31 Jan 2011 |
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Que devient le monde, au dehors, quand on a toujours été dans la vie et que le présent se résume désormais à un lit, une chambre, quelques chats...? Atteinte d'un mal incurable, Cesarina Vighy revient sur son passé et nous parle de sa vie, son œuvre, sans fard ni pathos. Un livre qui pousse à la réflexion...
Oui, on aurait pu balancer le livre à l'autre bout de la pièce, en se disant qu'une lecture déprimante de plus n'est vraiment pas du meilleur goût en ces temps difficiles... Quand on traverse des périodes noires, qu'on se cherche et qu'on ne se trouve pas, qu'on tâtonne et qu'on touche du vide, la vie va de surprises en déconvenues ; et on serait bien en peine de se plonger sciemment dans une lecture empreinte de souffrance et de noirceur. Sauf que c'est comme tout, tout le temps : on ne trouve finalement ses propres vérités, et les réponses à ses propres questions obsédantes, qu'en se confrontant à des maux bien nécessaires... Et le contact des autres, le contact des livres, de faire leur œuvre sur nous. Au fond de son lit depuis six ans, Z. n'est plus qu'une ombre, une oubliée ; elle regarde par sa fenêtre et ne devine plus le monde qu'elle a connu dans cette ancienne vie, celle de la force, de la puissance, de la vigueur... Notre heure de gloire, on la traverse souvent dans la cécité et le déni. Windows on the world En fait, Le monde à ma fenêtre, c'est une fresque : une grande et large toile italienne, empreinte d'un charme d'antan, où les couleurs évoquent sans cesse les villes de Rome et de Venise dans les années 50, où les robes et les matières rappellent la douceur d'une époque révolue... Une époque dont on se souvient sans l'avoir vécue, dans un ailleurs qui nous parle intimement. Dans ce roman passéiste assumé, la nostalgie est partout : cristallisée par une volonté de vivre, de survivre, et de se raconter, surtout. De se raconter avant sa propre fin. Contre l'oubli, la narratrice, Z., remonte à ses origines et met des mots sur tout : sur ses ressentis d'enfant, sur ses parents, ses amours, ses réussites, ses peurs, ses doutes, ses héritages... La fresque explore également le féminisme de ces années-là : être une femme dans l'Italie de l'après-guerre, c'était à la fois une chance et un combat. Comme on dit que les gens heureux n'ont pas d'histoires, notre auteur alitée en a plein : elle les fouille, les dissèque, et on se laisse séduire avec douceur par cette voix que l'on devine très… Claudia Cardinale. Et puis il y a l'humour, aussi. Car on ne parle pas de la souffrance et de la maladie sans distance ; on ne s'éloigne pas de la promesse de la mort sans humour, noir ou caustique, ironique ou léger... La voix qui nous parle prend du recul sur tout et nous invite à faire de même, finalement. Quand on a tout eu, tout vécu ou presque, et que rien ne disposait à une telle destinée, comment ne pas réaliser, en toute honnêteté, que la vie ne tient vraiment qu'à un fil ? En cela, peu importe le support, finalement, tant que la voix se fait entendre, et que le message passe. Cesarina Vighy s'est confiée du fond d'elle-même et du tréfonds de ses racines pour nous dire que notre bonheur, que l'on n'arrive pas à voir, c'est notre train-train de tous les jours : cette vie, folle et belle, qui nous fait courir et que l'on voit s’effriter un jour, dans un lit, confronté au temps qui s'est écoulé. En cela, nous l'avons entendue, cette voix… Cesarina Vighy Traduit de l’italien par Jérôme Nicolas Le Seuil 17,58 €
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