L’homme que l’on prenait pour Joël Egloff
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Lorsque l’on rencontre Joël Egloff, on se retrouve face à Mon Oncle de Jacques Tati, le chapeau et la pipe en moins. Trop grand, trop gentil, trop timide, Joël Egloff parle comme il écrit, tout en retenue et délicatesse, sans se départir d’un léger sourire et de son aménité.
Il est de ces personnages qui semblent se fondre dans le paysage et qui pourtant marquent durablement leur époque. Lauréat du Prix du Livre Inter en 2005 pour son roman, L’étourdissement, il a su se concilier un lectorat de fidèles qui suivent son travail avec attention. Dans son dernier roman, L’homme que l’on prenait pour un autre, il brosse avec humour, tendresse et gravité le portrait d’un homme dont la particularité est d’être toujours pris pour un autre, au détriment de ce qu’il est. Exercice littéraire ou roman métaphysique ?
Lorsqu’on lit votre livre, on ne sait pas vraiment qui est le héros. Peut-on savoir qui est l’auteur ?
L’auteur est malgré tout assez proche du narrateur. Disons que l’auteur, à l’image de son héros, se cherche. Je suis un peu moins perdu, enfin, je l’espère, mais je n’en suis pas sûr. Ce qui était intéressant, c’était de définir un personnage. Le jeu était de dire qu’il s’agit de tout le monde et personne à la fois. J’avais en tête l’idée que les identités du narrateur allaient être fluctuantes au gré des rencontres…
Donc on ne saura pas qui est l’auteur….
Oui, c’est vrai que j’esquive un peu la question. Il faudrait beaucoup de temps pour définir qui est l’auteur. Je ne sais pas vraiment…
Cela vous est arrivé souvent d’être pris pour un autre ?
Pas forcément. Ce qui m’arrive, c’est le sentiment troublant de penser reconnaître un visage, de rencontrer des gens que je ne connais pas tout en ressentant une émotion qui n’a pas lieu d’être.
A un moment du récit, le héros se trompe de porte et de vie. Il y a chez vous un questionnement sur les choix possibles de l’existence ?
Oui, malgré tout, mais jamais aussi fort que sous cette forme là. « Qui suis-je ? » est une question que je me pose souvent. Mais cela n’est pas forcément une remise en question des chemins que j’ai pu choisir. Là, en l’occurrence, c’est un personnage qui ne s’est pas trouvé, qui ne sait pas qui il est. Donc il se cherche en partant de quasiment rien. Les questions de l’identité me préoccupent : Quelle est ma place ? Est-ce que je me connais vraiment ? Est-ce que j’existe ? Qu’est ce qui fait qu’on est ce qu’on est ? A quel point existe-on à travers le regard des autres ? Qui me connaît vraiment …?
On peut parler de roman métaphysique ?
Oui, en toile de fond.
Est-ce un roman qui dénonce une société formatée où nous sommes tous semblables et sans identité ?
Oui. Réussir à s’affirmer en tant qu’être singulier est difficile. Du moins, cela est valable si l’on place le livre dans un contexte contemporain. C’est un vrai challenge.
Le héros a tout de même des singularités, notamment à travers le personnage de sa grand-mère.
En fait, lui-même ne sait pas vraiment qui elle est. Probablement une grande-tante, il finit même par se demander si ce n’est pas sa mère. Ce personnage est le seul à le reconnaître pour ce qu’il est, qui lui donne sa vraie personnalité. C’est quelqu’un qui va l’ancrer dans la réalité, qui est vraiment une bouée pour lui. Même en attendant le débarquement des américains plus de cinquante ans après les faits, elle sait qui il est. Ce sera à partir du moment où elle ne le reconnaîtra plus qu’il perdra pied dans la réalité. C’est un moment clef du roman.
Humour noir, absurde et fragilité de l’être. C’est votre trilogie gagnante ?
En tout cas, c’est ma manière de voir les choses, le filtre à travers lequel je perçois le monde. L’humour est un excellent moyen d’aborder certains thèmes avec distance. C’est aussi une manière de se défendre, la seule peut-être, de résister au dramatique. Mais tout cela est vraiment instinctif. Quand je commence un livre je ne sais pas trop quelle va être sa couleur. En fait, c’est toujours la même approche car c’est toujours le même auteur.
Après relecture, vous avez pensé que c’était un livre triste ou un livre drôle ?
Je me suis rendu compte qu’il y avait des passages où l’on pouvait rire. En même temps, je suis content quand mes lecteurs me disent avoir été tristes, troublés ou atteints. Il est important que les deux aspects coexistent. C’est une alternance gai/sombre qui me correspond bien et qui renvoit également à la vie de tous les jours. Si quelqu’un me dit qu’il a perçu cet équilibre là, je suis pleinement satisfait.
C’est une problématique importante pour vous le poids de la fatalité, « l’étourdissement » de la vie ?
Je ne saurais pas vraiment dire. Dans le contexte du livre, on est entre la résignation suprême et l’élan vers une nouvelle vie. Je n’ai pas tranché. Ce que je sais, c’est qu’il y a perte complète d’identité. Pour en trouver une autre ? Je ne sais pas. Comme dans
L’étourdissement, les choses ne se finissent pas.
Il y a dans vos livres un attachement aux « gentils », ces doux dingues qui rappellent M. Hulot. C’est une réelle influence ?
On ne sait pas quelles sont vraiment nos influences mais il est certain que j’aime beaucoup Tati. Je sui réceptif à ce genre d’univers mais aussi à des choses plus dures comme Beckett ou Céline. C’est comme si ces deux aspects là coexistaient en moi et s’extériorisaient à travers mes romans.
Le prix inter, ça change la façon d’écrire et de voir les choses ?
J’espère que non. Il ne faudrait pas en tout cas. Ca donne une énergie, une confiance. C’est évidemment très bienvenue à tous points de vue. L’idéal serait que ça n’influence en rien le parcours de l’écriture. Le temps a passé entre le moment où j’ai reçu le prix et le moment où j’ai commencé l’écriture de ce livre. Je pense qu’il n’aurait pas fallu écrire dans les six mois qui ont suivi le prix.
Une question que je n’ai pas posée à laquelle vous voudriez répondre ?
J’écris directement à l’ordinateur.
Propos recueillis par Maixent Puglesi
L’homme que l’on prenait pour un autre, Joel Egloff, Buchet Chastel
Zone Littéraire correspondant
L’homme que l’on prenait pour un autre
Joël Egloff
Ed. Buchet Chastel
0 p / 0 €
ISBN:
Il est de ces personnages qui semblent se fondre dans le paysage et qui pourtant marquent durablement leur époque. Lauréat du Prix du Livre Inter en 2005 pour son roman, L’étourdissement, il a su se concilier un lectorat de fidèles qui suivent son travail avec attention. Dans son dernier roman, L’homme que l’on prenait pour un autre, il brosse avec humour, tendresse et gravité le portrait d’un homme dont la particularité est d’être toujours pris pour un autre, au détriment de ce qu’il est. Exercice littéraire ou roman métaphysique ?
Lorsqu’on lit votre livre, on ne sait pas vraiment qui est le héros. Peut-on savoir qui est l’auteur ?
L’auteur est malgré tout assez proche du narrateur. Disons que l’auteur, à l’image de son héros, se cherche. Je suis un peu moins perdu, enfin, je l’espère, mais je n’en suis pas sûr. Ce qui était intéressant, c’était de définir un personnage. Le jeu était de dire qu’il s’agit de tout le monde et personne à la fois. J’avais en tête l’idée que les identités du narrateur allaient être fluctuantes au gré des rencontres…
Donc on ne saura pas qui est l’auteur….
Oui, c’est vrai que j’esquive un peu la question. Il faudrait beaucoup de temps pour définir qui est l’auteur. Je ne sais pas vraiment…
Cela vous est arrivé souvent d’être pris pour un autre ?
Pas forcément. Ce qui m’arrive, c’est le sentiment troublant de penser reconnaître un visage, de rencontrer des gens que je ne connais pas tout en ressentant une émotion qui n’a pas lieu d’être.
A un moment du récit, le héros se trompe de porte et de vie. Il y a chez vous un questionnement sur les choix possibles de l’existence ?
Oui, malgré tout, mais jamais aussi fort que sous cette forme là. « Qui suis-je ? » est une question que je me pose souvent. Mais cela n’est pas forcément une remise en question des chemins que j’ai pu choisir. Là, en l’occurrence, c’est un personnage qui ne s’est pas trouvé, qui ne sait pas qui il est. Donc il se cherche en partant de quasiment rien. Les questions de l’identité me préoccupent : Quelle est ma place ? Est-ce que je me connais vraiment ? Est-ce que j’existe ? Qu’est ce qui fait qu’on est ce qu’on est ? A quel point existe-on à travers le regard des autres ? Qui me connaît vraiment …?
On peut parler de roman métaphysique ?
Oui, en toile de fond.
Est-ce un roman qui dénonce une société formatée où nous sommes tous semblables et sans identité ?
Oui. Réussir à s’affirmer en tant qu’être singulier est difficile. Du moins, cela est valable si l’on place le livre dans un contexte contemporain. C’est un vrai challenge.
Le héros a tout de même des singularités, notamment à travers le personnage de sa grand-mère.
En fait, lui-même ne sait pas vraiment qui elle est. Probablement une grande-tante, il finit même par se demander si ce n’est pas sa mère. Ce personnage est le seul à le reconnaître pour ce qu’il est, qui lui donne sa vraie personnalité. C’est quelqu’un qui va l’ancrer dans la réalité, qui est vraiment une bouée pour lui. Même en attendant le débarquement des américains plus de cinquante ans après les faits, elle sait qui il est. Ce sera à partir du moment où elle ne le reconnaîtra plus qu’il perdra pied dans la réalité. C’est un moment clef du roman.
Humour noir, absurde et fragilité de l’être. C’est votre trilogie gagnante ?
En tout cas, c’est ma manière de voir les choses, le filtre à travers lequel je perçois le monde. L’humour est un excellent moyen d’aborder certains thèmes avec distance. C’est aussi une manière de se défendre, la seule peut-être, de résister au dramatique. Mais tout cela est vraiment instinctif. Quand je commence un livre je ne sais pas trop quelle va être sa couleur. En fait, c’est toujours la même approche car c’est toujours le même auteur.
Après relecture, vous avez pensé que c’était un livre triste ou un livre drôle ?
Je me suis rendu compte qu’il y avait des passages où l’on pouvait rire. En même temps, je suis content quand mes lecteurs me disent avoir été tristes, troublés ou atteints. Il est important que les deux aspects coexistent. C’est une alternance gai/sombre qui me correspond bien et qui renvoit également à la vie de tous les jours. Si quelqu’un me dit qu’il a perçu cet équilibre là, je suis pleinement satisfait.
C’est une problématique importante pour vous le poids de la fatalité, « l’étourdissement » de la vie ?
Je ne saurais pas vraiment dire. Dans le contexte du livre, on est entre la résignation suprême et l’élan vers une nouvelle vie. Je n’ai pas tranché. Ce que je sais, c’est qu’il y a perte complète d’identité. Pour en trouver une autre ? Je ne sais pas. Comme dans
L’étourdissement, les choses ne se finissent pas.
Il y a dans vos livres un attachement aux « gentils », ces doux dingues qui rappellent M. Hulot. C’est une réelle influence ?
On ne sait pas quelles sont vraiment nos influences mais il est certain que j’aime beaucoup Tati. Je sui réceptif à ce genre d’univers mais aussi à des choses plus dures comme Beckett ou Céline. C’est comme si ces deux aspects là coexistaient en moi et s’extériorisaient à travers mes romans.
Le prix inter, ça change la façon d’écrire et de voir les choses ?
J’espère que non. Il ne faudrait pas en tout cas. Ca donne une énergie, une confiance. C’est évidemment très bienvenue à tous points de vue. L’idéal serait que ça n’influence en rien le parcours de l’écriture. Le temps a passé entre le moment où j’ai reçu le prix et le moment où j’ai commencé l’écriture de ce livre. Je pense qu’il n’aurait pas fallu écrire dans les six mois qui ont suivi le prix.
Une question que je n’ai pas posée à laquelle vous voudriez répondre ?
J’écris directement à l’ordinateur.
Propos recueillis par Maixent Puglesi
L’homme que l’on prenait pour un autre, Joel Egloff, Buchet Chastel
Zone Littéraire correspondant
L’homme que l’on prenait pour un autre
Joël Egloff
Ed. Buchet Chastel
0 p / 0 €
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Last modified ondimanche, 19 avril 2009 14:47
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