Qu'attendez-vous de l'écriture d'un livre ? Rien, il faudra du temps pour en attendre vraiment quelque chose. Et puis tout. C'est un face-à-face avec moi-même, qui est souvent pleins de douleur, de bonheur et d'incertitudes. Je ne conçois pas ma vie sans l'écriture. En réalité, pour éviter les déceptions, je préfère ne rien attendre de mes livres... Pourquoi avez-vous commencé à écrire ? J'ai commencé à écrire à l'âge de douze ans quand ma mère est devenue sourde. C'était le seul moyen immédiat pour communiquer entre nous. Le besoin et le désir d'écrire des fictions sont venus plus tard quand je vivais seule à New York. Un tournant de carrière surprenant, relativement à ce que vous faisiez avant… Pourquoi ? Vous ne poseriez jamais cette question à un professeur, un homme politique ou un journaliste. Je ne conçois pas ma vie en termes de carrière mais dans une continuité artistique. Je n'ai jamais fait de plans, j'essaie de faire ce que j'ai envie même si ce n'est pas judicieux ou opportun pour mon "image"(si toutefois, j'en ai une!) Vous reproche-t-on trop souvent votre "passé" de mannequin ? De façon insidueuse. Un peu narquoise. Quoi que je fasse, je suis un imposteur. Un handicap donc, dans l'univers littéraire ? Très certainement. Rangée dans une boîte puis dans un tiroir étiqueté "ancien mannequin". Quand mon premier roman Une rose pour Manhattan est sorti en 1999, on était bien obligé de dire d'où je venais et ce que j'avais fait auparavant. J'assume pleinement ces années dans la mode. Elles m'ont appris l'humilité, la solitude, la relativité du succés, la folie. J'écris grâce à ce passé. Toute une presse dite "intello" ne veut même pas ouvrir mes livres. Tant pis... Certains critiques de 1999 étaient presque gênés d'aimer mon livre, ils ont eu les pires difficultés à m'imposer dans leur rédaction. J'aurais préféré qu'ils détestent mon roman plutôt que de s'offusquer "t'es pas sérieux, tu ne l'as pas lu quand même!" A partir du deuxième roman, les choses se compliquent vous n'êtes plus l'ancien mannequin mais un nouvel auteur. C'est moins attractif en terme de marketing mais je suis ravie de cette évolution puisque beaucoup s'arrêtent au cv des cinq dernières années pour se faire une idée. Comme je n'ai jamais eu la carrière d'un top model, même ma légitimité en tant que mannequin est douteuse. Justement, au sujet de votre premier livre : pouvez-nous nous en dire plus sur " l'aventure Flammarion " ? Les leçons, les joies, les déceptions ? L'aventure Flammarion reste pour moi un bon souvenir. Dans le contexte de l'époque, c'était magique de recevoir un appel de Raphaël Sorin me disant qu'il s'intéressait à mon manuscrit. Je ne connaissais personne dans ce milieu, j'avais envoyé mon texte par la poste. Un mois et demi après, j'allais rue Racine toute tremblante. Mon premier roman a eu beaucoup de presse, le deuxième Un amoureux silence est passé inaperçu. Je l'ai mal vécu parce qu'il évoquait la maladie de ma mère. J'aurais voulu crier son courage, j'ai pris la tasse... L'écriture nous fait voyager sur des routes sinueuses(nulle comme image.) J'écris à cause et grâce aux joies et aux déceptions qui me traversent. Les raisons de votre réorientation vers Balland ? Je suis partie chez Balland pour trouver une petite structure avec des interlocuteurs disponibles. Je garde de très bons contacts avec Flammarion, en particulier avec l'éditrice Juliette Joste que j'aime profondément. Et Cécile David Weil est une excellente éditrice. Vous a-t-elle beaucoup aidée, encouragée, rassurée ? Je l'ai en fait rencontrée il y trois mois, le jour de mon anniversaire(pas tout à fait, puisqu'il n'y avait pas de 29 février cette année !). Le fait qu'elle soit une bonne éditrice n'était pas l'essentiel à vrai dire. J'ai trouvé qu'elle avait une écoute remarquable. Honnête, franche. Elle n'essaie pas de noyer le poisson avec des discours stéréotypés. J'adore son sens de l'humour. Elle et Denis Bourgeois forment une équipe soudée et complémentaire, j'espère qu'ils relèveront "le défi Balland"... Que vous souhaitez-vous pour la suite de vos écrits ? Si mon livre est lu par vingt personnes de plus, c'est déjà merveilleux... Les pièges que vous voulez éviter avant tout ? En restant soi-même, je pense que l'on évite tous les pièges. Revenons en à Trois jours pour rien. Pourquoi choisir toute une galerie de personnages, et ne pas s'attacher à deux ou trois protagonistes comme il est plus courant de le faire ? L'écriture de "Trois jours pour rien" a commencé grâce au film Magnolia de Paul Thomas Andersen. J'ai eu envie de me lancer dans une construction en patchwork, une sorte de kaléidoscope avec des personnages qui se cherchent, se croisent, se retrouvent, s'ignorent. Je voulais tisser une toile avec des fils révélant au fur et à mesure l'intrigue du roman. J'aime les rebondissements et les chassé-croisés que cette construction permet. C'était, en tout cas, assez jubilatoire à écrire. Quel est le personnage qui vous touche le plus ? Y a-t-il un de vos personnages que vous n'aimeriez pas rencontrer ? Ce sont tous des anti-héros, à ce titre, je les trouve très touchants. Pas courageux, plutôt lâches et pleûtres. Ils ont peur de prendre des risques, peur du changement et de l'inconnu. Comme eux j'ai la crainte de vieillir, je redoute la solitude, la maladie... Ce sont des gens ordinaires qui se révèlent dans l'action. Je les ai tous rencontrés, d'une certaine façon. Même John Noss, le vieux beau cynique et désabusé a des côtés touchants. Il n'est pas tout à fait dupe du sketch qu'il joue. Il lui arrive de craquer et de reconnaître ses failles. La raison de cette structure, longue en termes de pages, mais courte en termes de temporalité ? Ce contraste : une peur du temps qui s'écoule et qui file ? Je trouve que cette construction très resserrée sert parfaitement l'intrique et le suspens. On zappe entre des personnages qui n'ont a priori rien en commun.. Tout juste le temps de s'installer et on passe sur quelqu'un d'autre. On comprend peu à peu les liens qui les unissent. Cela rend bien l'inconfort et le profond malaise dans lesquels tous sont plongés. Chacun court après quelquechose, l'amour, la gloire, la paix intérieure... Seule la jeunesse est irrécupérable. Le milieu qui sert de toile de fond à votre livre est celui de la mode. Quel est le message que vous souhaitiez faire passer avant tout ? Je n'avais pas vraiment de message... Je n'aime pas la littérature donneuse de leçon ou moralisatrice. Je la trouve souvent prétentieuse et hors sujet. Je préfère modestement décrire, esquisser, donner de la couleur, du goût, des odeurs et des bruits, puis partir sur la pointe des pieds et laisser le lecteur seul juge. N'avez-vous pas peur que l'on vous reproche d'être trop sévère et injuste vis-à-vis d'un univers qui vous a quelque part bien " servie " ? Je ne suis ni acerbe, ni aigrie. J'ai raconté une partie de ce que j'ai vu et vécu. Le milieu de la mode est suffisamment intelligent pour faire son auto-critique, il ne m'a pas attendue. Je ne me suis pas ménagée dans ce roman. Je suis à la fois la secrétaire de province ambitieuse fascinée par Paris et la mode, le mannequin paumé et vieillissant. C'est parce que je respecte et fréquente encore ce milieu que je peux le critiquer avec une totale liberté. Certaines personnes risquent-elles de se reconnaître dans vos peintures ? Oui, beaucoup se reconnaîtront et grinceront des dents... Quid du personnage de Claire, qui vous ressemble étrangement ?Jusqu'où va la ressemblance ? Claire est un ancien mannequin devenu écrivain. Claire est amoureuse et mélancolique. Claire est battante est paresseuse. Claire fait de la natation et déteste l'eau. Claire est parano et mégalo. Claire est pleine de paradoxe. En cela je lui ressemble. Vous sentez-vous proche de certains autres de vos autres personnages ? Je me sens proche de leurs faiblesses. Ils sont tous à un instant clé de leur vie. Je viens d'avoir trente ans et j'ai connu cette période difficile du bilan. "Où j'en suis?", c'est souvent fatal comme question. Mes personnages veulent quitter Paris, quitter une femme, quitter un travail, quitter la vie, quitter une routine. Ils sont comme moi en conflit permanent. Ils font ce qu'ils peuvent pour ne pas baisser les bras et continuer leur route. Des problématiques répétées : confrontation avec la mort, avec l'accélération du temps, incapacité de vivre des relations paisibles avec un entourage proche, non-résolution de dilemmes du passé, fuite… Je ne m'en suis aperçue qu'à la fin du livre, concernant le thème de la mort, et en relisant les épreuves. Pendant l'écriture, j'ai connu la mort de proches. Le passage concernant le nouvelle de l'accident de la belle-mère de Claire est complètement autobiographique. Quelques jours après, mon meilleur ami perdait sa femme cinq mois après leur mariage. Tous ces moments atroces et injustes ont ressurgi malgré moi dans le roman. En outre, et pour des raisons personnelles, la paternité reste un mystère, je voulais expérimenter les états d'âmes de pères en mal de filiation. Cela n'a rien changé de fondamental pour moi, mais j'ai pu écrire mon troisième roman en me confrontant à des vieux démons...
Jessica Nelson
Géraldine Maillet Ed. 0 p / 0 € ISBN:
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