Mad Max Monnehay
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Oui, cette année, il y a Jonathan Littell. Mais il y a tout autant Max Monnehay. Premier roman et carton plein pour un talent évident. Un choc autant qu'une rencontre...
Il se passe deux choses à la fin de l’été : la rentrée littéraire en France et la saison des ouragans dans la Caraïbe. Ca n’est un secret pour personne, c’est généralement dans la Caraïbe que le vent souffle. Pas cette année, où le typhon s’appelle Max et sévit à Paris, fait tomber de la presse et du chiffre en librairie voire déborder la Seine. Et disons le tout net : autant il est des usurpations littéraires, autant Max Monnehay est une vraie vraie découverte. Une plume cruelle et délicate, précise, qui s’est attaquée pour son coup d’essai au sujet "number one" : le désir. Sur 220 pages courtes et nettes, la compassion accompagne le monologue d’un crétin tombé amoureux d’une jeune fille orfèvre en duperie. Chaque phrase cogne du drôle et du tragique et reflète une évidente prise de risque dans l’écriture. Les indices sont clairs : Max est un jeune homme courageux, sensible et peut-être déjanté. Première erreur : Max est une jeune femme. On se dit alors qu’il s’agit peut-être d’une de ces fifilles un peu rentrées qui extériorisent par l’écriture. Deuxième erreur : mince et alerte sur sa chaise à la Fnac Montparnasse, assise sur le bout des fesses, épaules en avant, la poigne ferme sur le micro avec, en haut, des yeux bleu cyan qui percent et, en bas, des bottes en cuir de la même couleur.
Elle a vingt-cinq ans, sort son premier roman et, pourtant, le public venu là pour elle lui inspire plus de curiosité que de crainte. La voix est claire et l’élocution rapide même lorsqu’elle n’a pas de réponse. « Je ne suis pas une traqueuse », dit-elle naturellement. On apprend par la suite qu’elle a pratiqué le théâtre pendant ses études de lettres. Voilà pour le caractère, pas mauvais du tout, mais pas encombré de fausse pudeur. Rien chez elle de narcissisme moribond. Tout au contraire, elle semble regarder les autres, ausculter attentivement et, notons, avec bienveillance. Il n’est pas illogique qu’elle dise tout net son peu de goût pour l’autofiction et qu’elle semble, dans l’écriture comme dans la vie, avoir d’abord le désir de se laisser surprendre. « Quand je commence à écrire une phrase, je ne sais pas comment elle va se terminer » et d’ajouter que « le geste d’écrire fait ressentir à peu près toutes les émotions ». "Ecriture-Kamikaze", définit-elle. En jazz, c’est comme ça qu’on joue juste. Le jazz, elle l’aime, d’ailleurs. Moins que le rock, mais quand même. John Coltrane et Chet Baker. Si on voit quelqu’un à la musique qu’il écoute, Max est douce, pas peureuse, radicale, un peu cow-boy. En littérature, même topo, elle invoque Cocteau autant que Palahniuk. Une caresse, un coup de griffe. Et ces félineries sont d’abord pour son lecteur: « j’aime bien l’idée de le bousculer ». Pour ses personnages, ensuite : « les faire souffrir est un service à leur rendre ». Voilà qui est clair.
De Corpus Christine, premier roman entamé il y a deux ans et publié cette année, il faut dire l’érotisme. Le corps pour elle est sacré, et l’histoire infernale de désir dupé se résoudra donc en un combat physique sans pitié, entre une maîtresse obèse et tyrannique et son amant impotent, devenu martyr. Une situation extrême, où le jeu amoureux est poussé à la limite, pour « accéder à l’essentiel » : la domination entre les êtres. On lui parle de duperie féminine, elle sourit, surprise. Son livre, apparemment parle à chacun différemment. Construction habile, style qui percute, sens de la formule déconcertant de précision et de justesse. Corpus Christine est un simple régal. Y a t-il quelque chose à redire ? En toute honnêteté, on cherche et on ne trouve pas. On attend simplement le prochain avec impatience. L’intrigue sera plus étoffée, il y sera question d’amour, de pouvoir, de hiérarchie sociale. A propos, le succès change t-il quoi que ce soit ? "Non", répond elle, et, à la voir c’est évident. Alors si vous ne l’avez pas lu, voilà ce qu’elle vous dit à la fin de son livre : "Sombres crétins, vous avez raté le meilleur". Max Monnehay est une excellente nouvelle pour tout le monde.
Marc de Launay
Photo: Sebastien Dolidon
www.dolidon.fr
Corpus christine de Max Monnehay
Ed. Albin Michel, 226 p., 15 euros
Marc Delaunay
Max Monnehay
Ed. Albin Michel
0 p / 0 €
ISBN:
Il se passe deux choses à la fin de l’été : la rentrée littéraire en France et la saison des ouragans dans la Caraïbe. Ca n’est un secret pour personne, c’est généralement dans la Caraïbe que le vent souffle. Pas cette année, où le typhon s’appelle Max et sévit à Paris, fait tomber de la presse et du chiffre en librairie voire déborder la Seine. Et disons le tout net : autant il est des usurpations littéraires, autant Max Monnehay est une vraie vraie découverte. Une plume cruelle et délicate, précise, qui s’est attaquée pour son coup d’essai au sujet "number one" : le désir. Sur 220 pages courtes et nettes, la compassion accompagne le monologue d’un crétin tombé amoureux d’une jeune fille orfèvre en duperie. Chaque phrase cogne du drôle et du tragique et reflète une évidente prise de risque dans l’écriture. Les indices sont clairs : Max est un jeune homme courageux, sensible et peut-être déjanté. Première erreur : Max est une jeune femme. On se dit alors qu’il s’agit peut-être d’une de ces fifilles un peu rentrées qui extériorisent par l’écriture. Deuxième erreur : mince et alerte sur sa chaise à la Fnac Montparnasse, assise sur le bout des fesses, épaules en avant, la poigne ferme sur le micro avec, en haut, des yeux bleu cyan qui percent et, en bas, des bottes en cuir de la même couleur.
Elle a vingt-cinq ans, sort son premier roman et, pourtant, le public venu là pour elle lui inspire plus de curiosité que de crainte. La voix est claire et l’élocution rapide même lorsqu’elle n’a pas de réponse. « Je ne suis pas une traqueuse », dit-elle naturellement. On apprend par la suite qu’elle a pratiqué le théâtre pendant ses études de lettres. Voilà pour le caractère, pas mauvais du tout, mais pas encombré de fausse pudeur. Rien chez elle de narcissisme moribond. Tout au contraire, elle semble regarder les autres, ausculter attentivement et, notons, avec bienveillance. Il n’est pas illogique qu’elle dise tout net son peu de goût pour l’autofiction et qu’elle semble, dans l’écriture comme dans la vie, avoir d’abord le désir de se laisser surprendre. « Quand je commence à écrire une phrase, je ne sais pas comment elle va se terminer » et d’ajouter que « le geste d’écrire fait ressentir à peu près toutes les émotions ». "Ecriture-Kamikaze", définit-elle. En jazz, c’est comme ça qu’on joue juste. Le jazz, elle l’aime, d’ailleurs. Moins que le rock, mais quand même. John Coltrane et Chet Baker. Si on voit quelqu’un à la musique qu’il écoute, Max est douce, pas peureuse, radicale, un peu cow-boy. En littérature, même topo, elle invoque Cocteau autant que Palahniuk. Une caresse, un coup de griffe. Et ces félineries sont d’abord pour son lecteur: « j’aime bien l’idée de le bousculer ». Pour ses personnages, ensuite : « les faire souffrir est un service à leur rendre ». Voilà qui est clair.
De Corpus Christine, premier roman entamé il y a deux ans et publié cette année, il faut dire l’érotisme. Le corps pour elle est sacré, et l’histoire infernale de désir dupé se résoudra donc en un combat physique sans pitié, entre une maîtresse obèse et tyrannique et son amant impotent, devenu martyr. Une situation extrême, où le jeu amoureux est poussé à la limite, pour « accéder à l’essentiel » : la domination entre les êtres. On lui parle de duperie féminine, elle sourit, surprise. Son livre, apparemment parle à chacun différemment. Construction habile, style qui percute, sens de la formule déconcertant de précision et de justesse. Corpus Christine est un simple régal. Y a t-il quelque chose à redire ? En toute honnêteté, on cherche et on ne trouve pas. On attend simplement le prochain avec impatience. L’intrigue sera plus étoffée, il y sera question d’amour, de pouvoir, de hiérarchie sociale. A propos, le succès change t-il quoi que ce soit ? "Non", répond elle, et, à la voir c’est évident. Alors si vous ne l’avez pas lu, voilà ce qu’elle vous dit à la fin de son livre : "Sombres crétins, vous avez raté le meilleur". Max Monnehay est une excellente nouvelle pour tout le monde.
Marc de Launay
Photo: Sebastien Dolidon
www.dolidon.fr
Corpus christine de Max Monnehay
Ed. Albin Michel, 226 p., 15 euros
Marc Delaunay
Max Monnehay
Ed. Albin Michel
0 p / 0 €
ISBN:
Last modified onlundi, 15 juin 2009 22:40
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