d’Apollinaire est presque ignoré de tous. Un jour il écrivit à Max Pons au sujet de la revue : « Elle me semble bien la fille du château, châtelaine qui aime le berger, très moderne puisque jadis les rois aimaient les bergères ; en somme, c’est le nouveau conte de fée ! » Et pour Max Pons « La Barbacane c’est un peu comme la daube : elle mijote longuement et ne peut se servir sur demande telle une vulgaire sauce en tablette. ».

<B>Qu’est ce qui fait votre identité ?</B>

La qualité typographique et notre présentation. Tous nos livres et toutes nos revues possèdent leur tirage de tête numérotés et cela, à un prix abordable. Nous ne souhaitons pas que l’argent soit une limite rédhibitoire ! C’est aussi notre identité !
Nous avons publié des auteurs dont le nom parle à la majorité du public ! Jean Giono par exemple ou encore André Breton ont été présents dans nos lignes à côté d’autres peut-être moins connus, mais dont la valeur littéraire est bien là.

<B>Pourquoi ce nom : « Barbacane » ?</B>

C’est une sorte de métaphore. Lorsque Max Pons a créé la Barbacane, il était Conservateur du Château de Bonaguil. Ce mot d’origine arabe désignait au moyen âge un ouvrage de fortification avancé. De forme circulaire ou semi-circulaire la Barbacane protégeait un passage, une porte ou poterne. Elle permettait à la garnison d'une forteresse de se réunir sur un point saillant à couvert, pour faire des sorties, pour protéger une retraite ou l'introduction d'un poste de secours.

<B>La Barbacane se consacre-t-elle exclusivement à la poésie ? </B>

Jusqu’à aujourd’hui, c’était effectivement le cas. Cependant, un virage est en train de s’amorcer. Nous consacrons notre prochain numéro, qui sortira dans la deuxième quinzaine de mars, à la nouvelle. Des écrivains tels qu'Alain Absire, président de la Société des gens de Lettres, Georges Oliviers Chateaureynaud ou encore Jean-Luc Moreau, fondateur de la Nouvelle Fiction y livreront leurs derniers textes à côté d’auteurs dont c’est la première publication. Et nous ouvrons nos pages à l’aphorisme et la correspondance. Mais nous continuerons à nous consacrer à la poésie.

<B>Comment s'opèrent vos choix de publication ?</B>

Le coup de cœur. Nous recherchons l’exigence dans l’art de l’écriture. Ensuite, il y a les auteurs prometteurs, chez lesquels on « sent » quelque chose. L’existence des revues littéraires est chaque jour plus difficile. Les abonnements restant le socle de leur survie, il nous paraît indispensable de les augmenter en liant, notamment, davantage encore La Barbacane à « ses auteurs ». Malheureusement, nous ne disposons pas d’une grande surface éditoriale. Nous pouvons faire paraître jusqu’à trois livres par an et c’est déjà beaucoup. Cette charte va nous permettre de publier des auteurs comme Bruno Bosvi, Alain Kewes ou Matthieu Baumier, de jeunes auteurs sur lesquels nous fondons beaucoup d’espoirs. En fait notre revue passe en revue ce qui se présente, pour ce qui est de nos éditions, c’est un peu la même chose.

<B>Comment parvenez-vous à continuer d’exister ?</B>

Difficilement ! Mais, cela fait 42 ans que cela dure. C’est le choix de l’indépendance qui n’a pas de prix !
Vous savez, le monde de l’édition est cruellement frappé par une désaffection des lecteurs, alors notre structure qui ne bénéficie que de très faibles relais médiatiques rencontre des problèmes pour retrouver le chemin des libraires et donc des présentoirs des librairies et derrière les étagères des bibliothèques des particuliers. Nous sommes en train de retrouver quelques abonnements. Cependant, le mouvement doit prendre plus d’ampleur pour nous sauver de la noyade et surtout permettre économiquement de retrouver des parutions plus régulières… Le conseil régional d’Aquitaine nous aide, de quoi couvrir nos frais postaux pour l’année, c’est déjà ça ! Mais nous avons également d’autres activités qui nous permettent d’avoir des entrées d’argent comme des lectures publiques, des conférences, des expositions pour les bibliothèques, des interventions dans les écoles…
Et nous comptons sur notre site Internet pour accroître notre audience et toucher de nouveaux lecteurs. Il devrait être lancé très prochainement.

<B>En quoi sera-t-il différent de la version papier de la revue ?</B>

La revue est entièrement dédiée à la création littéraire. Nous ne faisons aucun essai ni aucune présentation de livres. Le site bénéficiera d’un éditorial en rapport avec l’actualité littéraire et nous présenterons des auteurs maisons qui méritent d’être présenté à un plus large public. Vous y trouverez également des archives de textes épuisés. Et nous souhaitons créer un forum visant à débattre sur la création littéraire.

<B>Vous sentez-vous en dehors du milieu éditorial ?</B>

« Je suis dans un ailleurs qui n’est que d’un côté » dit un personnage d’Hector Bianciotti dans<i> Sang et miséricorde du christ</i>. La Barbacane est exactement dans ce cas de figure. L’édition est un iceberg, il n’y a que 10 % de sa surface qui émerge, disons que nous nous situons à la ligne de flottaison. Encore un peu et nous commencerons à être visible par un public moins averti que l’actuel.

<B>Que vous manque-t-il pour compter parmi elles ? </B>

La curiosité des lecteurs, mais aussi, une plus grande diffusion auprès du public. Surtout un suivi des media. Vous savez, nous n’avons jamais d’office pas plus que de représentants, il est donc moins aisé aux libraires de suivre notre actualité. Nous mettons tout en place pour être enfin identifiés par les professionnels de la chaîne du livre.

<B>Quel regard porte-vous sur la littérature contemporaine ?</B>

C’est difficile de répondre… Je ne sais pas si j’ai assez d’un regard… elle est tellement variée. Si l’on compare Marcel Moreau et Michel Houellebecq qui sont contemporains l’un de l’autre, ils pratiquent, somme toute, deux littératures complètement différentes. Marcel Moreau que nous publions, a écrit une cinquantaine d’ouvrages. Il est édité aux éditions Denoël. Pourtant, il est peu connu par rapport à Michel Houellebecq. On ne peut nécessairement pas les aborder de la même manière. Certains auteurs utilisent les conventions littéraires et alignent les mots. D’autres écrivent dans d’autres conditions avec d’autres nécessités. Leurs intentions sont différentes. Un texte de Philippe Delerm n’aura clairement pas la même visée qu’un texte de Pierre-Albert Bireau par exemple.
Pensez à cette phrase du poète Jean Follain : « On publie trop, on n'écrit pas assez ». Je crois vraiment qu’elle mérite d’être méditée… Dans cette explosion actuelle, il y a forcément des choses qui vont rester. Il ne faut pas confondre la mode avec l’essence. C’est là où les regards doivent être différents et ce n’est pas toujours facile, surtout lorsque l’on est éditeur.

<B>Alors qu’est ce qu’un écrivain qui a l’Ame ?</B>

Toute la question est là ! L’écrivain qui possède l’âme doit avoir un rapport authentique à la plume, c'est-à-dire ne jamais être autant soi que lorsqu'il écrit. Cela se perçoit immédiatement à la lecture d’un manuscrit ou d’un livre publié. Mais cela ne fait pas tout, il faut une certaine cohérence : être capable de mettre en place une structure solide qui se développera d’un bout à l’autre de l’ouvrage. Si l’œuvre ne possède pas ses propres règles intérieures, autres que syntaxiques, elle s’effondra sur elle-même comme un château de cartes au premier courant d’air. Mais avant d’en arriver là, il faut avoir lu. Il n’existe pas d’écriture sans lecture. On n’écrit pas sans les grands auteurs qui nous ont précédés, mais avec eux, dans la continuité de ce qu’il ont été. Avoir l’âme c’est ça : lire, être cohérent et authentique (je ne connais aucune expression artistique qui ne soit pas authentique), ce sont les éléments indispensables pour être touché par ce que l’on nomme pompeusement…la grâsce.

propo recueillis par Doreen Bodin

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