Portrait de Nicolas Rey
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C'est bizarre, ce type, on a l’impression qu’on ne le connaîtra jamais en dépit de toutes les facettes que son travail permet d’appréhender. Pas un hasard, si Nicolas Rey par Nicolas Rey ça donne "Je suis un électron libre." Comment l’attraper, dans ces conditions, le situer quelque part et le soumettre à analyse ? Serait-il comme un Besson sympathisant communiste et star du Figaro ("On se fiche du support, du moment que tu écris ce que tu penses !").
"D'habitude, c'est drôle, mais lorsqu'on m'écrit, je ne ressens rien." Chroniqueur-journaliste-écrivain, séducteur nonchalant, il est de ces élégants pressés de mourir qui ne prennent pas le temps de recevoir. Rey, roi de tendres et âcres nuits toujours très parisiennes, se fiche au fond pas mal de ce que certaines langues peuvent penser de ses lettres de noblesse littéraires. Il préfère construire, même des châteaux de sable parce que c’est de toute façon plus poétique et plus rapide, donner et écrire, provoquer sans prétendre apporter de pierre révolutionnaire quelconque à un édifice qui n’est fait que de papier.
Après Treize minutes, Mémoire courte était attendu : il a couronné son jeune auteur. Puis le troisième, avec entre-temps le Figaro, Cultures et Dépendances, Zurban, le Flore… L’important n'est pas où, ni combien, ni en quelle année. On le sait, Nicolas a du talent même s'il fait partie de ces branchés pas toujours très audacieux ; non, l’essentiel est plutôt dans le condensé de ces trois livres : cette métaphore filée qui semble retracer l’évolution d’un être que le sourire en coin ne quitte pas un seul instant. Sourit-il encore, Nicolas ?
Si jeune et déjà sur la voie d’une "sagesse" qui ne trompe personne, espiègle et malgré tout pourvu d’une faculté de recul sur soi. Bien que brille dans ses prunelles le souvenir des mutineries passées, il parvient à nous troubler, ce prince qui a troqué la chevelure glamour pour celle, parsemée de mèches blanches, du roi courtisé et plein d’assurance. Car si cet archimondain jolipunk a largement festoyé, on sent dans son corps fatigué et expérimenté une douleur des plus fatales et contemporaines : celle qui ressent l’âge défiler. Nostalgie, mais grâce et quiétude pour encaisser les années qui volent, pour apprendre à aimer la naïveté et la fraîcheur des débuts. Son dos voûté abrite de grandes admirations adolescentes : Céline, Mc Inerney, Salinger ou Dustan, "quand il écrivait encore de beaux bouquins". Est-ce à dire que le plus beau livre serait le premier ?
Que dit-il du troisième donc ? D’abord, il a tout compris à la littérature : il remercie. Nicolas Rey remercie Eric Laurrent, son correcteur. "Il m’a évité la catastrophe. Quand on a la tête dans un texte, on finit par ne plus voir les erreurs, les conneries. Et dans Un début prometteur (titre du 3e, ndlr) il y en avait ! Eric ne mâche pas ses mots, mais il a raison d’être sévère…"
Ce qu’en disent les autres ? On est forcé de constater que les bonnes critiques s'amoncellent, louant la progression du petit auteur qui, d’une voix très personnelle, a fini par débusquer ses propres accents, sincères, empreints de métamorphose. Treize Minutes et Mémoire Courte ne s'oublient pas, bien sûr : la force de la vingtaine, les pleurs attendrissants d'un jeune homme pas méchant. "Je commençais à chialer pour un rien. Dès que je voyais un type aux cheveux blancs dans la rue, par exemple. Je pensais à mon père. Mon père est un type bien. [...] Mon père a tellement d'amour pour nous que l'on pourrait vivre encore pendant des siècles entiers". Mais deux ans après, Nicolas Rey, la plume plus forte et le cheveu plus ténu, reviennent en force. Avec une pertinence d’autant plus robuste qu’elle s’est débarrassée des prétentions de la vingtaine.
Paradoxalement, cette plus grande maturité nous parvient énoncée et vécue dans la peau d’un lycéen, Henri, qui observe le monde des adultes et celui de son frère Martin en particulier. Martin vient de se faire larguer par la femme de sa vie dont il attendait un enfant, et revient complètement ruiné vivre dans la maison familiale – pardon, dans une caravane au fond du jardin. Le père, quitté par le pathétique stéréotype de l’éternelle gamine de plus de quarante ans qu’était son épouse, a fait une croix sur sa virilité et pleure de ne plus savoir que répondre à ses fils. Lassitude et désillusions, le navire coule joyeusement – un sentiment de déjà vu chez Nicolas Rey –, mais cette fois les rats ne s’en vont plus. Voilà peut-être la seule chose que l’on retiendra de ce roman de noyade drôle et désespérée : les rats ne quittent pas toujours le navire. Ainsi ce narrateur-spectateur, ce personnage bien atteint par la vie et à priori plus fragile car plus jeune, console les précédents et consolide ses aînés. En bref, le regard adulte d’un enfant sur les gamineries des adultes. En bref, l’âge est une foutaise.
A travers cette histoire de rôles inversés, il semble que la métamorphose, observable depuis l’extérieur, soit validée par la signature du concerné. Qui se serait résolu à regarder le monde, à être grand, à rester fort car on le devient plus rarement. A Paris, là où "le plus surprenant reste les quelques personnes qui arrivent encore à s'endormir sans barrette de Lexomil", il a trouvé le courage de continuer. Mais qu’est-ce qui a changé ? On ne saurait trouver d’exemple réellement explicite. Barrettes de strass, séances de baise, alcool continu, et la "fatigue" comme "moindre des choses"… Nicolas Rey pense qu’il devrait probablement se calmer même si après tout, ça n'est pas nécessaire – et il change, tout en changeant peu. Cramer son encre avant qu'elle ne sèche, ce n'est rien d'autre que du romantisme. Nicolas ne s'en excuse pas, c’est un vrai romantique qui en crèvera sans doute.
"Encore ? Et puis quoi encore ?" Page dans Voici, gueule sur écran, soirées parisiennes... "Encore ? Et puis quoi encore ?" Des mimiques.
Increvable, Nicolas. "Au fond, les pauvres, les bêtes, les animaux, les réfractaires, la belle et dangereuse moitié du monde." Au fond, le fauve, le prêtre, le char d'assaut, l'air d'un killer, la belle et dangereuse moitié du mensonge. Au fond de lui, un souffle. Jusqu'à ce que les lumières s'éteignent. Car en effet, un jour, Nicolas Rey va mourir. Normalement. Ni crash ni overdose. Sans rock. Et nous resterons sans doute indécemment frustrés. Et ce jour-là, il faudra apprendre à aimer la grâce qu'il aura éparpillée, toute sa vie. Et parce qu'il mérite un lieu tranquille, on l'enfouira à Montmartre. "Le repos est important lorsque la jeunesse est derrière soi." Et l’on s’en souviendra comme d’un être qui a toujours rigolé et prié en pensant à l’intemporalité.
Un Début Prometteur, Nicolas Rey
Ed. Au Diable Vauvert
206 pages, 15€
Par J.L.N. et Ariel Kenig
Zone Littéraire correspondant
Un début prometteur
Nicolas Rey
Ed.
0 p / 0 €
ISBN: 2846260451
"D'habitude, c'est drôle, mais lorsqu'on m'écrit, je ne ressens rien." Chroniqueur-journaliste-écrivain, séducteur nonchalant, il est de ces élégants pressés de mourir qui ne prennent pas le temps de recevoir. Rey, roi de tendres et âcres nuits toujours très parisiennes, se fiche au fond pas mal de ce que certaines langues peuvent penser de ses lettres de noblesse littéraires. Il préfère construire, même des châteaux de sable parce que c’est de toute façon plus poétique et plus rapide, donner et écrire, provoquer sans prétendre apporter de pierre révolutionnaire quelconque à un édifice qui n’est fait que de papier.
Après Treize minutes, Mémoire courte était attendu : il a couronné son jeune auteur. Puis le troisième, avec entre-temps le Figaro, Cultures et Dépendances, Zurban, le Flore… L’important n'est pas où, ni combien, ni en quelle année. On le sait, Nicolas a du talent même s'il fait partie de ces branchés pas toujours très audacieux ; non, l’essentiel est plutôt dans le condensé de ces trois livres : cette métaphore filée qui semble retracer l’évolution d’un être que le sourire en coin ne quitte pas un seul instant. Sourit-il encore, Nicolas ?
Si jeune et déjà sur la voie d’une "sagesse" qui ne trompe personne, espiègle et malgré tout pourvu d’une faculté de recul sur soi. Bien que brille dans ses prunelles le souvenir des mutineries passées, il parvient à nous troubler, ce prince qui a troqué la chevelure glamour pour celle, parsemée de mèches blanches, du roi courtisé et plein d’assurance. Car si cet archimondain jolipunk a largement festoyé, on sent dans son corps fatigué et expérimenté une douleur des plus fatales et contemporaines : celle qui ressent l’âge défiler. Nostalgie, mais grâce et quiétude pour encaisser les années qui volent, pour apprendre à aimer la naïveté et la fraîcheur des débuts. Son dos voûté abrite de grandes admirations adolescentes : Céline, Mc Inerney, Salinger ou Dustan, "quand il écrivait encore de beaux bouquins". Est-ce à dire que le plus beau livre serait le premier ?
Que dit-il du troisième donc ? D’abord, il a tout compris à la littérature : il remercie. Nicolas Rey remercie Eric Laurrent, son correcteur. "Il m’a évité la catastrophe. Quand on a la tête dans un texte, on finit par ne plus voir les erreurs, les conneries. Et dans Un début prometteur (titre du 3e, ndlr) il y en avait ! Eric ne mâche pas ses mots, mais il a raison d’être sévère…"
Ce qu’en disent les autres ? On est forcé de constater que les bonnes critiques s'amoncellent, louant la progression du petit auteur qui, d’une voix très personnelle, a fini par débusquer ses propres accents, sincères, empreints de métamorphose. Treize Minutes et Mémoire Courte ne s'oublient pas, bien sûr : la force de la vingtaine, les pleurs attendrissants d'un jeune homme pas méchant. "Je commençais à chialer pour un rien. Dès que je voyais un type aux cheveux blancs dans la rue, par exemple. Je pensais à mon père. Mon père est un type bien. [...] Mon père a tellement d'amour pour nous que l'on pourrait vivre encore pendant des siècles entiers". Mais deux ans après, Nicolas Rey, la plume plus forte et le cheveu plus ténu, reviennent en force. Avec une pertinence d’autant plus robuste qu’elle s’est débarrassée des prétentions de la vingtaine.
Paradoxalement, cette plus grande maturité nous parvient énoncée et vécue dans la peau d’un lycéen, Henri, qui observe le monde des adultes et celui de son frère Martin en particulier. Martin vient de se faire larguer par la femme de sa vie dont il attendait un enfant, et revient complètement ruiné vivre dans la maison familiale – pardon, dans une caravane au fond du jardin. Le père, quitté par le pathétique stéréotype de l’éternelle gamine de plus de quarante ans qu’était son épouse, a fait une croix sur sa virilité et pleure de ne plus savoir que répondre à ses fils. Lassitude et désillusions, le navire coule joyeusement – un sentiment de déjà vu chez Nicolas Rey –, mais cette fois les rats ne s’en vont plus. Voilà peut-être la seule chose que l’on retiendra de ce roman de noyade drôle et désespérée : les rats ne quittent pas toujours le navire. Ainsi ce narrateur-spectateur, ce personnage bien atteint par la vie et à priori plus fragile car plus jeune, console les précédents et consolide ses aînés. En bref, le regard adulte d’un enfant sur les gamineries des adultes. En bref, l’âge est une foutaise.
A travers cette histoire de rôles inversés, il semble que la métamorphose, observable depuis l’extérieur, soit validée par la signature du concerné. Qui se serait résolu à regarder le monde, à être grand, à rester fort car on le devient plus rarement. A Paris, là où "le plus surprenant reste les quelques personnes qui arrivent encore à s'endormir sans barrette de Lexomil", il a trouvé le courage de continuer. Mais qu’est-ce qui a changé ? On ne saurait trouver d’exemple réellement explicite. Barrettes de strass, séances de baise, alcool continu, et la "fatigue" comme "moindre des choses"… Nicolas Rey pense qu’il devrait probablement se calmer même si après tout, ça n'est pas nécessaire – et il change, tout en changeant peu. Cramer son encre avant qu'elle ne sèche, ce n'est rien d'autre que du romantisme. Nicolas ne s'en excuse pas, c’est un vrai romantique qui en crèvera sans doute.
"Encore ? Et puis quoi encore ?" Page dans Voici, gueule sur écran, soirées parisiennes... "Encore ? Et puis quoi encore ?" Des mimiques.
Increvable, Nicolas. "Au fond, les pauvres, les bêtes, les animaux, les réfractaires, la belle et dangereuse moitié du monde." Au fond, le fauve, le prêtre, le char d'assaut, l'air d'un killer, la belle et dangereuse moitié du mensonge. Au fond de lui, un souffle. Jusqu'à ce que les lumières s'éteignent. Car en effet, un jour, Nicolas Rey va mourir. Normalement. Ni crash ni overdose. Sans rock. Et nous resterons sans doute indécemment frustrés. Et ce jour-là, il faudra apprendre à aimer la grâce qu'il aura éparpillée, toute sa vie. Et parce qu'il mérite un lieu tranquille, on l'enfouira à Montmartre. "Le repos est important lorsque la jeunesse est derrière soi." Et l’on s’en souviendra comme d’un être qui a toujours rigolé et prié en pensant à l’intemporalité.
Un Début Prometteur, Nicolas Rey
Ed. Au Diable Vauvert
206 pages, 15€
Par J.L.N. et Ariel Kenig
Zone Littéraire correspondant
Un début prometteur
Nicolas Rey
Ed.
0 p / 0 €
ISBN: 2846260451
Last modified onjeudi, 22 avril 2010 19:55
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