Rencontre avec Jean Echenoz - Goncourt 1999
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Vous êtes-vous fait à l'idée que depuis 2 ans le Goncourt était attribué à des œuvres de qualité ?
Difficile d'en dire quelques mots avec objectivité… D'ailleurs je me suis peu intéressé à l'actualité des prix littéraires, peut-être un peu plus effectivement depuis 2 ans… Mais d'une manière générale je ne suis pas ce genre d'événements frénétiquement.
Surpris par le Goncourt 2000 ?
Ingrid Caven était très intéressant, et j'ai lu Rose Poussière lorsqu'il est sorti. Je n'ai pas été étonné : mes livres n'avaient pas non plus le profil d'un tel prix, alors pourquoi pas un auteur un peu en marge comme Jean-Jacques Schuhl… D'ailleurs cette orientation est à mon avis plus riche, elle permet une diffusion plus vaste que certaines œuvres pouvaient espérer, justement parce qu'ils n'ont pas un profil que l'on pourrait qualifier d'habituel, c'est-à-dire correspondant à ce que l'on pense que le public attend.
D'accord avec ceux qui vous qualifient comme un auteur "décalé" ?
Je me suis toujours senti un peu en marge de ce qui se fait en littérature aujourd'hui, mais il se trouve que depuis environ vingt ans mes livres ont rencontré un certain public, donc la marge est plutôt confortable. Une sorte de marge à l'envers !
La rentrée littéraire 2000 ?
Je m'intéresse surtout aux auteurs que je connais. Cette année, l'ouvrage qui a retenu mon attention était Parti, de François Salvaing. Un livre " générationnel ", sans doute une des raisons pour lesquelles je m'y suis intéressé. J'ai à peu près le même age que l'auteur qui raconte une époque dont j'ai été le témoin, des événements que j'ai vécus, quoi que sous un angle totalement différent, une actualité que j'ai suivie. On aime à retrouver des questionnements politiques et historiques communs, des regards contemporains sur des points qui suscitent la réflexion.
Le Goncourt 1999 : un tournant pour l'écrivain et l'homme ?
Pas vraiment. Mis à part une ampleur plus grande que le Médicis de Cherokee et le Novembre de Les Grandes Blondes, ainsi qu'une " fétichisation " sociale plus importante pour le Goncourt. J'ai l'ai vécu dans une espèce de continuité un peu surprise ; cette histoire de Goncourt, c'était une planète différente de la mienne… Pas de bouleversement majeur, mis à part l'émotion de constater que mes livres ont alors touché dix fois plus de lecteurs qu'auparavant, que j'étais souvent abordé dans la rue par des inconnus élogieux... Mais mes projets en cours n'ont pas été modifiés. La seule chose qui a changé : j'ai pu agrandir mon appartement. Cela ne se voit pas encore, les travaux n'ont pas commencé…
Et la discrétion dont vous vous entouriez ? Vous êtes-vous senti agressé ?
Pas agressé, mais simplement fatigué, éprouvé par la médiatisation que ce prix engendre. Je suis resté allongé deux jours entiers après pour me reposer ! Et la " fausse " biographie que j'ai fait paraître pour les communiqués de presse n'était pas destinée à dérouter les journalistes et encore moins à se moquer de qui que ce soit, même si cette histoire me suit encore quinze ans après ! On m'avait demandé d'écrire une notice autobiographique. Un piège narcissique dans lequel je ne souhaitais pas tomber : j'ai écrit quatre lignes, ne souhaitant pas exposer certaines choses de ma vie ni commenter mon travail, puis je me suis aperçu que cela n'avait aucun intérêt. Et comme je suis un écrivain de fiction, je me suis servi d'elle et d'une sorte de pudeur pour écrire quelque chose de totalement différent.
Le goût de l'écriture ?
Il m'est venu très jeune, vers dix douze ans. Je ne savais pas du tout la forme qu'il prendrait, presse ou autre ; mais la littérature étant ce qui m'a toujours passionné, c'est naturellement vers elle que je suis allé... Je composais souvent des petits textes, des commencements de fiction, des poèmes comme tout le monde (que j'ai heureusement perdus ! Rires…) et j'avais ébauché un roman épistolaire. Cet apprentissage tendait in fine vers le roman, et mes perspectives et ambitions ont rencontré le besoin urgent de la concrétisation. J'ai alors appris que l'on devait retravailler les premiers jets, revenir sur ce qui vient sous la plume pour lui donner une profondeur et un relief véritable.
Des événements, rencontres ou influences déterminantes ?
Je relis certains écrivains de manière fréquente, tels que Flaubert, Nabokov, Queneau, qui sont pour moi des fenêtres importantes. La rencontre déterminante : mon éditeur. Je souhaitais publier chez Minuit depuis le début.
Vous vous êtes donc immédiatement tourné vers Jérôme Lindon ?
Justement non ! Minuit me semblait tellement sérieuse, rigoureuse… Je n'osais pas leur envoyer mon travail, que j'estimais presque " indigne " d'elle, je pensais que les éditeurs ne l'accepteraient jamais. Je l'ai donc envoyé à toutes les autres maisons d'édition, et ma collection de lettres de refus était telle que j'ai pensé qu'il fallait que j'aie également celle de Minuit. La seule qui n'est pas venue…
Ecrivez-vous pour vous ou pour les autres ?
J'écris pour moi en tant que lecteur. J'écris ce que je souhaiterais lire, espérant que mes vœux en rejoignent d'autres similaires. Je pense que l'écrivain n'a pas de mission précise ou de message particulier à transmettre ; il doit simplement un certain respect à l'écriture elle-même, à la fiction. L'écrivain doit offrir le témoignage d'amour de la prose et de la littérature le meilleur possible, le plus vrai, le plus passionné.
Vous sentez-vous crevé, vidé après avoir terminé l'écriture d'un roman ?
L'écriture est très physique : donc crevé, mais pas vidé. La dernière version d'un ouvrage est la plus fatigante mais la plus intéressante, c'est également un temps ou d'autres idées naissent, où d'autres projets se mettent en place. Une période ou l'on se place dans " l'après ", ou, personnellement, j'essaie toujours de prendre le contre-pied de ce que j'ai dit et écrit auparavant… L'occasion de " casser une mécanique " qui s'est mise en place pour ne pas se répéter. Donc jamais de vide ; plutôt soulagé, libéré et déjà dans une réalisation future !
Dans une recherche de perfection ?
Evidemment, comme tout écrivain qui se respecte et respecte son lecteur, quel qu'il soit. Je ne retravaille pas mes manuscrits avec l'éditeur, à une exception près, où il m'a aidé à revenir sur la fin d'un livre. J'en ai d'abord été catastrophé et suis rentré chez moi abattu. Je me suis penché à nouveau sur la partie en question, puis finalement sur l'ensemble. L'intervention de Jérôme et Irène a fait gagner à mon travail en qualité et en cohérence ; un bel exemple de la collaboration entre écrivain et éditeur qui porte ses fruits !
Vos voyages, source d'inspiration ?
Je crois surtout à l'obstination dans l'écriture, et pas tellement à l'inspiration. Je suis parti en Inde dans la perspective d'utiliser certaines notes pour l'écriture de Les grandes blondes. En rentrant, il m'a semblé que tout le voyage n'avait été qu'un prétexte à prendre des vacances et à retrouver l'Inde, mais finalement ces écrits de deux mois m'ont beaucoup servi quelques temps après. Ce que j'avais failli jeter s'est révélé précieux.
Vos romans vous conduisent sans cesse à l'étranger, dans des périples et des endroits divers… Votre goût pour ces découpages spacio-temporels ?
Cela tient sans doute à mon amour du mouvement, à mon attirance pour les départs, l'exploration incessante de lieux différents. Les lieux sont des moteurs de fiction aussi importants que les personnages ; et le découpage du temps, ternaire pour le voyage (visible dans les trois parties), binaire pour les protagonistes (les allers-retours de Félix à Delahaye) de Je m'en vais, viennent lui donner un rythme particulier je crois, même s'il n'était pas évident à agencer !
Pourquoi le Grand Nord, alors que vous n'y êtes pas allé ?
Je souhaitais offrir un contraste avec l'Inde, utilisée précédemment. Le moyen de rendre un " exotisme " presque neutre, minimum, silencieux, uni ; à l'encontre des paysages bariolés et bruyants de Les Grandes Blondes . Un " ailleurs " le plus différent possible de ce que j'avais décrit auparavant.
Prochaines destinations ?
Je voyage moins qu'avant et je travaille mieux ici. Peut-être l'Inde ou le Japon, mais j'ai pour l'instant d'autres projets…
Jessica Nelson
Jean Echenoz
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Difficile d'en dire quelques mots avec objectivité… D'ailleurs je me suis peu intéressé à l'actualité des prix littéraires, peut-être un peu plus effectivement depuis 2 ans… Mais d'une manière générale je ne suis pas ce genre d'événements frénétiquement.
Surpris par le Goncourt 2000 ?
Ingrid Caven était très intéressant, et j'ai lu Rose Poussière lorsqu'il est sorti. Je n'ai pas été étonné : mes livres n'avaient pas non plus le profil d'un tel prix, alors pourquoi pas un auteur un peu en marge comme Jean-Jacques Schuhl… D'ailleurs cette orientation est à mon avis plus riche, elle permet une diffusion plus vaste que certaines œuvres pouvaient espérer, justement parce qu'ils n'ont pas un profil que l'on pourrait qualifier d'habituel, c'est-à-dire correspondant à ce que l'on pense que le public attend.
D'accord avec ceux qui vous qualifient comme un auteur "décalé" ?
Je me suis toujours senti un peu en marge de ce qui se fait en littérature aujourd'hui, mais il se trouve que depuis environ vingt ans mes livres ont rencontré un certain public, donc la marge est plutôt confortable. Une sorte de marge à l'envers !
La rentrée littéraire 2000 ?
Je m'intéresse surtout aux auteurs que je connais. Cette année, l'ouvrage qui a retenu mon attention était Parti, de François Salvaing. Un livre " générationnel ", sans doute une des raisons pour lesquelles je m'y suis intéressé. J'ai à peu près le même age que l'auteur qui raconte une époque dont j'ai été le témoin, des événements que j'ai vécus, quoi que sous un angle totalement différent, une actualité que j'ai suivie. On aime à retrouver des questionnements politiques et historiques communs, des regards contemporains sur des points qui suscitent la réflexion.
Le Goncourt 1999 : un tournant pour l'écrivain et l'homme ?
Pas vraiment. Mis à part une ampleur plus grande que le Médicis de Cherokee et le Novembre de Les Grandes Blondes, ainsi qu'une " fétichisation " sociale plus importante pour le Goncourt. J'ai l'ai vécu dans une espèce de continuité un peu surprise ; cette histoire de Goncourt, c'était une planète différente de la mienne… Pas de bouleversement majeur, mis à part l'émotion de constater que mes livres ont alors touché dix fois plus de lecteurs qu'auparavant, que j'étais souvent abordé dans la rue par des inconnus élogieux... Mais mes projets en cours n'ont pas été modifiés. La seule chose qui a changé : j'ai pu agrandir mon appartement. Cela ne se voit pas encore, les travaux n'ont pas commencé…
Et la discrétion dont vous vous entouriez ? Vous êtes-vous senti agressé ?
Pas agressé, mais simplement fatigué, éprouvé par la médiatisation que ce prix engendre. Je suis resté allongé deux jours entiers après pour me reposer ! Et la " fausse " biographie que j'ai fait paraître pour les communiqués de presse n'était pas destinée à dérouter les journalistes et encore moins à se moquer de qui que ce soit, même si cette histoire me suit encore quinze ans après ! On m'avait demandé d'écrire une notice autobiographique. Un piège narcissique dans lequel je ne souhaitais pas tomber : j'ai écrit quatre lignes, ne souhaitant pas exposer certaines choses de ma vie ni commenter mon travail, puis je me suis aperçu que cela n'avait aucun intérêt. Et comme je suis un écrivain de fiction, je me suis servi d'elle et d'une sorte de pudeur pour écrire quelque chose de totalement différent.
Le goût de l'écriture ?
Il m'est venu très jeune, vers dix douze ans. Je ne savais pas du tout la forme qu'il prendrait, presse ou autre ; mais la littérature étant ce qui m'a toujours passionné, c'est naturellement vers elle que je suis allé... Je composais souvent des petits textes, des commencements de fiction, des poèmes comme tout le monde (que j'ai heureusement perdus ! Rires…) et j'avais ébauché un roman épistolaire. Cet apprentissage tendait in fine vers le roman, et mes perspectives et ambitions ont rencontré le besoin urgent de la concrétisation. J'ai alors appris que l'on devait retravailler les premiers jets, revenir sur ce qui vient sous la plume pour lui donner une profondeur et un relief véritable.
Des événements, rencontres ou influences déterminantes ?
Je relis certains écrivains de manière fréquente, tels que Flaubert, Nabokov, Queneau, qui sont pour moi des fenêtres importantes. La rencontre déterminante : mon éditeur. Je souhaitais publier chez Minuit depuis le début.
Vous vous êtes donc immédiatement tourné vers Jérôme Lindon ?
Justement non ! Minuit me semblait tellement sérieuse, rigoureuse… Je n'osais pas leur envoyer mon travail, que j'estimais presque " indigne " d'elle, je pensais que les éditeurs ne l'accepteraient jamais. Je l'ai donc envoyé à toutes les autres maisons d'édition, et ma collection de lettres de refus était telle que j'ai pensé qu'il fallait que j'aie également celle de Minuit. La seule qui n'est pas venue…
Ecrivez-vous pour vous ou pour les autres ?
J'écris pour moi en tant que lecteur. J'écris ce que je souhaiterais lire, espérant que mes vœux en rejoignent d'autres similaires. Je pense que l'écrivain n'a pas de mission précise ou de message particulier à transmettre ; il doit simplement un certain respect à l'écriture elle-même, à la fiction. L'écrivain doit offrir le témoignage d'amour de la prose et de la littérature le meilleur possible, le plus vrai, le plus passionné.
Vous sentez-vous crevé, vidé après avoir terminé l'écriture d'un roman ?
L'écriture est très physique : donc crevé, mais pas vidé. La dernière version d'un ouvrage est la plus fatigante mais la plus intéressante, c'est également un temps ou d'autres idées naissent, où d'autres projets se mettent en place. Une période ou l'on se place dans " l'après ", ou, personnellement, j'essaie toujours de prendre le contre-pied de ce que j'ai dit et écrit auparavant… L'occasion de " casser une mécanique " qui s'est mise en place pour ne pas se répéter. Donc jamais de vide ; plutôt soulagé, libéré et déjà dans une réalisation future !
Dans une recherche de perfection ?
Evidemment, comme tout écrivain qui se respecte et respecte son lecteur, quel qu'il soit. Je ne retravaille pas mes manuscrits avec l'éditeur, à une exception près, où il m'a aidé à revenir sur la fin d'un livre. J'en ai d'abord été catastrophé et suis rentré chez moi abattu. Je me suis penché à nouveau sur la partie en question, puis finalement sur l'ensemble. L'intervention de Jérôme et Irène a fait gagner à mon travail en qualité et en cohérence ; un bel exemple de la collaboration entre écrivain et éditeur qui porte ses fruits !
Vos voyages, source d'inspiration ?
Je crois surtout à l'obstination dans l'écriture, et pas tellement à l'inspiration. Je suis parti en Inde dans la perspective d'utiliser certaines notes pour l'écriture de Les grandes blondes. En rentrant, il m'a semblé que tout le voyage n'avait été qu'un prétexte à prendre des vacances et à retrouver l'Inde, mais finalement ces écrits de deux mois m'ont beaucoup servi quelques temps après. Ce que j'avais failli jeter s'est révélé précieux.
Vos romans vous conduisent sans cesse à l'étranger, dans des périples et des endroits divers… Votre goût pour ces découpages spacio-temporels ?
Cela tient sans doute à mon amour du mouvement, à mon attirance pour les départs, l'exploration incessante de lieux différents. Les lieux sont des moteurs de fiction aussi importants que les personnages ; et le découpage du temps, ternaire pour le voyage (visible dans les trois parties), binaire pour les protagonistes (les allers-retours de Félix à Delahaye) de Je m'en vais, viennent lui donner un rythme particulier je crois, même s'il n'était pas évident à agencer !
Pourquoi le Grand Nord, alors que vous n'y êtes pas allé ?
Je souhaitais offrir un contraste avec l'Inde, utilisée précédemment. Le moyen de rendre un " exotisme " presque neutre, minimum, silencieux, uni ; à l'encontre des paysages bariolés et bruyants de Les Grandes Blondes . Un " ailleurs " le plus différent possible de ce que j'avais décrit auparavant.
Prochaines destinations ?
Je voyage moins qu'avant et je travaille mieux ici. Peut-être l'Inde ou le Japon, mais j'ai pour l'instant d'autres projets…
Jessica Nelson
Jean Echenoz
Ed.
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Last modified onjeudi, 23 avril 2009 23:05
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