06 Fév 2011 |
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Quel titre ! Pour son premier roman, Jean-François Rouzières commence fort. En quatrième de couverture, il est écrit que l’auteur est psychanalyste. D’où une légère inquiétude de prime abord: ce roman est-il une étude de cas truffée de références aux théories lacaniennes ? Le revolver de Lacan va-t-il se révéler être une blague potache entre thérapeutes ? Et bien, pas du tout. Jean-François Rouzières nous introduit brillamment au plus près de son personnage, d’abord soldat, puis psychanalyste et surtout désireux – comme tout un chacun – de s’affranchir un peu des nombreux démons qui l’habitent.
Découpé en trois parties, ce roman correspond à trois carnets – le soldat, le patient et le chasseur – qui définissent un seul et même personnage : Gabriel. On pense évidemment à l’archange, le messager de Dieu dans la Bible et dans le Coran. Et cela n’est pas innocent puisqu’au début du récit, Gabriel se bat en Afghanistan. Il mène l’une de ces nouvelles guerres d’idéologie dans lesquelles on ne voit plus le visage de ses ennemis. Ces fantômes l'enferment dans ses obsessions: sa mère et sa maîtresse. Mais n’est-ce pas le cas de tous les hommes ? Gabriel n’a pas connu son père. La légende familiale veut que celui-ci ait été tué pendant la Guerre d’Algérie. Il a grandi avec une mère, qui, malgré les non-dits, reste celle à qui il adresse toutes ses « prières de soldat ». Puis il pense à Mathilde, une bourgeoise mariée avec laquelle il a une liaison hystérique et violente. Il est ainsi tiraillé entre le silence maternel et la violence passionnelle des mots. Après un épisode tragique, Gabriel revient du front, désormais incapable de parler. Il se retrouve par hasard – encore faut-il savoir si le hasard existe existe en psychanalyse – dans le cabinet d’un psychiatre plutôt déjanté : Monte-Cristo.
Sur la bonne voie ? On ne peut s’empêcher de penser qu’en plaçant un patient muet dans un bureau de psychanalyste, Jean-François Rouzières cherche à tordre le cou à pas mal de clichés. La psychanalyse peut donc se passer de la parole. Et la guerre de champs de bataille. Le face-à-face entre Gabriel et Monte-Cristo n’est pas sans rappeler les séances entre Paul et Alex, dans la série américaine En analyse. Le premier est psychanalyste, le second, pilote de ligne. Et effectivement, quel meilleur choix qu’un soldat pour symboliser un contrôle vital des émotions, qui va cependant à l’encontre de l’introspection ? Dans le troisième carnet, celui du chasseur, les hommes apparaissent comme des prédateurs. Ils se reconnaissent de façon bestiale, à l’odeur ou à la proie dont ils vont se nourrir. C’est pourtant du lien qu’ils finissent par tisser entre eux qu’émerge la rencontre avec l’autre, la nécessité du dialogue et, partant, la guérison. La civilité n’est pas toujours ce que l’on croit. Et le temps de l’analyse déborde largement le temps de la séance. Dans le roman de Jean-François Rouzières, il se peut même qu’il se termine autour d’une bonne bouteille. Jean-François Rouzières Éditions du Seuil 302 pages – 18,50 euros
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