Rencontre avec Richard Dalla Rosa
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D'abord focalisons-nous sur Socrate : prendre le point de vue du Daïmon pour évoquer ce philosophe sur lequel tant ont écrit, c'est une démarche novatrice. D'où vient cette idée ?
C'est très simple. C'est une connexion entre deux choses. L'inspiration finalement ce n'est pas plus compliqué que ça. J'ai lu un roman fabuleux qui s'intitule un homme remarquable en 1994. C'est un ouvrage de Robertson Davies, écrivain canadien anglophone bien traduit en français. Dans ce roman d'aventures intelligent et populaire, les deux personnages narrateurs sont un ange biographe et un daïmon protecteur. L'idée de donner la parole à un daïmon qui prend en charge la biographie d'un être humain était déjà un petit clin d'œil servant à relier le paganisme et le christianisme et puis c'est original, amusant. Pour Socrate, la connexion était aussi en rapport avec mon mémoire de maîtrise soutenu en juin 1997 et qui s'appelait (" attention " ajoute-t-il sourire aux lèvres! ! !) " Les avatars des démons grecs dans La Cité de Dieu de Saint-Augustin ". J'ai voulu défendre les démons de l'Antiquité grecque contre les Pères de l'Eglise qui ont démonté le paganisme pour l'éradiquer. Robertson Davies et mon mémoire de maîtrise : six mois plus tard l'idée de faire une biographie de Socrate vu par son démon était née. D'autant plus que j'oublie un troisième élément, mon Directeur de mémoire avait eu un contact avec les éditions Autrement et m'avait montré un listing de propositions dans laquelle celle de Socrate vue par son démon allait bien, même si au début c'était plutôt pour rire !
Aborder Socrate par l'intermédiaire du regard du Daïmon, c'était pour vous un espace de liberté immense. L'homosexualité de Socrate, voilà un sujet qu'une étude classique aurait peu abordé alors que dans votre ouvrage elle apparaît comme un leitmotiv ?
De toute façon, toutes les personnes qui ont écrit sur Socrate avant moi se résument à des universitaires, philosophes, journalistes, romanciers parfois. Le mot clé est effectivement LIBERTE (il insiste joliment). Le Daïmon, cet esprit tutélaire, cette voix de la conscience qui conseille et motive, c'est un espace total de l'esprit où la liberté est de mise. C'est vrai aussi que dans la Grèce antique, l'homosexualité s'appelait la pédérastie et c'était avant tout un enseignement entre personnes du même sexe, hommes surtout, entre un adulte et un adolescent. Rien de pervers, c'était quasiment institutionnel . Pour mieux faire partager plaisirs de l'esprit et ceux du corps…Encore une fois, c'est un raccourci que j'emprunte. Mais il y a des bouquins entiers là-dessus !
Aussi est-il vrai que le Daïmon permet de fixer un espace de liberté et c'est pour cela qu'il peut se permettre de parler sur tout : Rimbaud, Oscar Wilde, Pinocchio…c'est évident que Jiminy Cricket avait sa place dans ce récit !
Tout à l'heure, vous évoquiez l'idée de paganisme. Est-ce qu'une foi, une croyance personnelle ont pu influencer chez vous écriture ou récit ?
Je n'ai aucune religion même si je me rapproche beaucoup du paganisme. En revanche, je cultive une foi. Je crois aux esprits des morts. Je me rattacherais donc aux Indiens d'Amérique, aux religions païennes en général et terriennes en particulier. Je n'aime pas les dogmes, codifications ou règlements. J'aime au contraire que la croyance évolue dans une liberté absolue ou relative : croire ce que l'on peut quand on le veut. Lorsque j'ai perdu ma grand-mère en 1992, j'ai énormément réfléchi et après la période de deuil, je me suis dit " l'âme est quelque chose de tellement fort et subtil que ça ne peut pas disparaître comme ça ". J'ai alors commencé à penser qu'une partie de son être était là. De là, je suis rentré dans un film de Kieslowski et je peux assurer que je vis pratiquement dans l'atmosphère de la Double vie de Véronique avec des signes, des coïncidences, des hasards, des intuitions que j'essaie de vivre sans être névropathe obsessionnel ! C'est pour ça d'ailleurs que j'ai écrit un livre là-dessus qui, je l'espère (sourire), sera publié l'année prochaine.
Vous écrivez à ce sujet " l'enfant cesse d'apprendre car il croit savoir ". Ca signifie que ce qui vous séduit c'est cette quête portée par l'enfance plus que l'arrogance intellectuelle propre à l'âge adulte ?
Totalement ! L'arrogance intellectuelle, je le combats déjà en moi-même. Avec mon parcours, je pourrais être prétentieux. J'ai rencontré des gens dans la vie qui l'étaient et qui m'ont fait du mal. Je ne souhaite en aucun cas être comme eux.
J'ai été élevé par des gens humbles et simples, très joyeux et optimistes. Tout cela n'empêche pas la lucidité. J'ai les pieds sur terre mais comme le dit si bien Hubert Reeves au début d'un film de Lelouche, Y a des jours et des lunes je suis volontaiRRREement optimiste (avec l'accent !)
La volonté mariée à l'optimisme, cela peut donner des résultats fabuleux : par exemple, ce soir…
Ce qui compte pour moi, c'est la création artistique, poétique. Inutile de s'arrêter sur les paraphrases, les paragraphes. Il faut agir, créer du neuf tout en respectant l'ancien, appréhender le temps comme s'il était un espace de jeu. La vie au fond c'est très ludique. Moi, j'ai envie de me marrer, j'ai envie d'être heureux. Le bonheur, dit Juliette Binoche, c'est un art qui demande beaucoup d'exigence. Le bonheur est une volonté, le mal est présent mais le bien est une conséquence d'un acte. Là je reprends Artaud et je me nourris de lui…
Se " nourrir des autres ", ça rappelle ce que vous écrivez dans " Les mots dans les murs ", un de vos textes publié dans la NRF de septembre 2000 ?
Oui c'est vrai. Tout est matière à réflexion, à émotion et surtout construire son chemin avec les gens. La création mène vers le partage.
Monet avait une formule superbe "Il y a deux sortes d'hommes : ceux qui veulent être quelqu'un et ceux qui veulent faire quelque chose. " Vous vous retrouvez dans quelle catégorie ?
Faire quelque chose…(rires) Parce que de toute façon, on est quelqu'un quand on fait quelque chose. Je pense que l'identité se construit par rapport aux actions. Socrate n'a rien écrit mais a mis en œuvre l'aspect le plus abstrait de notre personnalité : les mots. Leslie Kaplan a écrit à ce sujet un très bon roman Le psychanalyste. Elle y dit des choses incroyables sur les mots.
Vous vous sentez plus philosophe ou plus écrivain ?
Moi ? Je suis poète.
L'idée de partage à présent. Dans " Les mots dans les murs ", vous racontez votre rencontre avec des prisonniers. C'est une étape essentielle semble-t-il ?
C'était d'autant plus important que je connaissais personnellement un adolescent emprisonné. Il n'était pas dans l'atelier d'écriture que j'évoque dans la NRF mais je suis allé le voir . C'est très impressionnant de voir un jeune enfermé. Je voulais montrer à lui et aux autres que ce ne sont pas des lépreux mis à l'écart. Trop de gens sont mis à l'écart ! A l'époque de Socrate, tout le monde allait au théâtre c'était fabuleux…Les artistes doivent briser le cercle vicieux de l'isolement social. Je crois en l'Art car il me semble qu'il peut être un remède au mal social.
Il y a qu'à regarder les années 80 : Coluche, Balavoine et les autres. J'ai toujours eu conscience que nous devions reprendre le flambeau… sans prétention évidemment.
Mon rêve ? Récolter des moyens pour pouvoir fonder des actions culturelles. C'est dans les différences que l'on s'enrichit.
Un autre rêve ? ( il surfe sur une " vague d'enthousiasme " pour soudain reprendre son expression ) Etre acteur car depuis que je suis tout petit, je rêve d'incarner avec autant de réflexion et d'émotion des personnages ! La schizophrénie contrôlée m'attire énormément !
Je reviens à l'aspect écriture. Dans les " mots dans les murs ", vous écrivez " Ecrire c'est s'avouer en s'effaçant ". Est-ce que cela veut dire qu'il doit y avoir une fusion entre le narrateur et l'écrivain ?
J'appréhendais cette question depuis longtemps car j'ai du mal à y répondre.
Je pense que oui. Elle se fera notamment dans les lectures publiques. Quand je lis mes propres textes comme le narrateur fou (texte inédit), je tremble de tout mon corps. Il y a une part de vécu incontrôlable. L'écriture c'est l'inconscient qui se frôle à la conscience.
C'est très banal mais quand tu le mets en œuvre c'est fabuleux. Ecrire c'est une jubilation. Moi j'écris pour donner aux gens, raconter dans histoires. On est tous dans une histoire et l'écriture permet de peaufiner, de jouer avec les mots, avec le langage, les fantasmes, les rêves, avec sa propre vie. En somme, l'écriture aide à se connaître un peu mieux soi-même.
Dans ce texte, vous insistez sur le côté salvateur de l'écriture pour les prisonniers. Vous ne pensez pas que c'est un peu facile pour vous dans le sens où vous faites partie des artistes, d'un petit monde ? Ecrire, pour beaucoup de gens aujourd'hui, constitue un moyen pas une fin en soi.
Je parle surtout de l'écriture artistique en tant que création poétique. Mais permettre au public de réapprivoiser cette écriture poétique, cela ma paraît essentiel. Depuis un an, Michel Lejeune a d'ailleurs réintroduit le thème du journal intime. Je crois profondément en les vertus d'une telle démarche. La psychanalyse en tant que science humaine et pas en tant que science du drame doit jouer un rôle. Je veux de l'énergie, du tonus. Sabine Azéma, par exemple, c'est un modèle. Elle est énergique et donne une force qui permet de privilégier les bonnes choses. C'est pour ça que je vais de l'avant, je propose des projets. Emmanuelle Laborit par exemple, on va faire une pièce de théâtre ensemble. Elle a vu que j'avais fait des efforts et appris la langue des signes, alors…Et puis, le malheur est partie prenante de l'existence et souvent cela permet de se renforcer. ( il s'agite un peu comme emporté par l'élan).
Nietzschéen ?
Beaucoup le disent mais j'ai ne l'ai pas encore vraiment lu. Je promets de lire Zarathoustra très vite !
Des projets concrets à venir ?
L'écriture. Ecrire des livres, des essais, des polars, de la poésie. Mon premier roman qui s'appelle Antiberg. Des enfants de 25 ans environ parlent de leurs rapports à leurs parents. C'est aussi l'histoire d'un amour passionné entre une frère et une sœur, le thème central étant la bisexualité. La sexualité est le point d'orgue de la vie humaine. Ah, on devrait relire Henri Miller car c'est la jouissance du sexe, le bonheur du sexe, c'est la fête ! Y en a marre de se prendre au sérieux, de faire de l'argent et en jouant les hommes d'affaires ! Il faut être responsable et travailler sérieusement avec une part d'humour, une part d'humeur sans se prendre au sérieux.
Une date ?
Septembre 2001 certainement mais je suis très critique avec moi même, alors…
J'écris aussi un essai sur l'inspiration. C'est pas quelque chose de divin l'inspiration, pas forcément la vieille histoire du poète sur son promontoire. Personnellement je suis DANS la foule.
Au final, quelqu'un de très sain Richard DALLA ROSA ?
Mais j'ai été très malsain à une époque, surtout envers moi-même. Des gens m'ont aidé à m'épanouir et à mon tour j'ai envie d'aider les autres. Les relations humaines sont importantes, vraiment.
Dans votre article sur Le psychanalyste de Leslie Kaplan, vous citez Kafka " Ecrire c'est sauter au dehors de la rangée des assassins " et concluez " Et si on vivait comme écrivait Kafka ? " Mais ça veut dire quoi " vivre comme écrivait Kafka " ?
C'est sauter au dehors de la rangée des assassins. Ecoutez le très bon album de Juliette, la sublime Juliette Assassins sans couteau. Elle rejoint Kafka. Pleins de gens assassinent avec cynisme des bonheurs, des enthousiasmes, des idées. Mais on est rien, on des mouches – je prépare d'ailleurs un roman sur les mouches – le bien doit gagner. C'est très manichéen mais le mal comme le bien doivent rester à des niveaux équivalents même si le bien l'emporte. Au fond, j'aime autant Dieu que le Diable car ils sont l'un et l'autre intéressants.
Je veux construire. C'est comme un château de sable. Moi, jusqu'à la fin de ma vie, je reconstruirai des châteaux de sable. Et même si des imbéciles viennent le piétiner, inlassablement je le reconstruirai.
Le mot de la fin ?
Je crois que oui ! Rires chantants…
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Richard écrit également pour la rubrique Aperto Libro (socrateand.com) et des critiques de films pour objectif-cinema.com.
Céline Mas
Richard Dalla Rosa
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
C'est très simple. C'est une connexion entre deux choses. L'inspiration finalement ce n'est pas plus compliqué que ça. J'ai lu un roman fabuleux qui s'intitule un homme remarquable en 1994. C'est un ouvrage de Robertson Davies, écrivain canadien anglophone bien traduit en français. Dans ce roman d'aventures intelligent et populaire, les deux personnages narrateurs sont un ange biographe et un daïmon protecteur. L'idée de donner la parole à un daïmon qui prend en charge la biographie d'un être humain était déjà un petit clin d'œil servant à relier le paganisme et le christianisme et puis c'est original, amusant. Pour Socrate, la connexion était aussi en rapport avec mon mémoire de maîtrise soutenu en juin 1997 et qui s'appelait (" attention " ajoute-t-il sourire aux lèvres! ! !) " Les avatars des démons grecs dans La Cité de Dieu de Saint-Augustin ". J'ai voulu défendre les démons de l'Antiquité grecque contre les Pères de l'Eglise qui ont démonté le paganisme pour l'éradiquer. Robertson Davies et mon mémoire de maîtrise : six mois plus tard l'idée de faire une biographie de Socrate vu par son démon était née. D'autant plus que j'oublie un troisième élément, mon Directeur de mémoire avait eu un contact avec les éditions Autrement et m'avait montré un listing de propositions dans laquelle celle de Socrate vue par son démon allait bien, même si au début c'était plutôt pour rire !
Aborder Socrate par l'intermédiaire du regard du Daïmon, c'était pour vous un espace de liberté immense. L'homosexualité de Socrate, voilà un sujet qu'une étude classique aurait peu abordé alors que dans votre ouvrage elle apparaît comme un leitmotiv ?
De toute façon, toutes les personnes qui ont écrit sur Socrate avant moi se résument à des universitaires, philosophes, journalistes, romanciers parfois. Le mot clé est effectivement LIBERTE (il insiste joliment). Le Daïmon, cet esprit tutélaire, cette voix de la conscience qui conseille et motive, c'est un espace total de l'esprit où la liberté est de mise. C'est vrai aussi que dans la Grèce antique, l'homosexualité s'appelait la pédérastie et c'était avant tout un enseignement entre personnes du même sexe, hommes surtout, entre un adulte et un adolescent. Rien de pervers, c'était quasiment institutionnel . Pour mieux faire partager plaisirs de l'esprit et ceux du corps…Encore une fois, c'est un raccourci que j'emprunte. Mais il y a des bouquins entiers là-dessus !
Aussi est-il vrai que le Daïmon permet de fixer un espace de liberté et c'est pour cela qu'il peut se permettre de parler sur tout : Rimbaud, Oscar Wilde, Pinocchio…c'est évident que Jiminy Cricket avait sa place dans ce récit !
Tout à l'heure, vous évoquiez l'idée de paganisme. Est-ce qu'une foi, une croyance personnelle ont pu influencer chez vous écriture ou récit ?
Je n'ai aucune religion même si je me rapproche beaucoup du paganisme. En revanche, je cultive une foi. Je crois aux esprits des morts. Je me rattacherais donc aux Indiens d'Amérique, aux religions païennes en général et terriennes en particulier. Je n'aime pas les dogmes, codifications ou règlements. J'aime au contraire que la croyance évolue dans une liberté absolue ou relative : croire ce que l'on peut quand on le veut. Lorsque j'ai perdu ma grand-mère en 1992, j'ai énormément réfléchi et après la période de deuil, je me suis dit " l'âme est quelque chose de tellement fort et subtil que ça ne peut pas disparaître comme ça ". J'ai alors commencé à penser qu'une partie de son être était là. De là, je suis rentré dans un film de Kieslowski et je peux assurer que je vis pratiquement dans l'atmosphère de la Double vie de Véronique avec des signes, des coïncidences, des hasards, des intuitions que j'essaie de vivre sans être névropathe obsessionnel ! C'est pour ça d'ailleurs que j'ai écrit un livre là-dessus qui, je l'espère (sourire), sera publié l'année prochaine.
Vous écrivez à ce sujet " l'enfant cesse d'apprendre car il croit savoir ". Ca signifie que ce qui vous séduit c'est cette quête portée par l'enfance plus que l'arrogance intellectuelle propre à l'âge adulte ?
Totalement ! L'arrogance intellectuelle, je le combats déjà en moi-même. Avec mon parcours, je pourrais être prétentieux. J'ai rencontré des gens dans la vie qui l'étaient et qui m'ont fait du mal. Je ne souhaite en aucun cas être comme eux.
J'ai été élevé par des gens humbles et simples, très joyeux et optimistes. Tout cela n'empêche pas la lucidité. J'ai les pieds sur terre mais comme le dit si bien Hubert Reeves au début d'un film de Lelouche, Y a des jours et des lunes je suis volontaiRRREement optimiste (avec l'accent !)
La volonté mariée à l'optimisme, cela peut donner des résultats fabuleux : par exemple, ce soir…
Ce qui compte pour moi, c'est la création artistique, poétique. Inutile de s'arrêter sur les paraphrases, les paragraphes. Il faut agir, créer du neuf tout en respectant l'ancien, appréhender le temps comme s'il était un espace de jeu. La vie au fond c'est très ludique. Moi, j'ai envie de me marrer, j'ai envie d'être heureux. Le bonheur, dit Juliette Binoche, c'est un art qui demande beaucoup d'exigence. Le bonheur est une volonté, le mal est présent mais le bien est une conséquence d'un acte. Là je reprends Artaud et je me nourris de lui…
Se " nourrir des autres ", ça rappelle ce que vous écrivez dans " Les mots dans les murs ", un de vos textes publié dans la NRF de septembre 2000 ?
Oui c'est vrai. Tout est matière à réflexion, à émotion et surtout construire son chemin avec les gens. La création mène vers le partage.
Monet avait une formule superbe "Il y a deux sortes d'hommes : ceux qui veulent être quelqu'un et ceux qui veulent faire quelque chose. " Vous vous retrouvez dans quelle catégorie ?
Faire quelque chose…(rires) Parce que de toute façon, on est quelqu'un quand on fait quelque chose. Je pense que l'identité se construit par rapport aux actions. Socrate n'a rien écrit mais a mis en œuvre l'aspect le plus abstrait de notre personnalité : les mots. Leslie Kaplan a écrit à ce sujet un très bon roman Le psychanalyste. Elle y dit des choses incroyables sur les mots.
Vous vous sentez plus philosophe ou plus écrivain ?
Moi ? Je suis poète.
L'idée de partage à présent. Dans " Les mots dans les murs ", vous racontez votre rencontre avec des prisonniers. C'est une étape essentielle semble-t-il ?
C'était d'autant plus important que je connaissais personnellement un adolescent emprisonné. Il n'était pas dans l'atelier d'écriture que j'évoque dans la NRF mais je suis allé le voir . C'est très impressionnant de voir un jeune enfermé. Je voulais montrer à lui et aux autres que ce ne sont pas des lépreux mis à l'écart. Trop de gens sont mis à l'écart ! A l'époque de Socrate, tout le monde allait au théâtre c'était fabuleux…Les artistes doivent briser le cercle vicieux de l'isolement social. Je crois en l'Art car il me semble qu'il peut être un remède au mal social.
Il y a qu'à regarder les années 80 : Coluche, Balavoine et les autres. J'ai toujours eu conscience que nous devions reprendre le flambeau… sans prétention évidemment.
Mon rêve ? Récolter des moyens pour pouvoir fonder des actions culturelles. C'est dans les différences que l'on s'enrichit.
Un autre rêve ? ( il surfe sur une " vague d'enthousiasme " pour soudain reprendre son expression ) Etre acteur car depuis que je suis tout petit, je rêve d'incarner avec autant de réflexion et d'émotion des personnages ! La schizophrénie contrôlée m'attire énormément !
Je reviens à l'aspect écriture. Dans les " mots dans les murs ", vous écrivez " Ecrire c'est s'avouer en s'effaçant ". Est-ce que cela veut dire qu'il doit y avoir une fusion entre le narrateur et l'écrivain ?
J'appréhendais cette question depuis longtemps car j'ai du mal à y répondre.
Je pense que oui. Elle se fera notamment dans les lectures publiques. Quand je lis mes propres textes comme le narrateur fou (texte inédit), je tremble de tout mon corps. Il y a une part de vécu incontrôlable. L'écriture c'est l'inconscient qui se frôle à la conscience.
C'est très banal mais quand tu le mets en œuvre c'est fabuleux. Ecrire c'est une jubilation. Moi j'écris pour donner aux gens, raconter dans histoires. On est tous dans une histoire et l'écriture permet de peaufiner, de jouer avec les mots, avec le langage, les fantasmes, les rêves, avec sa propre vie. En somme, l'écriture aide à se connaître un peu mieux soi-même.
Dans ce texte, vous insistez sur le côté salvateur de l'écriture pour les prisonniers. Vous ne pensez pas que c'est un peu facile pour vous dans le sens où vous faites partie des artistes, d'un petit monde ? Ecrire, pour beaucoup de gens aujourd'hui, constitue un moyen pas une fin en soi.
Je parle surtout de l'écriture artistique en tant que création poétique. Mais permettre au public de réapprivoiser cette écriture poétique, cela ma paraît essentiel. Depuis un an, Michel Lejeune a d'ailleurs réintroduit le thème du journal intime. Je crois profondément en les vertus d'une telle démarche. La psychanalyse en tant que science humaine et pas en tant que science du drame doit jouer un rôle. Je veux de l'énergie, du tonus. Sabine Azéma, par exemple, c'est un modèle. Elle est énergique et donne une force qui permet de privilégier les bonnes choses. C'est pour ça que je vais de l'avant, je propose des projets. Emmanuelle Laborit par exemple, on va faire une pièce de théâtre ensemble. Elle a vu que j'avais fait des efforts et appris la langue des signes, alors…Et puis, le malheur est partie prenante de l'existence et souvent cela permet de se renforcer. ( il s'agite un peu comme emporté par l'élan).
Nietzschéen ?
Beaucoup le disent mais j'ai ne l'ai pas encore vraiment lu. Je promets de lire Zarathoustra très vite !
Des projets concrets à venir ?
L'écriture. Ecrire des livres, des essais, des polars, de la poésie. Mon premier roman qui s'appelle Antiberg. Des enfants de 25 ans environ parlent de leurs rapports à leurs parents. C'est aussi l'histoire d'un amour passionné entre une frère et une sœur, le thème central étant la bisexualité. La sexualité est le point d'orgue de la vie humaine. Ah, on devrait relire Henri Miller car c'est la jouissance du sexe, le bonheur du sexe, c'est la fête ! Y en a marre de se prendre au sérieux, de faire de l'argent et en jouant les hommes d'affaires ! Il faut être responsable et travailler sérieusement avec une part d'humour, une part d'humeur sans se prendre au sérieux.
Une date ?
Septembre 2001 certainement mais je suis très critique avec moi même, alors…
J'écris aussi un essai sur l'inspiration. C'est pas quelque chose de divin l'inspiration, pas forcément la vieille histoire du poète sur son promontoire. Personnellement je suis DANS la foule.
Au final, quelqu'un de très sain Richard DALLA ROSA ?
Mais j'ai été très malsain à une époque, surtout envers moi-même. Des gens m'ont aidé à m'épanouir et à mon tour j'ai envie d'aider les autres. Les relations humaines sont importantes, vraiment.
Dans votre article sur Le psychanalyste de Leslie Kaplan, vous citez Kafka " Ecrire c'est sauter au dehors de la rangée des assassins " et concluez " Et si on vivait comme écrivait Kafka ? " Mais ça veut dire quoi " vivre comme écrivait Kafka " ?
C'est sauter au dehors de la rangée des assassins. Ecoutez le très bon album de Juliette, la sublime Juliette Assassins sans couteau. Elle rejoint Kafka. Pleins de gens assassinent avec cynisme des bonheurs, des enthousiasmes, des idées. Mais on est rien, on des mouches – je prépare d'ailleurs un roman sur les mouches – le bien doit gagner. C'est très manichéen mais le mal comme le bien doivent rester à des niveaux équivalents même si le bien l'emporte. Au fond, j'aime autant Dieu que le Diable car ils sont l'un et l'autre intéressants.
Je veux construire. C'est comme un château de sable. Moi, jusqu'à la fin de ma vie, je reconstruirai des châteaux de sable. Et même si des imbéciles viennent le piétiner, inlassablement je le reconstruirai.
Le mot de la fin ?
Je crois que oui ! Rires chantants…
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Richard écrit également pour la rubrique Aperto Libro (socrateand.com) et des critiques de films pour objectif-cinema.com.
Céline Mas
Richard Dalla Rosa
Ed.
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Last modified onmardi, 21 avril 2009 23:25
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