Nicolas Pages et Ariel Kenig
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Nicolas Pages est né à Lausanne. A 34 ans, après une trilogie autofictionnelle, il publie son dernier roman allégorique, Super G. Ariel Kenig est né en région parisienne. A 21 ans, il publie Camping Atlantic. A part ça, ils acceptent l’idée d’une interview croisée entre deux stands du Salon du Livre.
Chapitre I : La rencontre
Qu'est-ce qui a décidé votre rencontre ? Deux auteurs ont-ils forcément des choses à se dire ?
A.K. : C’est Guillaume Robert, l'éditeur de Nicolas, qui s’est chargé de tout. Il savait que j’aimais ton travail – très pur, très simple, mais avec ses revers sombres, d’un arraché. Et cela me donnait envie de voir qui était derrière.
N.P. : De mon côté, je n’ai jamais eu l’envie particulière de rencontrer des écrivains. Même quand j’apprécie leur travail, je ne sais jamais quoi leur dire. Je me sens plus à l’aise avec des artistes contemporains. Et puis j’ai lu ton livre… Pour Ariel, c’est la rage qu’il y a dans son livre, ce coté pas lisse. J’ai trouvé son livre exceptionnel pour un premier roman, et tout cela a facilité la rencontre.
A.K. : C’est marrant, mais je n’arrive jamais à comprendre qu’on ne cherche pas rencontrer les auteurs que l’on aime. Surtout de la part d’un auteur. C’est vrai qu’il existe un risque énorme d’être déçu, mais il y a tellement de choses à prendre, tellement de clefs. C’est la jeunesse qui me fait dire ça, mais je regrette tellement d’avoir découvert la littérature trop tard, d’avoir perdu du temps. Aujourd’hui, quand il y a une dizaine d’écrivains primordiaux pour moi, je me dis qu’ils peuvent vraiment m’en apprendre…
Chapitre II : Les personnages
Vos deux romans se focalisent sur un personnage principal : Louise pour Super G, Adonis pour Camping Atlantic. Vous souhaitiez réhabiliter des héros ?
N.P. : Après avoir écrit trois livres au "je" [Je mange un oeuf, Les choses communes et Septembre], je souhaitais passer au "tu". Ce qui impliquait nécessairement un seul interlocuteur. Et le personnage de Louise est venu naturellement. Elle synthétisait les femmes que j'ai connues. Et le regard que ces femmes portent sur les hommes et leur destin. Elle était assez forte, assez dense, pour que je n'aie pas à superposer plusieurs personnages.
A.K. : Elle ne s'ennuie pas vraiment...
N.P. : Elle est dans la tourmente. Pour larguer ce qu’elle doit larguer, elle a compris que ce sont les virages et les contours qui font le chemin de chacun, les passages obligés. Elle ne se tourne plus vers son passé, qui l’immobilise. Elle fait à la fois du sur place et de la descente, sans jamais vraiment tomber. Et surtout, elle ne sait pas où elle va arriver.
A.K. : Pourtant, dans ton livre, il y a pas mal de moment où on pense qu’elle va tomber… Tu voulais montrer une succession d’épreuves ?
N.P. : Tu la vois aussi victime que ça ?
A.K. : Non, parce qu’au final, elle plie mais ne rompt pas.
N.P. : En fait, tous les éléments qui arrivent dans sa vie, elle les prend. Soit comme un signe, soit comme une simple justification de vivre ces aventures-là. Comme elle a conscience de ça, elle continue effectivement son chemin tout droit. Les gens, finalement, qu’elle rencontre ne sont que des gens de passage.
A.K. : Je me suis demandé si le fait que Louise reste droite n’était pas une propre injonction. Un moyen de te donner confiance, de te rassurer pour les années à venir. Une manière de te convaincre que tu ne tomberais pas.
N.P. : Effectivement, ça me donne confiance. C’est le fantasme du positif. Pour la première fois, je voulais quelque chose de positif. Alors je me suis accroché à la lame du rasoir, à la cime. Mais pour Camping Atlantic, c’est vrai qu’Adonis fonce dans le tas : dans la famille et dans le camping. Il va tout droit.
A.K. : Le plus beau reproche qu’on m’ait fait, c’est que les personnages n’avaient pas le choix, qu’ils étaient dans un déterminisme total et que jamais je ne leur donnais la liberté de s’en sortir. Mais en même temps, si j’ai fais ça, c’est par réaction au « tout relatif ». Au « tout est possible ». Le pape a beau mourir, tous les chemins ne mènent pas à Rome, même si on peut en avoir l’impression. Mon passage obligé, c’était d’y aller frontalement et de dévaler la pente.
N.P. : Adonis est plus impulsif, il fonce dans les murs. Louise, c’est vrai, est plus retenue. Elle se cache énormément. Adonis comprend, il est complètement actif alors que Louise est dans la réaction.
A.K. : C’est clair qu’Adonis, de par son âge, a moins vécu. Et le contexte joue. Il se débat dans une caravane, alors que Louise se débat dans une sorte de temple... dans la forêt.
N.P. : Dans ton livre comme dans le mien, l’environnement bouleverse les choses.
A.K. : Les choix spatiaux ont un vrai sens. Louise et ses voyages, Adonis et son petit camping. D’un côté, il y a une mémoire qu’il faut atomiser, éparpiller dans le monde pour se soulager, et de l’autre, une mémoire vide, d’instinct. Et c’est normal : tu as la mémoire lourde, plus lourde que moi, quoique tu t’en débarrasses à chaque livre. Dans Les choses communes, évidemment, qui est fait de « je me souviens… », mais aussi dans le reste.
N.P. : Ça…
Chapitre III : Les influences
La transition est faite... vous nous parlez de vos influences ?
N.P. : Il y a eu Marguerite Duras, Bret Easton Ellis… J’ai écrit Je mange un œuf à la suite de ça. Puis il y a eu Joe Brainard, plus que Georges Perec, qui a inspiré Les choses communes, et, ensuite, un écrivain absolument incroyable : Agota Kristof, qui a fait quatre petits livres qui furent une grande claque. Je viens des arts plastiques et Je mange un œuf, qui était un support, a fait que j’ai continué à écrire.
A.K. : En fait tu as toujours été décomplexé vis-à-vis de la littérature…
N.P. : Bah… à chaque fois, c’est de l’écriture conceptuelle. Je me fixe un cadre puis je remplis. C’est pour ça que je travaille avec une date butoir. Je déconstruis le livre avant de le construire.
A.K. : Evidemment Ellis est génial, même si on se l’approprie dans tous les sens. Duras, aussi, qui a le rire communicatif, parfois, mais niveau influence, il y a eu Nicolas Pages… et puis c’est tout, non ? (Rires) Plus sérieusement, j’aime tellement de livres. Ce qui est différent des influences proprement dites : on peut être influencé par trois lignes d’un auteur que l’on n’aime pas spécialement.
N.P. : Et c’est quoi tes trois lignes que t’as préféré dans mes livres alors ?
A.K. : C’est « Nicolas Pages est né à Lausanne. Il a 34 ans. Super G est son quatrième roman. » Ça claque trop.
Super G, Nicolas Pages, Flammarion
A noter : sortie en poche de Je mange un oeuf, de Nicolas Pages, chez J'ai Lu
Camping Atlantic, Ariel Kenig, Denoël
Propos recueillis par Charles Patin O'Coohoon
Super Atlantic
Nicolas P. vs. Ariel K.
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Chapitre I : La rencontre
Qu'est-ce qui a décidé votre rencontre ? Deux auteurs ont-ils forcément des choses à se dire ?
A.K. : C’est Guillaume Robert, l'éditeur de Nicolas, qui s’est chargé de tout. Il savait que j’aimais ton travail – très pur, très simple, mais avec ses revers sombres, d’un arraché. Et cela me donnait envie de voir qui était derrière.
N.P. : De mon côté, je n’ai jamais eu l’envie particulière de rencontrer des écrivains. Même quand j’apprécie leur travail, je ne sais jamais quoi leur dire. Je me sens plus à l’aise avec des artistes contemporains. Et puis j’ai lu ton livre… Pour Ariel, c’est la rage qu’il y a dans son livre, ce coté pas lisse. J’ai trouvé son livre exceptionnel pour un premier roman, et tout cela a facilité la rencontre.
A.K. : C’est marrant, mais je n’arrive jamais à comprendre qu’on ne cherche pas rencontrer les auteurs que l’on aime. Surtout de la part d’un auteur. C’est vrai qu’il existe un risque énorme d’être déçu, mais il y a tellement de choses à prendre, tellement de clefs. C’est la jeunesse qui me fait dire ça, mais je regrette tellement d’avoir découvert la littérature trop tard, d’avoir perdu du temps. Aujourd’hui, quand il y a une dizaine d’écrivains primordiaux pour moi, je me dis qu’ils peuvent vraiment m’en apprendre…
Chapitre II : Les personnages
Vos deux romans se focalisent sur un personnage principal : Louise pour Super G, Adonis pour Camping Atlantic. Vous souhaitiez réhabiliter des héros ?
N.P. : Après avoir écrit trois livres au "je" [Je mange un oeuf, Les choses communes et Septembre], je souhaitais passer au "tu". Ce qui impliquait nécessairement un seul interlocuteur. Et le personnage de Louise est venu naturellement. Elle synthétisait les femmes que j'ai connues. Et le regard que ces femmes portent sur les hommes et leur destin. Elle était assez forte, assez dense, pour que je n'aie pas à superposer plusieurs personnages.
A.K. : Elle ne s'ennuie pas vraiment...
N.P. : Elle est dans la tourmente. Pour larguer ce qu’elle doit larguer, elle a compris que ce sont les virages et les contours qui font le chemin de chacun, les passages obligés. Elle ne se tourne plus vers son passé, qui l’immobilise. Elle fait à la fois du sur place et de la descente, sans jamais vraiment tomber. Et surtout, elle ne sait pas où elle va arriver.
A.K. : Pourtant, dans ton livre, il y a pas mal de moment où on pense qu’elle va tomber… Tu voulais montrer une succession d’épreuves ?
N.P. : Tu la vois aussi victime que ça ?
A.K. : Non, parce qu’au final, elle plie mais ne rompt pas.
N.P. : En fait, tous les éléments qui arrivent dans sa vie, elle les prend. Soit comme un signe, soit comme une simple justification de vivre ces aventures-là. Comme elle a conscience de ça, elle continue effectivement son chemin tout droit. Les gens, finalement, qu’elle rencontre ne sont que des gens de passage.
A.K. : Je me suis demandé si le fait que Louise reste droite n’était pas une propre injonction. Un moyen de te donner confiance, de te rassurer pour les années à venir. Une manière de te convaincre que tu ne tomberais pas.
N.P. : Effectivement, ça me donne confiance. C’est le fantasme du positif. Pour la première fois, je voulais quelque chose de positif. Alors je me suis accroché à la lame du rasoir, à la cime. Mais pour Camping Atlantic, c’est vrai qu’Adonis fonce dans le tas : dans la famille et dans le camping. Il va tout droit.
A.K. : Le plus beau reproche qu’on m’ait fait, c’est que les personnages n’avaient pas le choix, qu’ils étaient dans un déterminisme total et que jamais je ne leur donnais la liberté de s’en sortir. Mais en même temps, si j’ai fais ça, c’est par réaction au « tout relatif ». Au « tout est possible ». Le pape a beau mourir, tous les chemins ne mènent pas à Rome, même si on peut en avoir l’impression. Mon passage obligé, c’était d’y aller frontalement et de dévaler la pente.
N.P. : Adonis est plus impulsif, il fonce dans les murs. Louise, c’est vrai, est plus retenue. Elle se cache énormément. Adonis comprend, il est complètement actif alors que Louise est dans la réaction.
A.K. : C’est clair qu’Adonis, de par son âge, a moins vécu. Et le contexte joue. Il se débat dans une caravane, alors que Louise se débat dans une sorte de temple... dans la forêt.
N.P. : Dans ton livre comme dans le mien, l’environnement bouleverse les choses.
A.K. : Les choix spatiaux ont un vrai sens. Louise et ses voyages, Adonis et son petit camping. D’un côté, il y a une mémoire qu’il faut atomiser, éparpiller dans le monde pour se soulager, et de l’autre, une mémoire vide, d’instinct. Et c’est normal : tu as la mémoire lourde, plus lourde que moi, quoique tu t’en débarrasses à chaque livre. Dans Les choses communes, évidemment, qui est fait de « je me souviens… », mais aussi dans le reste.
N.P. : Ça…
Chapitre III : Les influences
La transition est faite... vous nous parlez de vos influences ?
N.P. : Il y a eu Marguerite Duras, Bret Easton Ellis… J’ai écrit Je mange un œuf à la suite de ça. Puis il y a eu Joe Brainard, plus que Georges Perec, qui a inspiré Les choses communes, et, ensuite, un écrivain absolument incroyable : Agota Kristof, qui a fait quatre petits livres qui furent une grande claque. Je viens des arts plastiques et Je mange un œuf, qui était un support, a fait que j’ai continué à écrire.
A.K. : En fait tu as toujours été décomplexé vis-à-vis de la littérature…
N.P. : Bah… à chaque fois, c’est de l’écriture conceptuelle. Je me fixe un cadre puis je remplis. C’est pour ça que je travaille avec une date butoir. Je déconstruis le livre avant de le construire.
A.K. : Evidemment Ellis est génial, même si on se l’approprie dans tous les sens. Duras, aussi, qui a le rire communicatif, parfois, mais niveau influence, il y a eu Nicolas Pages… et puis c’est tout, non ? (Rires) Plus sérieusement, j’aime tellement de livres. Ce qui est différent des influences proprement dites : on peut être influencé par trois lignes d’un auteur que l’on n’aime pas spécialement.
N.P. : Et c’est quoi tes trois lignes que t’as préféré dans mes livres alors ?
A.K. : C’est « Nicolas Pages est né à Lausanne. Il a 34 ans. Super G est son quatrième roman. » Ça claque trop.
Super G, Nicolas Pages, Flammarion
A noter : sortie en poche de Je mange un oeuf, de Nicolas Pages, chez J'ai Lu
Camping Atlantic, Ariel Kenig, Denoël
Propos recueillis par Charles Patin O'Coohoon
Super Atlantic
Nicolas P. vs. Ariel K.
Ed.
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Last modified onlundi, 26 avril 2010 18:54
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