Jérôme Lambert contre son gré
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"Je ne pensais pas que la presse branchée allait aimer ce livre." Au premier plan du tryptique littéraire français proposé par les éditions de L’Olivier en cette rentrée littéraire 2003, Jérôme Lambert ne connaîtra pas le même sort que ses accolytes Bertrand Robillard et Jean-Christophe Millois (auteurs, respectivement, de L'homme qui penche et Les beaux jours, dont nous vous parlerons cette saison). Là où la hiérarchie des talents n'a pas de sens - en littérature -, Lambert mérite la distinction suprême de plus grand chevalier nu.
Parce que la presse a besoin d’expressions, Olivier Cohen, pour définir son écurie a parlé de "jeunes garçons sensibles". Jérôme approuve vaguement. "Avoir trouvé ce slogan fait partie de son travail. Cela veut certainement dire quelque chose." Quoi donc ? "Comme dans le Fragment du discours amoureux de Barthes, je pense que la vraie subversion est de toucher aux sentiments." Pour reprendre un titre de Christophe Honoré, Lambert, une lance dans chaque main (Tous les garçons et les filles, son premier roman jeunesse, éd. L'école des loisirs, et La mémoire neuve) part à la conquête de La Douceur. Les ressemblances entre les deux auteurs est rapide, frappante, dangereuse : mêmes éditeurs, mêmes vestes en cuir, même génération, mêmes jeans délavés, même indolence. Christophe pourrait être son père. Jérôme pourrait être son frère. Même parenté.
Né en 75, 1 mètre 82 au garrot, ce fils unique n'évoque sa famille qu'avec une prudente timidité. Chaque jour, sur le chemin du lycée, il passe devant l'hospice de vieux chanté par Barbara (Nantes). Installé à Paris depuis quatre ans, les souvenirs de son enfance "heureuse, plutôt heureuse et compliquée", finissent par encombrer cette vie d'écrivain en redéfinition constante. Il faut oublier, tout peut s'oublier, du moins que l'on "reste fidèle à soi-même et dans la progression. C'est peut-être ça grandir." Il ne gardera du passé qu'une tendresse particulière pour son "troupeau de cousins" sur les chemins de la côte Atlantique. L'affaire de l'enfance-adolescence est quasi-close : il écrira pour la jeunesse ("vivier pour expérimenter l'écriture") et travaillera consciencieusement pour l'Ecole des Loisirs, éditeur jeunesse : "les romans ne donnent pas de mauvaises idées, ils exorcisent les pulsions". Il emploie ainsi le "je" pour la fiction jeunesse. Tous les garçons et les filles raconte l'histoire de Julien, un lycéen pédé : "Pour ce qui est de mes progrès en matière de sociabilisation et de camaraderie virile, je suis en plein constat d'échec." Tirant sur ses Gauloises blondes légères, il pourrait en dire autant sur l'arrêt du tabac. "Les sujets comme la drogue, la mort ou la sexualité ne sont des tabous que du côté des parents. Les élèves sont les premiers à dire que les histoires qu'ils lisent ne sont que des images." Précisant bien que la littérature jeunesse, sans nostalgie, n'est plus ce qu'elle était, il conclut avec certitude, cheveux en bataille, bague au pouce : "Nous ne sommes plus à l'époque des manuels de savoir-vivre !"
Tout juste sorti de son boulot à "L'Ecole", La mémoire neuve, roman "adulte", est un prolongement décidé de son travail empoignant les arçons d'une écriture seule et prévenante : "Tu m'aides quand tu fais le plein d'essence, quand tu me regardes en croyant que je dors, quand tu mets la cassette, quand tu vas me chercher du Coca et quand tu ne me demandes aucune explication." Sur la banquette d'un lounge pas loin de chez lui, Lambert boit son Coca, détourne l'attention, parle des autres : Olivier Adam, Arnaud Cathrine ou Richard Morgiève. Quelques-uns qui pourraient, comme lui, faire pleurer pour une canette achetée par amour dans une station-service. L'embrigadement dans la poésie des "serviettes mouillées", du "téléachat hollandais", de la "troisième cigarette" lui est propre : "Je mords dans le sandwich sans quitter Romain des yeux. Il encaisse, il accepte de jouer le chauffeur de mes envies. Tout ça parce qu'il m'aime. Tout ça parce que quand on baise ensemble on existe enfin. c'est comme si tout ce voyage en voiture, son sandwich, le Coca tout à l'heure, tout ne tenait qu'à ces minutes brutales quand je le tiens sous mon corps. Quand je l'embrasse en entier."
Quand la montre du Jérôme en question, une montre carrée, bracelet cuir noir, lui dit de rentrer boire du Coca, quand il ne se passe plus rien, qu'on reprend le métro alors que lui, il rentre à pied, on relit des passages de cette Mémoire neuve d'un homme à cheval. Sans selle. Sans éperons. Sans mors. La bouche ouverte, on relit cette phrase : "Je ne t'ai peut-être pas tout raconté mais j'ai essayé."
La mémoire neuve, Jérôme Lambert
L'Olivier, 156 pages, 15 €
Tous les garçons et les filles..., Jérôme Lambert
L'Ecole des loisirs, 112 pages, 8 €
Par Ariel Kenig
Ariel Kenig
La mémoire neuve
Jérôme Lambert
Ed. L'Olivier
156 p / 15 €
ISBN: 2879293987
Parce que la presse a besoin d’expressions, Olivier Cohen, pour définir son écurie a parlé de "jeunes garçons sensibles". Jérôme approuve vaguement. "Avoir trouvé ce slogan fait partie de son travail. Cela veut certainement dire quelque chose." Quoi donc ? "Comme dans le Fragment du discours amoureux de Barthes, je pense que la vraie subversion est de toucher aux sentiments." Pour reprendre un titre de Christophe Honoré, Lambert, une lance dans chaque main (Tous les garçons et les filles, son premier roman jeunesse, éd. L'école des loisirs, et La mémoire neuve) part à la conquête de La Douceur. Les ressemblances entre les deux auteurs est rapide, frappante, dangereuse : mêmes éditeurs, mêmes vestes en cuir, même génération, mêmes jeans délavés, même indolence. Christophe pourrait être son père. Jérôme pourrait être son frère. Même parenté.
Né en 75, 1 mètre 82 au garrot, ce fils unique n'évoque sa famille qu'avec une prudente timidité. Chaque jour, sur le chemin du lycée, il passe devant l'hospice de vieux chanté par Barbara (Nantes). Installé à Paris depuis quatre ans, les souvenirs de son enfance "heureuse, plutôt heureuse et compliquée", finissent par encombrer cette vie d'écrivain en redéfinition constante. Il faut oublier, tout peut s'oublier, du moins que l'on "reste fidèle à soi-même et dans la progression. C'est peut-être ça grandir." Il ne gardera du passé qu'une tendresse particulière pour son "troupeau de cousins" sur les chemins de la côte Atlantique. L'affaire de l'enfance-adolescence est quasi-close : il écrira pour la jeunesse ("vivier pour expérimenter l'écriture") et travaillera consciencieusement pour l'Ecole des Loisirs, éditeur jeunesse : "les romans ne donnent pas de mauvaises idées, ils exorcisent les pulsions". Il emploie ainsi le "je" pour la fiction jeunesse. Tous les garçons et les filles raconte l'histoire de Julien, un lycéen pédé : "Pour ce qui est de mes progrès en matière de sociabilisation et de camaraderie virile, je suis en plein constat d'échec." Tirant sur ses Gauloises blondes légères, il pourrait en dire autant sur l'arrêt du tabac. "Les sujets comme la drogue, la mort ou la sexualité ne sont des tabous que du côté des parents. Les élèves sont les premiers à dire que les histoires qu'ils lisent ne sont que des images." Précisant bien que la littérature jeunesse, sans nostalgie, n'est plus ce qu'elle était, il conclut avec certitude, cheveux en bataille, bague au pouce : "Nous ne sommes plus à l'époque des manuels de savoir-vivre !"
Tout juste sorti de son boulot à "L'Ecole", La mémoire neuve, roman "adulte", est un prolongement décidé de son travail empoignant les arçons d'une écriture seule et prévenante : "Tu m'aides quand tu fais le plein d'essence, quand tu me regardes en croyant que je dors, quand tu mets la cassette, quand tu vas me chercher du Coca et quand tu ne me demandes aucune explication." Sur la banquette d'un lounge pas loin de chez lui, Lambert boit son Coca, détourne l'attention, parle des autres : Olivier Adam, Arnaud Cathrine ou Richard Morgiève. Quelques-uns qui pourraient, comme lui, faire pleurer pour une canette achetée par amour dans une station-service. L'embrigadement dans la poésie des "serviettes mouillées", du "téléachat hollandais", de la "troisième cigarette" lui est propre : "Je mords dans le sandwich sans quitter Romain des yeux. Il encaisse, il accepte de jouer le chauffeur de mes envies. Tout ça parce qu'il m'aime. Tout ça parce que quand on baise ensemble on existe enfin. c'est comme si tout ce voyage en voiture, son sandwich, le Coca tout à l'heure, tout ne tenait qu'à ces minutes brutales quand je le tiens sous mon corps. Quand je l'embrasse en entier."
Quand la montre du Jérôme en question, une montre carrée, bracelet cuir noir, lui dit de rentrer boire du Coca, quand il ne se passe plus rien, qu'on reprend le métro alors que lui, il rentre à pied, on relit des passages de cette Mémoire neuve d'un homme à cheval. Sans selle. Sans éperons. Sans mors. La bouche ouverte, on relit cette phrase : "Je ne t'ai peut-être pas tout raconté mais j'ai essayé."
La mémoire neuve, Jérôme Lambert
L'Olivier, 156 pages, 15 €
Tous les garçons et les filles..., Jérôme Lambert
L'Ecole des loisirs, 112 pages, 8 €
Par Ariel Kenig
Ariel Kenig
La mémoire neuve
Jérôme Lambert
Ed. L'Olivier
156 p / 15 €
ISBN: 2879293987
Last modified ondimanche, 17 mai 2009 11:58
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