Roman truculent, cynique, mais également politique, Les vieilles est le dixième opus de Pascale Gautier, auteur discrète mais prolixe, que nous sommes très heureux de voir depuis quelques livres publiée par les Éditions Joëlle Losfeld. Dans une ville appelée à dessein le Trou, se distinguent plusieurs figures de femmes tour à tour agaçantes et émouvantes mais en tout cas vieilles. Pendant quelques jours, nous allons suivre ces femmes aux destins différents, jusqu’à la catastrophe finale. Rencontre.
La quatrième de Couv'
" Il y en a une qui prie, une autre qui est en prison, une autre encore qui parle à son chat, et certaines qui regardent les voisines de haut en buvant leur thé infect. Leurs maris ont tous disparu. Elles sont vieilles, certes, mais savent qu'elles pourraient bien rester en vie une ou deux décennies encore, dans ce pays où il n'est plus rare de devenir centenaire. Alors elles passent leur temps chez te coiffeur, à boire et à jouer au Scrabble, à essayer de comprendre comment fonctionne un téléphone, à commenter les faits divers, à critiquer leur progéniture qui ne vient pas assez, à s'offusquer de l'évolution des moeurs..."
Elles savent que le monde bouge, et qu'elles devraient changer leurs habitudes, mais comment faire, à leur âge? Aussi, l'arrivée de Nicole, une " jeunesse " qui entame tout juste sa retraite, et l'annonce d'une catastrophe imminente, vont perturber leur quotidien. Ce nouveau roman de Pascale Gautier est irrésistible par sa fraîcheur, sa volonté de prendre avec humour le contre-pied de certaines idées reçues sur la vieillesse.
Le choix de la couverture et le titre de votre roman annoncent sans équivoque le sujet de votre livre... L’idée de départ était de transposer des vieux dans la fiction. Cela étant dit, la première fois que j’ai vu cette couverture, j’étais un peu surprise. C’est un roman dans lequel je pense qu’on rit plutôt jaune. Mais cette couverture était vraiment jubilatoire.
Vos débuts de chapitres ne sont pas sans rappeler les premières scènes d’une sitcom. Vouliez-vous nous faire découvrir le monde de ces vieilles un peu comme un feuilleton que l’on suivrait régulièrement? Je n’ai pas forcément pensé à une sitcom. En ce qui concerne la construction de ce roman, j’ai vraiment voulu que le personnage principal, ce soient les vieilles. C’est un roman polyphonique. Je me suis amusée à camper les personnages de façon rapide en alternant narration classique et dialogues pour avoir un rythme soutenu en dehors de l’intrigue. Je voulais donner à ces vieilles une présence forte, qu’elles soient presque instantanément typées. Dès le début, je voulais que cela soit assez visuel.
C’est d’ailleurs la première fois que vous utilisez des dialogues... C’est effectivement dans mon dixième livre qu’il y a pour la première fois des dialogues. J’ai dû passer un cap. J’avais envie d’expérimenter un traitement un peu différent des personnages. Jusqu’ici, j’employais le discours indirect, le monologue intérieur ; il en résultait un texte plus monolithique. J’ai eu envie de tester des dialogues car il y a cette comparaison permanente entre les cigales et les vieilles. Il fallait donc leur donner cette voix : une voix musicale rythmée par des ritournelles, des refrains, des reprises. Le dialogue pour ce roman-là était donc assez juste. Puis, il faut dire que je me suis beaucoup amusée à faire des dialogues.
Certaines de ces vieilles ont un nom - Madame Rouby ou Madame Chiffe - d’autres un prénom (Nicole), ou encore un surnom (Mamoune) et l’une est même seulement désignée par le pronom « elle ». Avez-vous voulu établir une hiérarchie entre elles ? Pourquoi en désincarner certaines ? Les Madames (Rousse, Chiffe, Rouby) sont des types, elles portent un « madame » systématique. Ce sont des caricatures. Elles portent des noms de province. Je voulais des noms un peu ridicules, mais vrais. J’ai donc fait une enquête sur les noms de ma région, le Sud-Est. J’ai finalement fait du faux avec du vrai. Régine Daspect, avec son prénom et son nom, est le seul personnage à ne pas avoir abdiqué par rapport au temps qui passe. Elle est encore vivante. Elle a d’ailleurs une vraie vie amoureuse et sexuelle. C’est pour cela qu’elle est complète dans son nom et son prénom. Quant à « elle », c’est un personnage très symbolique. C’est celle qui finit le livre. C’est aussi un personnage sensible, mélancolique, peut-être le plus attachant du roman.
Dès le début du roman, vous qualifiez ironiquement les vieilles de « choeur antique » et la métaphore de l’Antiquité parcourt tout le roman... C’est un livre qui doit beaucoup à L’Illiade. Comme il ne se passe pas grand-chose dans la vie de ces vieilles, je trouvais intéressant de traiter leur vie de façon épique. D’où un contraste assez amusant : le ton devient bizarre, inapproprié et le grotesque découle de cela. Et puis, je suis très marquée par l’Antiquité ; c’est présent dans tout ce que j’ai écrit. Mais c’est peut-être dans ce roman que je joue le plus facilement avec ces références. C’est assez présent, mais je pense qu’on peut ne pas le voir du tout.
Tout au long du roman, il y a la voix du narrateur, diffuse, qui s’apparente presque à une voix off. Une fois pourtant, l’auteur s’autorise une intrusion: « la bobine crisse, hésite, puis continue vaillamment de tourner. Soudain il n’y a plus que du noir. C’est long. On se croirait dans ce film de Jarmush dont j’ai oublié le nom. Je ne sais pas, vous, mais moi je me suis endormie»... C’est un clin d’oeil, une petite facétie. Je n’y ai pas forcément réfléchi, je me suis introduite dans le roman comme cela. Mes romans sont truffés de choses personnelles. Mais il est vrai que dans les romans précédents, je faisais beaucoup plus d’interventions. Et là, une seule fois...
Au début du roman, vous présentez les personnages de façon assez caricaturale. Mais rapidement le discours devient plus politique... Toutes ces vieilles sont « out » et, en même temps, elles ont une opinion sur tout. Elles sont frustrées d’être en dehors de la vie, et pourtant, elles sont toujours là. Elles ont, comme beaucoup de personnes âgées, un regret, une nostalgie. Avant c’était forcément mieux, avant les enfants ne laissaient pas tomber leurs parents comme aujourd’hui, avant il y avait de vraies valeurs. Elles sont assez radicales et sans nuance. Le personnage politique de référence, c’est toujours de Gaulle. C’était donc pour moi l’occasion de jouer sur des clichés. Puis, apparaît un discours plus moderne à travers la télévision. La télé,c’est une des voix off qui scande le roman. Et la voix off n’est pas loin par moments de prendre la forme d’un pamphlet. Elle parle de Sarkozy, de la façon dont il est traité par les médias, etc… Les vieilles sont autour, elles y vont toutes de leurs petits commentaires. Mais elles rapportent tout à leur quotidien et n’ont finalement pas de discours plus intéressant que lorsqu’elles parlent du Général de Gaulle.
Vous n’hésitez pas à placer dans la bouche de l’une d’entre elles « travail, famille, patrie » . Vous n’y allez pas de main morte là ? Oui, là j’y suis allée, un peu... On l’entend quand même. Ils peuvent être assez réactionnaires.
Les vieilles sont des femmes de la génération d’avant 68. Elles ont encore subi leurs maris, les contraintes d’un foyer, etc. Avez-vous voulu rendre hommage à cette génération de femmes ? C’est effectivement cette génération-là. Je les appelle les éternelles insatisfaites. Ce sont celles qui auraient pu s’en sortir et qui sont restées bloquées, celles qui n’en ont pas eu les moyens. Ces femmes tournent en rond parce qu’elles sont piégées. Et certaines ont du mérite parce qu’à leur façon, elles ont résisté quand même. Madame Rouby est exactement l’incarnation de cela. Elle est lucide, mais elle est empêchée. Elle a considéré tous les événements de sa vie sans recul (parents, éducation, mari). C’est une montagne d’angoisse. C’est le personnage le plus seul du roman. D’ailleurs, l’approche de la catastrophe finale représente finalement un soulagement pour elle.
Vous distillez toujours du merveilleux dans vos romans. Est-ce pour vous une façon de contourner le réel ? Le détour par le merveilleux est au contraire une façon d’aborder le réel que je trouve tout aussi pertinente et qui permet de faire passer la pilule. Je ne pourrais pas écrire un roman vraiment réaliste. Cela dit, il y a moins de merveilleux dans Les Vieilles que dans mes romans précédents. Il y a le chat Mitsou, qui est une des nombreuses formes que revêt le narrateur, mais c’est presque tout. Le traitement du merveilleux, l’épique, tout ce qui est une façon de truffer le texte de ces choses-là me ravit. Ça sort naturellement. Ce sont ces choses très ancrées dans mon écriture.
La maternité est un sujet souvent délicat dans vos livres. Celui-ci n’y fait pas exception. Ces vieilles sont-elles vraiment condamnées à finir seules ? Le personnage de Mamoune est volontairement un peu trash avec son fils, et encore plus avec sa belle-fille. Mais les enfants ne sont pas écartés du roman, ce sont les vieilles qui préfèrent s’en débarrasser. Parce qu’elles sont vieilles. Je crois que lorsque Rousse dit que les enfants lui rappellent ce qu’elle n’est plus, c’est vrai. Je pense que cela peut vraiment arriver. En fin de vie, on n’a plus forcément envie de voir l’avenir. Elles revendiquent le droit à leur tranquillité maintenant. Au moins au Trou - la ville du roman - elles sont entre elles. C’est le privilège de la fiction. Mais le Trou, c’est bien la fin.
Propos recueillis par Camille Paulian Portrait Nicolas Wintrebert
Pascale Gautier Les vieilles Éditions Joëlle Losfeld 192 p. – 18, 50 €
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