Les dessous du livre : Serge Safran, éditions Zulma.
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Les éditions Zulma n’ont pas comme tant d’autres colonisé le 6ème arrondissement. Elles se sont installées depuis 2000 dans le 8ème, Bd Haussmann, un rez-de-chaussée donnant directement sur rue. Si discrètes qu’on rate souvent l’entrée. Du trottoir, on distingue une partie de l’équipe qui se tient là dans une atmosphère studieuse. Serge Safran, le directeur littéraire, est au fond, dans un petit bureau débordant de livres, de cartons et de papiers. Après avoir partagé un Russian Earl Grey, une certaine intimité s’installe.
Comment est née l’aventure Zulma ?
J’étais à l’origine enseignant en lettres, parallèlement j’ai écrit, publié de la poésie, un récit de voyage, un essai, je me suis occupé d’une revue, puis d’auteurs, enfin j’ai beaucoup travaillé pour la maison d’édition Le Castor Astral. Zulma a été co-fondé par Laure Leroy et moi en 1991. Notre SA est indépendante aussi bien d’un point de vue financier qu’éditorial.
Quant au nom Zulma, il est tiré du titre d’un poème de Tristan Corbière, A la mémoire de Zulma, l’histoire d’une fille qui a mal tourné. Les noms de nos collections en sont également extraits. Nous cherchions un prénom féminin et Zulma était un prénom courant au 19ème, Balzac avait une correspondante qui s’appelait Zulma Careau, on le trouve aussi chez Crébillon, il est probablement d’origine orientale. La composition même du nom a quelque chose de magique, puisqu’il commence par la dernière lettre de l’alphabet et finit par la première : ce jeu interne a fait sens pour nous.
Quel est le principe de votre collection Grain d’orage ?
La collection Grain d’orage est constituée de textes atypiques hors-fiction, des essais, des pamphlets... Un concours de circonstances nous a poussé à créer cette collection : au même moment, nous disposions de plusieurs manuscrits de qualité n’entrant dans aucune catégorie éditoriale, notamment Lettres de motivation de Laurent Mercier, qui avait été refusé par une vingtaine de maisons, parce que le texte était considéré comme trop court. Pour nous, le texte se suffisait à lui-même, il ne nécessitait pas de rajouts. Puisque le livre ne s’adaptait pas aux normes, nous en avons créées de nouvelles, se mettant au service du texte et non l’inverse. Un de nos gros succès est L’Art de la sieste de Thierry Paquot. C’est une collection particulièrement ouverte qui va des mots croisés (Georges Perec, Michel Laclos) à un essai comme L’invention du boudoir de Michel Delon, de questions très pointues à d’autres franchement ludiques, les unes n’excluant pas les autres.
Vous avez aussi une collection consacrée à la littérature coréenne : c’est une passion personnelle ?
A la création de Zulma, nous avions, en dehors de la littérature proprement dite, deux collections, Hors Barrière pour les récits de voyage et Vierge Folle pour les textes érotiques. Hors Barrière publiait des œuvres de voyageurs écrivains, c’est-à-dire de gens, en général cultivés, qui avaient vécu des aventures passionnantes et qui savaient les retranscrire, surtout au 18ème et 19ème siècles. L’un deux, Georges Ducrocq, a ainsi écrit un texte intitulé Pauvre et douce Corée qui avait fait scandale à l’époque, car c’était un des premiers à avoir dit du bien des Coréens, à ne pas les avoir assimilés à des sauvages. Ce très beau livre sur la Corée, proche des récits de Loti et annonçant aussi Marcel Proust, nous a été présenté par deux personnes alors en poste à Séoul, Frédéric Boulesteix et Jean-Noël Juttet. Ces deux hommes, étant aussi traducteurs, nous ont fait découvrir d’autres textes coréens et, de fil en aiguille, nous en sommes venus à créer une collection spécifiquement consacrée à la littérature de ce pays. Aujourd’hui, nous sommes l’éditeur publiant le plus de textes coréens en langue étrangère au monde. Il y a un très beau travail à accomplir, notamment pour faire découvrir aux Français de grands auteurs jusqu’alors jamais traduits ici, comme Hwang Sok-Yong, dont on publie L’Invité en septembre. Le développement de cette collection s’est fait parallèlement à celui de la littérature étrangère depuis quelques années. A l’origine, nous voulions surtout faire de la littérature française mais c’est un secteur difficile, largement occupé par de nombreux éditeurs. Alors, même si nous en publions toujours, nous essayons en même temps de nous faire une place dans le domaine étranger (à l’exception du domaine anglo-saxon, déjà trusté !), en exploitant, comme on dit, des « niches », telles des textes sardes, comme le Facteur de Pirakerfa de Salvatore Niffoi qui paraît en août, ou bengali. Nous traduisons toujours directement de la langue originale au français.
On annonce plus de 650 romans à la rentrée : comment se positionne Zulma ?
Quand on travaille dans l’édition, qu’on soit d’accord ou pas, on ne peut pas ne pas tenir compte du rythme donné à la vie du livre. On doit le considérer même si on n’est pas obligé de s’y plier. Dans notre cas, nous publions un seul roman français, Orkhidos de Stéphane Héaume, dont le premier roman avait été remarqué, récompensé par le prix Giono et le prix Roblès. Nous ne faisons donc rien de particulier sous prétexte qu’il s’agit de la rentrée littéraire. L’année dernière par exemple, nous avions deux titres pas particulièrement formatés pour la rentrée, Sous les bombes de Gert Ledig, un écrivain allemand quasi inconnu, l’autre était un roman noir de Pascal Garnier, Les Hauts du bas, qui ne rentrait donc pas du tout dans la catégorie des romans à prix. Or ces deux livres ont été très bien accueillis par la presse et ont bien marché au niveau du public. Ils sont la preuve qu’on peut traverser une rentrée littéraire sans forcément accentuer sa production sur cet événement. Chez Zulma, nous travaillons normalement, au mieux, et puis… vogue la galère !
Vous avez créé une collection de poche en janvier dernier : pas trop risqué ?
Nous avions ce projet depuis longtemps. Il y a trois objectifs : remettre en circuit à un prix plus intéressant des livres qui ont bien marché mais qui sont aujourd’hui épuisés, par exemple Mary Pirate de Ella Balaert ; reprendre des titres épuisés chez les autres éditeurs d’auteurs que l’on défend, que l’on publie aussi comme c’est le cas d’Hubert Haddad avec La Belle Rémoise ; enfin republier des œuvres d’auteurs qui n’ont pas publié chez Zulma, comme Le Visage effleuré de peine de Gisèle Prassinos ou qui appartiennent au domaine public (Les Goncourt, Verne…). Dans ce dernier cas, il y a toujours un risque de se retrouver en concurrence avec un plus gros éditeur, qui peut faire un livre encore moins cher.
En définitive, nous voulons à la fois continuer à faire vivre les livres des auteurs maison mais aussi élargir le catalogue à des textes qu’il n’aurait pas été possible de faire paraître en grand format. Le Goncourt que nous publions en octobre, La Fille Elisa, comporte un chapitre inédit, qu’Edmond n’avait pas osé insérer par peur de la censure, car il se passe dans un bordel, évoquant le saphisme, le sadisme... Evidemment aujourd’hui cela fait sourire ! Il y a toujours un vrai travail éditorial, ici l’établissement du texte, le chapitre inédit, une post-face d’un spécialiste, Pierre-Jean Dufief : on essaie de remettre au goût du jour ce type d’auteurs. Avec Nana, Boule de Suif, c’est un texte important du 19ème consacré à la prostitution et il est dommage qu’il soit si méconnu.
Comment choisissez-vous les textes ?
Dans notre travail, il y a d’abord bien sûr la réception des manuscrits. On en reçoit environ une dizaine par jour, ce qui est beaucoup pour une maison de notre taille. Nous sommes plusieurs à lire. On trouve parfois des choses bien, ainsi récemment un premier roman que nous publierons l’année prochaine. Quand ce type de trouvaille a lieu, nous nous informons sur l’auteur, nous lui demandons d’autres textes. Il nous arrive parfois d’être en concurrence avec d’autres éditeurs (et non des moindres) et là, c’est le contact avec l’auteur qui entre en jeu, savoir ce qu’il propose derrière le texte présenté. Par exemple, le premier roman que nous avions publié de Stéphane Héaume n’est pas celui qu’il nous avait envoyé : quand nous l’avons rencontré, il nous a apporté d’autres manuscrits et nous avons vu alors qu’il avait un univers, une écriture… Souvent, des manuscrits sont tout à fait bien en première lecture mais, renseignements pris, ils sont à 80% autobiographiques et il n’y aura rien derrière. Chez Zulma, nous cherchons vraiment à faire une politique d’auteur, donc à trouver des écrivains sur la durée.
Au début d’ailleurs, c’était difficile car les auteurs qui nous plaisaient avaient déjà leurs éditeurs ! Maintenant, certains écrivains viennent spontanément nous voir. La collection érotique dont le principe était un texte unique par auteur, nous a permis d’avoir de jolies signatures qui du coup sont parfois restées pour d’autres livres. Enfin, nous avons plusieurs auteurs comme Garnier, Hennig, Buisine, Haddad, qui ont une grosse production qu’ils partagent entre Zulma et d’autres éditeurs. Nous avons donc un triple système de choix : les manuscrits reçus par la poste, les gens que nous aimerions publier et que nous sollicitons, enfin les propositions qu’on nous fait régulièrement.
Depuis quelque temps, intervient pour nous la principale difficulté : on ne peut pas augmenter le nombre de livres or le nombre de propositions s’accroît. On finit par ne plus avoir de place, alors que nous devons aussi proposer de nouveaux noms… un cercle infernal !
Nous avons souvent des propositions de textes venant de journalistes : s’il y en a qui ont vraiment du talent, il ne faut tout de même pas croire qu’être journaliste équivaut à être écrivain. De la même manière, ce n’est pas parce qu’on écrit que l’on est un auteur, surtout au regard des publications actuelles. Moi, je suis fasciné par le nombre de gens qui écrivent : ceci étant, au moins, pendant ce temps, ils ne font de mal à personne !
Que pensez-vous de la rentrée 2004 ?
A chaque rentrée, je lis attentivement les programmes des éditeurs mais ce que j’en retire ne sont que des impressions, je ne prétends pas savoir ce qui vaut ou pas le coup si je ne l’ai pas lu. En revanche, je pense qu’il y a beaucoup de choses médiocres ! Ce qu’on voit au fil du temps - un des rares bénéfices de l’âge ! – c’est que certains noms, des écrivains assez moyens, finissent par arriver en tête des « attendus », simplement parce qu’il n’y en a pas d’autres… C’est plutôt dommage. Pour moi, trop de livres sont publiés alors que beaucoup ne devraient pas l’être. C’est la loi du marché. Un gros éditeur va parfois faire des premiers romans moins par conviction que parce qu’il le faut. Il y a une telle production, une telle multiplication des éditeurs également qu’un manuscrit refusé d’un côté sera accepté de l’autre. Il faut essayer de se repérer dans cette masse. Des auteurs qui vendent bien ont un devoir de publication même s’ils peuvent perdre en qualité. Je ne veux pas cependant paraître trop pessimiste et on peut toujours espérer que de nouveaux talents finiront par émerger, indépendamment des inévitables « produits » à la mode du jour.
Il n’y a que le temps qui permet de départager le talent. On peut redécouvrir des auteurs comme au contraire, en enterrer d’autres. Heureusement, les livres eux,ne meurent pas.
Maïa Gabily
Serge Safran
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Comment est née l’aventure Zulma ?
J’étais à l’origine enseignant en lettres, parallèlement j’ai écrit, publié de la poésie, un récit de voyage, un essai, je me suis occupé d’une revue, puis d’auteurs, enfin j’ai beaucoup travaillé pour la maison d’édition Le Castor Astral. Zulma a été co-fondé par Laure Leroy et moi en 1991. Notre SA est indépendante aussi bien d’un point de vue financier qu’éditorial.
Quant au nom Zulma, il est tiré du titre d’un poème de Tristan Corbière, A la mémoire de Zulma, l’histoire d’une fille qui a mal tourné. Les noms de nos collections en sont également extraits. Nous cherchions un prénom féminin et Zulma était un prénom courant au 19ème, Balzac avait une correspondante qui s’appelait Zulma Careau, on le trouve aussi chez Crébillon, il est probablement d’origine orientale. La composition même du nom a quelque chose de magique, puisqu’il commence par la dernière lettre de l’alphabet et finit par la première : ce jeu interne a fait sens pour nous.
Quel est le principe de votre collection Grain d’orage ?
La collection Grain d’orage est constituée de textes atypiques hors-fiction, des essais, des pamphlets... Un concours de circonstances nous a poussé à créer cette collection : au même moment, nous disposions de plusieurs manuscrits de qualité n’entrant dans aucune catégorie éditoriale, notamment Lettres de motivation de Laurent Mercier, qui avait été refusé par une vingtaine de maisons, parce que le texte était considéré comme trop court. Pour nous, le texte se suffisait à lui-même, il ne nécessitait pas de rajouts. Puisque le livre ne s’adaptait pas aux normes, nous en avons créées de nouvelles, se mettant au service du texte et non l’inverse. Un de nos gros succès est L’Art de la sieste de Thierry Paquot. C’est une collection particulièrement ouverte qui va des mots croisés (Georges Perec, Michel Laclos) à un essai comme L’invention du boudoir de Michel Delon, de questions très pointues à d’autres franchement ludiques, les unes n’excluant pas les autres.
Vous avez aussi une collection consacrée à la littérature coréenne : c’est une passion personnelle ?
A la création de Zulma, nous avions, en dehors de la littérature proprement dite, deux collections, Hors Barrière pour les récits de voyage et Vierge Folle pour les textes érotiques. Hors Barrière publiait des œuvres de voyageurs écrivains, c’est-à-dire de gens, en général cultivés, qui avaient vécu des aventures passionnantes et qui savaient les retranscrire, surtout au 18ème et 19ème siècles. L’un deux, Georges Ducrocq, a ainsi écrit un texte intitulé Pauvre et douce Corée qui avait fait scandale à l’époque, car c’était un des premiers à avoir dit du bien des Coréens, à ne pas les avoir assimilés à des sauvages. Ce très beau livre sur la Corée, proche des récits de Loti et annonçant aussi Marcel Proust, nous a été présenté par deux personnes alors en poste à Séoul, Frédéric Boulesteix et Jean-Noël Juttet. Ces deux hommes, étant aussi traducteurs, nous ont fait découvrir d’autres textes coréens et, de fil en aiguille, nous en sommes venus à créer une collection spécifiquement consacrée à la littérature de ce pays. Aujourd’hui, nous sommes l’éditeur publiant le plus de textes coréens en langue étrangère au monde. Il y a un très beau travail à accomplir, notamment pour faire découvrir aux Français de grands auteurs jusqu’alors jamais traduits ici, comme Hwang Sok-Yong, dont on publie L’Invité en septembre. Le développement de cette collection s’est fait parallèlement à celui de la littérature étrangère depuis quelques années. A l’origine, nous voulions surtout faire de la littérature française mais c’est un secteur difficile, largement occupé par de nombreux éditeurs. Alors, même si nous en publions toujours, nous essayons en même temps de nous faire une place dans le domaine étranger (à l’exception du domaine anglo-saxon, déjà trusté !), en exploitant, comme on dit, des « niches », telles des textes sardes, comme le Facteur de Pirakerfa de Salvatore Niffoi qui paraît en août, ou bengali. Nous traduisons toujours directement de la langue originale au français.
On annonce plus de 650 romans à la rentrée : comment se positionne Zulma ?
Quand on travaille dans l’édition, qu’on soit d’accord ou pas, on ne peut pas ne pas tenir compte du rythme donné à la vie du livre. On doit le considérer même si on n’est pas obligé de s’y plier. Dans notre cas, nous publions un seul roman français, Orkhidos de Stéphane Héaume, dont le premier roman avait été remarqué, récompensé par le prix Giono et le prix Roblès. Nous ne faisons donc rien de particulier sous prétexte qu’il s’agit de la rentrée littéraire. L’année dernière par exemple, nous avions deux titres pas particulièrement formatés pour la rentrée, Sous les bombes de Gert Ledig, un écrivain allemand quasi inconnu, l’autre était un roman noir de Pascal Garnier, Les Hauts du bas, qui ne rentrait donc pas du tout dans la catégorie des romans à prix. Or ces deux livres ont été très bien accueillis par la presse et ont bien marché au niveau du public. Ils sont la preuve qu’on peut traverser une rentrée littéraire sans forcément accentuer sa production sur cet événement. Chez Zulma, nous travaillons normalement, au mieux, et puis… vogue la galère !
Vous avez créé une collection de poche en janvier dernier : pas trop risqué ?
Nous avions ce projet depuis longtemps. Il y a trois objectifs : remettre en circuit à un prix plus intéressant des livres qui ont bien marché mais qui sont aujourd’hui épuisés, par exemple Mary Pirate de Ella Balaert ; reprendre des titres épuisés chez les autres éditeurs d’auteurs que l’on défend, que l’on publie aussi comme c’est le cas d’Hubert Haddad avec La Belle Rémoise ; enfin republier des œuvres d’auteurs qui n’ont pas publié chez Zulma, comme Le Visage effleuré de peine de Gisèle Prassinos ou qui appartiennent au domaine public (Les Goncourt, Verne…). Dans ce dernier cas, il y a toujours un risque de se retrouver en concurrence avec un plus gros éditeur, qui peut faire un livre encore moins cher.
En définitive, nous voulons à la fois continuer à faire vivre les livres des auteurs maison mais aussi élargir le catalogue à des textes qu’il n’aurait pas été possible de faire paraître en grand format. Le Goncourt que nous publions en octobre, La Fille Elisa, comporte un chapitre inédit, qu’Edmond n’avait pas osé insérer par peur de la censure, car il se passe dans un bordel, évoquant le saphisme, le sadisme... Evidemment aujourd’hui cela fait sourire ! Il y a toujours un vrai travail éditorial, ici l’établissement du texte, le chapitre inédit, une post-face d’un spécialiste, Pierre-Jean Dufief : on essaie de remettre au goût du jour ce type d’auteurs. Avec Nana, Boule de Suif, c’est un texte important du 19ème consacré à la prostitution et il est dommage qu’il soit si méconnu.
Comment choisissez-vous les textes ?
Dans notre travail, il y a d’abord bien sûr la réception des manuscrits. On en reçoit environ une dizaine par jour, ce qui est beaucoup pour une maison de notre taille. Nous sommes plusieurs à lire. On trouve parfois des choses bien, ainsi récemment un premier roman que nous publierons l’année prochaine. Quand ce type de trouvaille a lieu, nous nous informons sur l’auteur, nous lui demandons d’autres textes. Il nous arrive parfois d’être en concurrence avec d’autres éditeurs (et non des moindres) et là, c’est le contact avec l’auteur qui entre en jeu, savoir ce qu’il propose derrière le texte présenté. Par exemple, le premier roman que nous avions publié de Stéphane Héaume n’est pas celui qu’il nous avait envoyé : quand nous l’avons rencontré, il nous a apporté d’autres manuscrits et nous avons vu alors qu’il avait un univers, une écriture… Souvent, des manuscrits sont tout à fait bien en première lecture mais, renseignements pris, ils sont à 80% autobiographiques et il n’y aura rien derrière. Chez Zulma, nous cherchons vraiment à faire une politique d’auteur, donc à trouver des écrivains sur la durée.
Au début d’ailleurs, c’était difficile car les auteurs qui nous plaisaient avaient déjà leurs éditeurs ! Maintenant, certains écrivains viennent spontanément nous voir. La collection érotique dont le principe était un texte unique par auteur, nous a permis d’avoir de jolies signatures qui du coup sont parfois restées pour d’autres livres. Enfin, nous avons plusieurs auteurs comme Garnier, Hennig, Buisine, Haddad, qui ont une grosse production qu’ils partagent entre Zulma et d’autres éditeurs. Nous avons donc un triple système de choix : les manuscrits reçus par la poste, les gens que nous aimerions publier et que nous sollicitons, enfin les propositions qu’on nous fait régulièrement.
Depuis quelque temps, intervient pour nous la principale difficulté : on ne peut pas augmenter le nombre de livres or le nombre de propositions s’accroît. On finit par ne plus avoir de place, alors que nous devons aussi proposer de nouveaux noms… un cercle infernal !
Nous avons souvent des propositions de textes venant de journalistes : s’il y en a qui ont vraiment du talent, il ne faut tout de même pas croire qu’être journaliste équivaut à être écrivain. De la même manière, ce n’est pas parce qu’on écrit que l’on est un auteur, surtout au regard des publications actuelles. Moi, je suis fasciné par le nombre de gens qui écrivent : ceci étant, au moins, pendant ce temps, ils ne font de mal à personne !
Que pensez-vous de la rentrée 2004 ?
A chaque rentrée, je lis attentivement les programmes des éditeurs mais ce que j’en retire ne sont que des impressions, je ne prétends pas savoir ce qui vaut ou pas le coup si je ne l’ai pas lu. En revanche, je pense qu’il y a beaucoup de choses médiocres ! Ce qu’on voit au fil du temps - un des rares bénéfices de l’âge ! – c’est que certains noms, des écrivains assez moyens, finissent par arriver en tête des « attendus », simplement parce qu’il n’y en a pas d’autres… C’est plutôt dommage. Pour moi, trop de livres sont publiés alors que beaucoup ne devraient pas l’être. C’est la loi du marché. Un gros éditeur va parfois faire des premiers romans moins par conviction que parce qu’il le faut. Il y a une telle production, une telle multiplication des éditeurs également qu’un manuscrit refusé d’un côté sera accepté de l’autre. Il faut essayer de se repérer dans cette masse. Des auteurs qui vendent bien ont un devoir de publication même s’ils peuvent perdre en qualité. Je ne veux pas cependant paraître trop pessimiste et on peut toujours espérer que de nouveaux talents finiront par émerger, indépendamment des inévitables « produits » à la mode du jour.
Il n’y a que le temps qui permet de départager le talent. On peut redécouvrir des auteurs comme au contraire, en enterrer d’autres. Heureusement, les livres eux,ne meurent pas.
Maïa Gabily
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Last modified onjeudi, 04 juin 2009 22:12
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